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Nos ancêtres les cannibalesOur ancestors the cannibals[Notice]

  • Simone Gilgenkrantz

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Depuis des siècles, l’idée même de consommer la chair de son semblable paraît inacceptable à l’homme. Dans la répulsion qu’elle suscite, cette transgression suprême éveille une peur venue du fond des âges comme si persistait, en chacun de nous, la trace dfaute originelle. À tel point que, pour s’en affranchir, les populations «civilisées» ont souvent accusé d’anthropophagie les groupes humains qu’elles souhaitaient stigmatiser, en particulier au cours de la période coloniale où le «sauvage» était présumé cannibale. Certes, les pratiques cannibales sont exclues de notre civilisation. Mais qu’en est-il du passé et des autres régions du monde ? Elles sont décrites dans l’Antiquité par Hérodote chez des Barbares. Au Moyen Âge, Marco Polo relate des scènes de cannibalisme dans ses récits de voyages. Après la découverte du Nouveau-Monde, en 1492, Christophe Colomb nomme Canibal, altération d’un mot arawak, ces Indiens des Caraïbes qui avaient la réputation de manger des êtres humains. Mais dans la plupart des cas, la difficulté d’en apporter la preuve finit par conduire W. Arens, professeur d’anthropologie à New York, à réfuter en bloc, dans un livre qui remporta un grand succès en 1979, l’existence du cannibalisme [1]. Pourtant, ces pratiques de manducation de la chair humaine ont bel et bien existé. L’histoire de la tribu Fore, excellemment racontée par Michel Laurent dans médecine/sciences [2], en est une illustration exemplaire dont les conséquences nous poursuivent encore aujourd’hui. Ces Papous de Nouvelle-Guinée avaient inclus, probablement à la fin du xixe siècle, la consommation de la chair de leurs ennemis dans leurs rites funéraires. Il s’agissait d’exocannibalisme, c’est-à-dire de la manducation d’un ennemi mort (par opposition à l’endocannibalisme qui consiste à manger les morts de son propre groupe, en général afin d’en retenir l’esprit). Après préparation du corps par les femmes, les régions riches en muscles (symbole de la force) étaient consommées par les hommes tandis que les bas-morceaux, viscères, cerveau, moelle épinière, étaient réservés aux femmes et aux enfants. Cette coutume, au demeurant peu fréquente et limitée uniquement à la tribu de dialecte fore, résidant sur les hauts plateaux, serait sans doute passée inaperçue si elle n’avait eu les terribles conséquences que l’on sait: en 1950, une maladie appelée le kuru (qui signifie «trembler de peur» en dialecte fore) avait décimé un dixième de la population, surtout des femmes et des enfants. Cette encéphalopathie mortelle attira l’attention des chercheurs et fut parfaitement élucidée par Carleton Gajdusek [3, 4] qui reçut le prix Nobel pour ses travaux en 1976. Non seulement il avait mis en évidence l’origine de la maladie (la consommation de cerveaux humains contaminés), mais il démontra la possibilité de transmission inter-espèce puisque, sept ans après avoir été inoculé par des extraits de cerveau d’un sujet atteint de kuru, un chimpanzé manifesta les troubles neurologiques du kuru [5]. L’étude de son encéphale confirma le diagnostic d’encéphalopathie spongiforme, du groupe des maladies à prions auquel appartiennent la tremblante du mouton, l’encéphalopathie spongiforme bovine, ainsi que des maladies neurodégénératives humaines rares à évolution lente et à issue fatale. Chez l’homme, qu’il s’agisse de la maladie de Creutzfelfdt-Jakob, du syndrome de Gerstmann-Sträusler-Scheinker ou de l’insomnie familiale fatale, les encéphalopathies spongiformes furent longtemps considérées comme des maladies génétiques transmises en dominance [6]. Dans les familles atteintes, la maladie de Creutzfeldt-Jakob est liée à une mutation dans le gène de la protéine prion (PrP). Mais des formes sporadiques furent découvertes, sans qu’aucun facteur génétique ne puisse formellement être mis en cause, puis des cas d’origine iatrogène apparurent, dus à des injections d’hormone de croissance préparée à partir de tissus humains contaminés par une protéine prion anormale (PrPSc). Les particules …

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