L’entrevue

Un artisan de la solidaritéEntrevue avec Michel Lacroix[Notice]

  • Lucie Fréchette

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  • Lucie Fréchette
    Département de travail social
    Université du Québec à Hull

En 1991, Nouvelles pratiques sociales publiait un numéro thématique sur la coopération internationale sous la direction de Yao Assogba, Louis Favreau et Guy Lafleur. L’article d’introduction campait l’enjeu de la redéfinition des rapports Nord-Sud.

Le renforcement et la multiplication des mouvements populaires et des organisations non gouvernementales (ONG), au Sud, pressent les ONG du Nord à revoir leur rôle, à redéfinir leurs relations avec les organisations du Sud. Ne s’agit-il pas d’être moins des bailleurs de fonds que des alliés (des ONG et des mouvements du Sud) capables de faire pression ici sur la définition des politiques affectant le Sud ? Ne s’agit-il pas d’être moins des sous-traitants de l’aide gouvernementale que des canaux, des « facilitateurs » d’échanges entre organisations homologues, entre mouvements sociaux du Nord et du Sud ? (Nouvelles pratiques sociales, vol. 4, no 1, p. 23)

Lucie Fréchette aborde ces questions avec Michel Lacroix, militant chrétien de gauche de l’Outaouais qui a oeuvré dans le mouvement communautaire, en CLSC et surtout à Développement et Paix. Celui-ci a su relever le défi du renouvellement des pratiques de solidarité internationale avec une combinaison gagnante : celle de la solidarité internationale Nord-Sud et de l’alliance avec le mouvement populaire au Nord. Une trajectoire qui illustre une double socialisation du militantisme, dans les nouveaux mouvements sociaux et dans les réseaux de solidarité des chrétiens progressistes. C’est finalement en travaillant plusieurs années au sein de Développement et Paix, organisation qui s’est socialisée aux enjeux sociaux, économiques et politiques de la solidarité internationale, que Michel Lacroix s’est mieux fait connaître.

Ma sensibilisation aux questions sociales remonte probablement à mon adolescence. J’ai été membre du mouvement des scouts. Je me souviens particulièrement de ce mot d’ordre qui dit que le gros protège le petit. On y tenait aussi des discussions sur les inégalités sociales. Même si ça ne portait pas ce nom-là, je crois que le scoutisme m’a permis de faire mes premières analyses sociales. Par la suite, je suis entré au Grand Séminaire et j’y avais un ami fort engagé dans l’action catholique rurale, la JRC ou Jeunesse rurale catholique. Je trouvais ça fort intéressant. Puis au moment où j’ai été ordonné, des jeunes ont demandé à ce que le diocèse démarre la JOC, la Jeunesse ouvrière catholique. À ce moment-là, j’ai vraiment eu la piqûre. J’ai été particulièrement interpellé par toute la question de la pauvreté et ça n’a pas cessé depuis. Mon intérêt pour la question sociale s’est essentiellement bâti avec la JOC. La méthode de l’action catholique avec son voir-juger-agir a été une école de formation pour plusieurs au Québec. Les échanges et la réflexion qui accompagnaient l’action m’ont convaincu de l’importance d’appuyer l’action sur une solide analyse sociale. Une deuxième expérience allait bientôt aussi devenir marquante dans mon engagement futur. En 1968, j’étais animateur de pastorale dans une polyvalente de Hull. J’ai travaillé avec des adolescents mais aussi avec de jeunes adultes. À l’été, j’ai accompagné un groupe d’étudiants universitaires au Mexique. L’expérience s’est révélée le plus grand choc de mon existence. C’était mon premier contact avec le tiers monde. Je me suis retrouvé dans des montagnes mexicaines, chez les Indiens, dans des familles si dépourvues que des enfants y mouraient de faim. J’ai développé un sentiment de révolte qui me dépassait, j’ai vécu un tel choc que j’ai dû revenir avant la fin du séjour. C’est alors que j’ai fait le choix de m’engager dans la solidarité internationale. À peu près au même moment, Monseigneur Charbonneau, premier évêque de Hull, et Jacques Beaucage ont organisé une session sur l’animation sociale, l’origine de ce qui est devenu l’Assemblée générale de Hull. J’ai ensuite demandé de poursuivre mes études ; j’aurais voulu aller en France, à Lille, mais je me suis retrouvé à Montréal au Centre de pastorale du mouvement ouvrier (CPMO). C’était en octobre 1970. Encore une fois, les circonstances me plaçaient en situation de réflexion quant à la question sociale, ce qui s’insérait parfaitement dans mes études, où je m’adonnais surtout à la sociologie et à la recherche-terrain. Je me suis aussi intéressé au FRAP. De retour à Hull, Monseigneur Charbonneau m’a demandé d’aller à l’Assemblée générale de l’Île de Hull (AGIH). J’y ai travaillé de 1970 à 1976. Avec une équipe formidable, nous avons fait tout un travail d’enquête-participation centrée sur la culture populaire. Nous travaillions par pâtés de maison. On y distribuait un questionnaire et y retournions ensuite pour des échanges et des débats. C’est ce qui a donné naissance aux comités de citoyens de Hull. En même temps, à partir de 1974, je faisais parti d’un comité de bénévoles qui démarrait graduellement Développement et Paix dans notre région. Sachant l’importance du contact direct avec le Sud, et avec le soutien de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), nous avons organisé un premier échange entre des militants du Honduras et de l’Outaouais. Un groupe de l’Outaouais est allé au Honduras. Ça a donné un élan à l’organisation de Développement et Paix dans l’Outaouais. En 1976, j’ai pu avoir six mois de ressourcement. J’ai presque fait le tour de l’Amérique latine même si j’ai concentré mon séjour dans trois pays : le Honduras, le …

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