Corps de l’article

Depuis les dernières décennies, il y eu un nombre important d’études qui ont porté sur l’innovation et l’exportation (Saridakis et al., 2019; Azar et Ciabuschio, 2017; Rodil et al., 2016; Sui et Baum, 2014; Wakelin, 1998). Il a été démontré, entre autres, que l’innovation et l’exportation fonctionnent souvent conjointement et qu’elles sont considérées comme incontournables pour les entreprises désirant être compétitives dans les marchés (Doloreux et al., 2019).

Cet article analyse la relation entre l’innovation et l’exportation. Dans une récente revue de la littérature, Love et Roper (2015) dégagent une série de variables liées à l’innovation qui peuvent être considérées comme des facteurs explicatifs de l’exportation. Globalement, l’investissement en R&D, l’introduction de nouveaux produits ou de services (ou les deux) et de nouvelles pratiques commerciales, la collaboration ou encore l’utilisation de sources externes de connaissance représentent les variables importantes expliquant l’exportation. Leur étude montre également qu’en dépit de la relation positive existant entre l’innovation et l’exportation, les variables reliées à l’innovation et ses multiples manifestations n’ont été que très peu explorées comme déterminants de l’exportation.

Cette étude tâche de combler cette lacune, en étudiant l’impact, sur l’exportation, des facteurs reliés à l’innovation dans le cadre particulier des entreprises de l’industrie viticole au Canada. Le choix de cette l’industrie est justifié par l’importance accrue des études consacrées aux secteurs individuels, dans la littérature portant sur l’exportation, et par le nombre limité d’études portant spécifiquement sur l’industrie viticole (Bianchi et Wickramasekera, 2013; Olmos, 2011; Maurel, 2009; Karelakis et al., 2008).

Notre article se distingue des études précédentes sur l’industrie du vin, et ce, sur plusieurs plans. Premièrement, vu que l’innovation joue un rôle de plus en plus important dans cette industrie (Muscio et al., 2017), en particulier au Canada (Frigon et al., 2020; Doloreux et Frigon, 2019), nous examinons l’impact de différentes activités d’innovation comme facteurs explicatifs de l’exportation. Ainsi, nous voulons montrer dans quelle mesure les activités internes d’innovation, le degré d’ouverture de l’entreprise et les résultats d’innovation sont liées aux activités d’exportation de celle-ci.

Deuxièmement, nous nous distinguons des études sur le vin qui s’intéressent, pour l’essentiel, aux pays producteurs traditionnels ou aux nouveaux pays producteurs (Bianchi et Wickramasekera, 2013; Olmos, 2011; Maurel, 2009). L’industrie du vin au Canada constitue une nouvelle industrie. Son essor est très récent (Phillips, 2017). Dans ce contexte, il s’agit de la première étude quantitative à étudier les déterminants d’exportation au niveau de l’entreprise dans cette industrie. Par conséquent, cette étude doit être considérée comme exploratoire.

Troisièmement, l’analyse de données originales et inédites provenant des entreprises viticoles canadiennes apporte un éclairage complémentaire aux statistiques et aux données officielles, qui ne peuvent pas capter directement la spécificité propre à l’industrie viticole. Comme expliqué par Doloreux et Frigon (2019), qui reconnaissent d’ailleurs le côté fort limitatif des données officielles, la couverture statistique de l’industrie viticole demeure très partielle, car elle exclut toute entreprise de moins de 20 employés et, aussi, parce que les statistiques de l’industrie sont agrégées au sein du secteur de la fabrication des aliments. Aux fins de la présente étude, les données proviennent d’une enquête originale réalisée auprès de 151 entreprises de l’industrie du vin au Canada.

Revue de la littérature

Exportation et industrie du vin

La capacité de s’engager dans l’exportation constitue une étape importante et nécessaire pour assurer la performance des entreprises (D’Souza et McDougall, 1989). L’exportation est reconnue comme une stratégie mise en oeuvre par les entreprises pour pénétrer les marchés étrangers, dans le but d’augmenter leur performance, de maintenir leur avantage compétitif et de diversifier leur risque (Sui et Baum, 2014). L’exportation, dans sa forme la plus simple, réfère aux ventes des biens et services d’une entreprise réalisées à l’extérieur de son pays d’origine (Rodil et al., 2016).

