Comptes rendus

Boudreau, A. (2021). Dire le silence : insécurité linguistique en Acadie 1867-1970. Prise de parole[Notice]

  • Annie Desjardins

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  • Annie Desjardins
    Université du Québec à Trois-Rivières

Annette Boudreau est une référence incontournable dans le monde de la recherche sur l’insécurité linguistique dans la francophonie. Dans son plus récent ouvrage où s’entremêlent témoignages personnels et constats de recherche, la sociolinguiste examine des textes publiés entre 1867 et 1970 dans deux journaux acadiens : Le Moniteur acadien et L’Évangéline. Ces textes portent sur les sentiments de honte et d’insécurité face à la langue vécus par les Acadiens et Acadiennes. L’objectif de l’auteure est de mieux comprendre « les mécanismes historiques et sociaux à l’oeuvre pour expliquer certaines idéologies qui ont eu cours dans l’histoire et qui ont eu pour effet de catégoriser les gens selon qu’ils parlent bien ou qu’ils parlent mal » (p. 10). C’est une véritable archéologie du silence qu’entreprend l’auteure, et qui de mieux qu’elle, issue du milieu dont elle parle, pour le faire. Les recherches de Boudreau, à ce jour, ont permis de constater à quel point les Acadiens et Acadiennes portent un jugement sévère sur leurs pratiques langagières comportant souvent des traces d’anglais et d’archaïsmes (Boudreau, 1991; 1993; 1994; 2005; 2009; 2010, 2013; 2015; 2016; 2017l; 2019). Ce sentiment de dévalorisation, infligé tant par eux-mêmes que par les représentants de la norme, pousse souvent les Acadiens et Acadiennes à se taire ou à se tourner vers la langue dominante, en l’occurrence, l’anglais. Le passage suivant représente en quelque sorte le coeur du livre par sa façon de résumer cette dynamique des plus complexes : Annette Boudreau divise son livre en cinq chapitres, chacun dédié à une période temporelle. Les textes de Pascal Poirier, premier sénateur acadien, constituent les premiers articles repérés portant explicitement sur la langue acadienne dans le journal Le Moniteur acadien en 1870. Dans ses textes, du haut de ses 18 ans, il aborde la différence entre les variétés de français parlé au Canada et en France, les hiérarchisant du même coup, réflexe que prendront plusieurs Acadiens et Acadiennes au cours des décennies suivantes. L’idée selon laquelle les Français de France sont les représentants légitimes de la norme linguistique est très répandue même si l’authenticité du parler acadien commence très timidement à faire son chemin. Les années 1910-1950 sont caractérisées par l’urbanisation au Canada et concordent avec une volonté grandissante d’uniformiser le français au pays. Des traces de ce mouvement se manifestent en Acadie et prennent la forme, notamment, de chroniques de langue, comme celles publiées dans L’Évangéline et intitulées « Corrigeons-nous ». Ces textes comportaient des mots à corriger, des anglicismes à éviter et des commentaires négatifs sur les usages en cours. Pour les Acadiens et Acadiennes, cette période est synonyme de double honte. S’il y a stigmatisation des parlers ruraux, la stigmatisation du français urbain, notamment à Moncton, ville natale de l’auteure, est tout autant présente. Les villes, centres d’activités politiques et économiques auxquelles participent des Acadiens et Acadiennes, sont aussi des lieux dominés par la population anglophone, donc à fort risque d’assimilation. Le contact avec l’anglais est découragé par l’élite, mais presque impossible à éviter. Les discours négatifs sur le mélange des deux langues vont s’accentuer avec l’émergence des discussions sur le bilinguisme entre 1950 et 1960. Alors qu’une portion de la population acadienne manifeste dans certains articles de journaux un désir d’étendre le français dans l’espace public, une autre craint les effets dévastateurs du bilinguisme. Mais, ultimement, deux éléments ressortent de la majorité des publications durant les années précédant l’adoption des Lois sur les langues officielles (LLO) en 1969 : d’une part, que les francophones doivent maitriser leur langue avant d’en apprendre une autre et, d’autre part, que le bilinguisme doit être pratiqué par l’élite des deux …

Parties annexes