En ce qui concerne l’exportation dans l’industrie du vin, Castaldi et al. (2006) soutiennent que de profondes transformations, au sein de l’industrie, se sont produites au tournant des années 1990, en faveur d’une intensification plus importante des activités d’exportation. La première transformation a entraîné une intensification de la compétition au sein de l’industrie, intensification causée, en partie, par l’augmentation de la production de vin dans les pays du Nouveau Monde (Galati et al., 2014). L’arrivée de nouveaux joueurs dans l’industrie mondiale a engendré une hausse importante de la compétition dans les différents marchés. En témoigne une offre de vins, souvent à des prix compétitifs, par les pays du Nouveau Monde qui font ainsi compétition aux exportateurs de pays traditionnels (Bianchi et Wickramasekera, 2013).

La deuxième transformation concerne un changement dans la demande. L’augmentation de la compétition dans les marchés internationaux a eu pour effet de saturer certains marchés domestiques, notamment dans les pays traditionnels où nous observons un déclin de la consommation de vin domestique (Martínez-Carrión et Medina-Albaladejo, 2010). Galati et al. (2014) expliquent cette diminution de la consommation comme étant un relent de la récente crise économique, alors que Maurel (2009) l’attribue plutôt à un effort de conscientisation à la consommation d’alcool, mené à l’échelle nationale dans les pays européens. La conséquence en a été d’entraîner les entreprises viticoles à explorer les marchés étrangers, voire à faire de cette exploration internationale une condition requise pour surmonter un manque de compétitivité dans les marchés locaux (Marínez-Carrión et Medina-Albaladejo, 2010).

De plus, il s’est opéré un changement important dans la consommation du vin à l’échelle mondiale : il y a eu une augmentation de la consommation, particulièrement pour les pays de l’Europe de l’Est, la Chine, l’Inde et la Russie (Banks et Overton, 2010). Ces nouvelles tendances qui s’opèrent mondialement au sein de l’industrie du vin entraînent certes des contraintes dans les marchés locaux, mais, en même temps, elles offrent des occasions pour les entreprises qui souhaitent percer de nouveaux marchés étrangers. Dressler (2013) soutient que, dans un contexte de stagnation du marché domestique, l’exportation permet aux producteurs d’augmenter leurs ventes et leurs profits et, finalement, de réaliser des économies d’échelle. Fernandez-Olmos (2011) atteste que, pour les entreprises faisant partie de l’industrie du vin espagnol, l’exportation devient une condition de survie. L’auteure abonde dans le même sens que Majocchi et al. (2005) en soutenant que l’exportation est la façon la plus simple et rapide d’accéder à de nouveaux marchés étrangers. Dans le cas de l’industrie du vin mousseux en Italie, Galati et al. (2014) montrent que, pour 90 pour cent des entreprises (dans leur échantillon), l’activité d’exportation permet de contribuer à la position concurrentielle et stratégique de l’entreprise.

L’innovation comme déterminant de l’exportation

L’innovation repose sur deux composantes principales. La première est l’importance du rôle de la connaissance en tant que fondement essentiel de l’innovation et la seconde est l’exigence de la mise en oeuvre ou de sa commercialisation. Selon Manuel d’Oslo (2018), le terme « innovation » peut désigner aussi bien une activité (ou un ensemble d’activités) que le résultat de cette activité, et l’innovation est définie comme étant « un produit ou un processus (ou une combinaison des deux) nouveau ou amélioré qui diffère sensiblement des produits ou processus précédents d’une unité et a été mis à la disposition d’utilisateurs potentiels (produit) ou mis en oeuvre par l’unité (processus) » (OCDE, 2018).

Bien que cette définition présente l’innovation comme un résultat, elle suppose que l’innovation se produit selon différentes modalités, dont certaines sont déterminées par le recours à différentes activités pouvant résider dans l’entreprise ou à l’extérieur de celle-ci. Dans ce contexte, nous adoptons une perspective élargie de l’innovation dans laquelle nous considérons à la fois les multiples activités destinées à produire et à commercialiser l’innovation et les différents résultats de l’innovation. Ces activités peuvent être internes ou externes (à l’entreprise) et englober différentes formes d’innovation.

Les raisons motivant notre étude sur l’innovation comme déterminant de l’exportation découlent essentiellement de propositions qui trouvent leur assisses théoriques et empiriques dans la littérature existante sur l’innovation et l’industrie du vin. Les prochaines sections présentent une synthèse de ces travaux permettant de formuler les principales hypothèses.

La relation entre les activités internes d’innovation et l’exportation

Dans le cas des travaux portant sur les facteurs internes, les activités d’exportation des entreprises dépendrait de leur capacité à acquérir et à développer de nouvelles connaissances qui lui confèrent un avantage commercial compétitif (Zahra et George, 2002). La R&D est reconnue pour être au coeur du processus d’innovation et se définit comme étant « les activités créatives et systématiques entreprises en vue d’accroître la somme des connaissances et de concevoir de nouvelles applications à partir des connaissances disponibles » (OCDE, 2018).

La R&D contribue à la création de nouvelles connaissances qui, a leur tour, deviennent pertinentes dans la construction du potentiel d’innovation des entreprises (Bianchini et al., 2019). La réussite des entreprises sur le plan de l’innovation s’explique, en partie, par leur capacité de cerner, d’exploiter et de créer de nouvelles connaissances pour développer de nouveaux produits.

En ce qui concerne l’impact de la R&D sur l’exportation, Braymen et al. (2011) ont démontré que les entreprises aux États-Unis qui réalisent de la R&D sont plus portées à exporter que celles qui ne font pas de R&D. Les activités de R&D permettent de stimuler l’innovation par le biais de l’introduction de nouveaux produits, rendant ainsi les entreprises plus compétitives sur le plan international. Guarascio et al. (2014) ont analysé empiriquement le « cercle vertueux » entre la R&D, l’innovation de produit et l’exportation, à partir d’un échantillon d’entreprises du secteur manufacturier de six pays européens. Les résultats de leur étude démontrent les effets positifs de la R&D sur l’introduction de nouveaux produits et sur l’intensité d’exportation des entreprises. Ils démontrent que les efforts de R&D mènent à l’introduction de produits, ce qui permet d’acquérir de nouvelles parts de marché à l’étranger, ce qui se traduit par une augmentation des exportations. D’autres travaux démontrent la relation bidirectionnelle entre la R&D et l’exportation, où les activités de R&D augmentent par le fait même les opportunités en exportation et, vice-versa, l’exportation influence les activités de R&D. (Esteve-Pérez et Rodriguez, 2013).

Pour certains auteurs, la R&D ne serait pas associée à l’exportation. Les travaux d’Aw et al. (2011) font partie des rares travaux où il y a une absence de preuves empiriques entre la R&D et l’exportation, dans le cas des entreprises électroniques taïwanaises. De même, les travaux de Rodil et al. (2016) n’ont pas montré de différences significatives entre l’investissement en R&D et l’intensité d’exportation pour les entreprises en Galice.

En ce qui a trait aux travaux relatifs à l’industrie du vin, la R&D joue un rôle important étant donné que cette activité entraîne, non seulement de nouvelles connaissances sur l’amélioration des produits existants ou la création de nouveaux produits, mais qu’elle permet aussi de développer ou d’améliorer des capacités techniques dans la production (Doloreux et Lord-Tarte, 2014). Dans le cas d’une étude sur les entreprises viticoles en Grèce, Karelakis et al. (2008) reconnaissent que la R&D fait partie des capacités internes de l’entreprise, puisqu’elle lui permet de maintenir son avantage compétitif. Dans le cas de l’Australie, Aylward (2006) montre que les entreprises qui réalisent des activités de R&D sont plus innovantes, occupant par le fait même une position plus forte dans les marchés internationaux. Cela nous amène à émettre l’hypothèse suivante :

H1. Il existe une relation positive entre les activités internes d’innovation (R&D) et l’exportation des entreprises viticoles.

La relation entre les activités externes d’innovation et l’exportation

Des limites ont été exprimées concernant l’utilisation seule de mesures d’activités internes pour estimer le profil innovant et d’exportation de l’entreprise (Love et Roper, 2015). Pour innover, les entreprises développent certes des connaissances internes, mais elles ont également recours aux sources externes de connaissances. Il désormais reconnu que l’innovation prend place dans un système ouvert d’échange de connaissances. Dans cette optique, les entreprises innovantes ne peuvent plus rester isolées : des apports externes en connaissances sont nécessaires au développement de nouveaux produits ou procédés ou encore à la mise en place de nouvelles pratiques organisationnelles et commerciales. Les travaux sur la théorie des réseaux (Johanson et Vahne, 2003) accordent une importance aux réseaux que les entreprises développent dans leur processus d’internationalisation. Une entreprise qui fait partie d’un réseau prend part à une synergie existante, ce qui lui permet de partager les coûts et les risques, en plus d’avoir accès à des ressources spécifiques et des possibilités commerciales. Les réseaux permettent également aux entreprises de s’approprier la connaissance spécifique qui leur permet d’appréhender et de faciliter leur entrée sur les marchés étrangers.

Le recours aux sources externes pose l’enjeu des stratégies de recherche de nouvelles connaissances en lien avec les nouveaux marchés et au développement de produits. Il est démontré que les connaissances échangées par l’entreprise avec ses clients et ses fournisseurs, les compétiteurs, les universités et les instituts de recherche ainsi que d’autres acteurs de son environnement ont un effet positif sur l’innovation (Love et Roper, 2015).

En ce qui a trait aux travaux sur l’industrie du vin, Maurel (2009) reconnaît le rôle significatif des consommateurs dans l’activité d’exportation des entreprises en France. Karelakis et al. (2008) montrent que l’échange d’information avec les distributeurs étrangers a une incidence positive sur les activités d’exportation de l’industrie en Grèce. Giuliani et al. (2010) reconnaissent l’apport des sources scientifiques pour les entreprises viticoles du Nouveau Monde. Selon ces considérations et les preuves ci-dessus, une nouvelle question de recherche émerge alors : dans quelle mesure la diversité et l’intensité de l’utilisation des sources de connaissance ont-elles, toutes deux, des effets positifs sur les activités d’exportation des entreprises ? Ainsi, nous proposons l’hypothèse suivante :

H2a. Il existe une relation positive dans le recours à l’utilisation des sources de connaissance et l’exportation des entreprises viticoles.

La capacité d’exploiter les sources externes de connaissances a aussi été captée au moyen de l’analyse des réseaux de collaboration. Les réseaux de collaboration agissent comme des mécanismes importants permettant aux entreprises d’accéder à de nouvelles ressources, de partager les coûts et de réduire les risques associés à l’innovation (Veugelers et Cassiman, 2005). Les études montrent que les entreprises engagées dans des collaborations exportent davantage que celles qui ne collaborent pas (Costa et al., 2016). Les entreprises sont liées à un ensemble diversifié d’acteurs, grâce à des réseaux de collaboration et d’échange de connaissances. Ces interactions que les entreprises entretiennent avec les collaborateurs externes augmentent les retombées liées aux nouvelles connaissances acquises et partagées. Certains auteurs ont étudié le rôle des collaborations locales et internationales pour faciliter le succès de l’entreprise dans la conquête de marchés étrangers. Concernant les collaborations locales, Boehe (2013 : 178) soutient que « the reasons explaining export behaviour often lie outside a firm’s boundaries and inside the regional or domestic business environment ». De plus, les travaux de Ricci et Trionfetti (2012) montrent que les entreprises collaborant avec des partenaires locaux ont plus de probabilités de réaliser des ventes sur les marchés étrangers que celles qui n’en ont pas. Quant aux collaborations internationales, elles exercent un rôle significatif et positif sur l’exportation, en permettant aux entreprises d’acquérir des connaissances nouvelles dans les marchés étrangers (Bathelt et al., 2004).

En ce qui a trait aux travaux sur l’industrie du vin, Maurel (2009) démontre que, pour les entreprises viticoles en France, les collaborations avec des partenaires d’affaires influencent positivement l’exportation. Dressler (2013) atteste que les collaborations des entreprises viticoles allemandes avec des partenaires sont cruciales dans le pays où l’entreprise souhaite exporter. Karelakis et al. (2008) ont trouvé que la coopération des entreprises grecques avec les distributeurs étrangers avait une influence positive sur l’exportation. Ainsi, nous proposons l’hypothèse suivante :

H2b. Les réseaux de collaboration locale et internationale ont une influence positive sur l’exportation.

La relation entre les résultats d’innovation et l’exportation

Certains auteurs ont fait valoir que l’analyse des activités internes et externes n’était pas suffisante pour qualifier l’activité innovante réelle de l’entreprise (Rodriguez et Rodriguez, 2005). Le cas échéant, il est important de prendre en compte les résultats de l’innovation. Les résultats d’innovation correspondent à l’amélioration des produits existants ou à la création de nouveaux produits, au développement et à l’amélioration des capacités de production et aux nouvelles pratiques organisationnelles et commerciales déployées par l’entreprise (OCDE, 2018). Plusieurs auteurs ont démontré que le résultat de l’innovation, comme déterminant de l’exportation, est positivement lié à l’exportation (Rodil et al., 2016; Love et Roper, 2015). L’innovation permet aux entreprises de s’adapter à l’évolution des marchés, d’augmenter leurs parts de marché et de maintenir un avantage concurrentiel durable.

Les travaux récents précisent que différents types d’innovation exerceraient une influence différente sur l’exportation (Saridakis et al., 2019). L’innovation de produit joue un rôle important dans la décision d’exporter, si bien qu’il s’agit normalement du premier type d’innovation introduit par une entreprise qui amorce son expansion à l’international (Damijan et al., 2010). L’innovation de procédé permet à l’entreprise de réaliser des gains d’efficience, en réduisant ses coûts de production, et d’être plus compétitive dans les marchés internationaux (Rodriguez et Rodriguez, 2005). L’innovation marketing permet l’entreprise de mettre en place de nouvelles pratiques commerciales pour la vente de produits dans de nouveaux marchés (Azar et Ciabuschi, 2017).

En ce qui a trait aux travaux sur l’industrie du vin, Maurel (2009) souligne l’existence, au sein des entreprises viticoles en France, d’une relation positive entre les activités d’exportation et l’innovation de produit et de marketing. Les travaux de Fernandez-Olmos (2011) en Espagne confortent ces résultats, mais ils précisent que les innovations de procédé ne sont pas directement associées à l’exportation. Pour les entreprises productrices de vin mousseux en Italie, Galati et al. (2014) démontrent que les innovations de produit et de procédé influencent positivement l’exportation. C’est pourquoi nous posons l’hypothèse suivante :

H3. Il existe une relation positive entre les résultats de l’innovation et l’exportation.

Méthodologie

Le contexte à l’étude : l’industrie du vin au Canada

L’industrie du vin au Canada est relativement modeste par rapport aux normes internationales. Elle produit environ 0,3 % de la production mondiale et elle emploie un peu plus de 5000 personnes dans 600 vignobles (Canadian Vintners Association, 2020). Le développement de l’industrie est récent, et l’industrie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, s’est essentiellement développée au cours des 20 dernières années (Frigon et al., 2020). L’industrie du vin au Canada se déploie dans quatre provinces, qui sont la Colombie-Britannique, l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse. Les entreprises se trouvent majoritairement dans des municipalités à l’extérieur des grands centres urbains, à l’exception de la péninsule de Niagara, principale région viticole du Canada où les entreprises viticoles sont localisées à proximité de la région métropolitaine de Toronto.

Le Canada est traditionnellement un pays importateur de vin. L’exportation de vin canadien est un phénomène relativement récent. Il a pris son essor au courant de la dernière décennie (voir Figure 1). Cependant, les volumes d’exportation demeurent modestes; le Canada se trouve au 35e rang parmi les pays producteurs de vin, au chapitre de la valeur des exportations : cela équivaut à 0,1 % de l’exportation mondiale (Canadian Vintners Association, 2020). Le vin de glace demeure le principal produit exporté. En 2019, ce dernier représentait 58,4 % de la valeur totale des exportations canadiennes de vin embouteillé, pour une valeur de 18,7 millions de dollars ou 13,3 % du volume de litres exportés (Canadian Vintners Association, 2020). Par ailleurs, les exportations canadiennes visaient cinq principaux marchés en 2019, en termes d’importance des revenus. C’étaient les États-Unis, la Corée du Sud, la Chine, le Japon et Singapour (Statistique Canada, 2019).

Figure 1

Évolution de l’exportation de vin du Canada (en 1000hl) de 2000 à 2016

Évolution de l’exportation de vin du Canada (en 1000hl) de 2000 à 2016
Source : Organisation Internationale de la vigne et du vin (2016)

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Données

Les données utilisées pour l’analyse quantitative proviennent d’une enquête développée pour le projet de recherche sur l’innovation et les stratégies d’entreprises de l’industrie viticole au Canada (Shearmur et Doloreux, 2021; Frigon et al., 2020; Doloreux et Frigon, 2019). L’objectif de l’enquête était de produire de l’information statistique sur les caractéristiques et les modèles d’innovation, au cours de la période 2015-2017, dans les entreprises viticoles des provinces de la Colombie-Britannique, du Québec et de l’Ontario[1].

Le questionnaire comprend des questions sur les activités d’innovation des entreprises. Celui-ci est inspiré de l’Enquête sur l’innovation et la stratégie des entreprises (Statistique Canada) et le Manuel d’Oslo et il comprend aussi des questions élaborées à partir de la littérature portant sur l’innovation dans le vin. La réalisation d’une enquête inédite étant justifiée par des préoccupations concernant la couverture incomplète de l’industrie viticole dans les enquêtes nationales sur l’innovation, lesquelles excluent les entreprises comptant moins de 20 employés et déclarant un chiffre d’affaires de moins de 250 000 $. De plus, les statistiques sont agrégées au sein du groupement industriel de la fabrication des aliments. En procédant ainsi, nous avons accès à une couverture plus complète de l’industrie viticole au Canada.

L’étude a commencé par l’identification de la population des entreprises viticoles[2] au Canada, i.e. les établissements dont les activités principales consistent à cultiver la vigne et à fabriquer du vin. À partir de la consultation des différents registres provinciaux et régionaux au Canada, nous avons identifié 522 entreprises viticoles, parmi lesquelles 151 ont participé à l’enquête. Il s’agit d’un taux de participation de 28,9 %. Nous reconnaissons que l’étude se limite à un petit échantillon. Cependant, cette situation est courante dans la recherche portant sur les petites entreprises, et tout particulièrement dans l’industrie du vin : d’autres études récentes similaires comptent un nombre d’entreprises sondées et un taux de réponse semblable (Presenza et al., 2017; Galbreath et al., 2016).

Avant de démarrer l’enquête, nous avons réalisé un pré-test du questionnaire auprès de quinze entreprises, pour nous assurer que les questions étaient compréhensibles. Celles-ci portaient sur les différentes activités d’innovation. Le questionnaire comportait des questions sur les activités d’exportation de l’entreprise, relativement à la réalisation de ventes à l’étranger (oui/non) et du pourcentage des ventes dans différents marchés géographiques (régional, national, à l’extérieur du Canada).

Le questionnaire était adressé au propriétaire de l’entreprise, à l’oenologue ou au cadre supérieur possédant une connaissance approfondie de l’entreprise et de sa stratégie d’innovation. Un guide à l’intention des enquêteurs accompagnait le questionnaire afin de fournir les définitions des termes ainsi que des exemples spécifiques pour les répondants qui pourraient en avoir besoin. Nous avons garanti l’anonymat des répondants en leur assurant que les renseignements recueillis durant cette enquête seraient traités de manière confidentielle, et que les analyses seraient agrégées à un niveau tel que l’identification des participants serait impossible. L’enquête a été réalisée par voie téléphonique et gérée automatiquement par le système C.A.T.I. (Computer Assisted Telephone Interview). Les données ont été recueillies d’avril à juillet 2018.

La mesure des variables

Variables dépendantes

Nous utilisons deux variables distinctes comme variables dépendantes. La première mesure la propension à exporter[3], qui est mesurée par une variable dichotomique prenant la valeur 1 si l’entreprise a réalisé des ventes à l’extérieur du Canada, et 0 autrement.

La seconde variable est l’intensité de l’exportation. Celle-ci mesure la part des ventes à l’étranger par rapport au chiffre d’affaires total de l’entreprise. L’avantage de cette mesure est qu’elle fournit un plus large éventail de réponses possibles (entre 0 et 100 %). En raison de la nature tronquée des données, et parce que l’utilisation d’intervalles de taille égale est sensible aux valeurs aberrantes, nous avons utilisé une méthode de discrétisation supervisée – qui maximise l’entropie sur l’espace discrétisé – pour classer les entreprises en trois niveaux d’intensité de l’exportation, soit : 0 = intensité nulle (aucune exportation); 1 = intensité faible et 2 = intensité élevée.

Variables exploratoires

Recherche et développement. La variable de R&D est de type binaire et prend la valeur 1 si l’entreprise a réalisé des activités de R&D et 0 autrement.

Sources de connaissances. L’enquête mesure l’importance de l’utilisation des sources de connaissance acquises auprès des sources externes. Les répondants ont été invités à évaluer l’importance de douze (12) sources de connaissances, en utilisant une échelle en cinq points, de pas importante (1) à très importante (5). Ces sources proviennent du marché (clients, fournisseurs, concurrents, consultants), des institutions (universités, collèges, laboratoires gouvernementaux; instituts de recherche) et de sources générales (conférences, foires commerciales et expositions; journaux scientifiques, professionnels/techniques; investisseurs; associations industrielles). La variable est transformée en une variable binaire en associant 1 lorsque la source de connaissances utilisée à un degré important (4) et très important (5), et 0 autrement[4]. De façon similaire aux travaux de Freel et Robson (2017), nous avons additionné ces scores : notre mesure de l’utilisation de sources de connaissances a l’avantage de mesurer à la fois, la diversité des sources, mais également l’intensité de l’utilisation.

Collaboration. Nous avons construit deux variables pour mesurer l’étendue géographique des collaborations. Nous avons inclus les organisations suivantes : les clients, les fournisseurs, les concurrents, les consultants, les universités, les collèges, les laboratoires gouvernementaux, les institutions de recherche. De plus, l’enquête précise quatre emplacements géographiques possibles pour les partenaires, c’est-à-dire : dans la région, aux États-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde[5].

La première variable mesure l’occurrence des collaborations régionales[6] et celle-ci a été calculée en ajoutant 1 pour chaque combinaison/emplacement géographique indiqué par les répondants. Les huit types de partenaires régionaux ont été combinés en une seule échelle avec un coefficient alpha de Cronbach de 0,911. La seconde variable mesure l’occurrence des collaborations internationales. Comme pour la mesure des collaborations régionales, nous avons mesuré l’occurrence des collaborations internationales en additionnant l’occurrence des huit partenaires dans les trois emplacements géographiques à l’extérieur du Canada et celles-ci ont été combinées en une seule échelle, de sorte que chaque entreprise reçoit un score de 0 lorsqu’elle ne collabore avec aucun partenaire étranger ou un score de 24 lorsqu’elle s’engage dans des collaborations avec tous les partenaires internationaux potentiels (coefficient alpha de Cronbach = 0,793).

Résultats d’innovation. Il n’y a pas de consensus universel concernant la mesure de l’innovation dans le vin (Porto-Gomez et al., 2020). Nous avons cerné, à partir de la littérature, différents résultats liés à des pratiques innovantes dans l’industrie du vin. Nous avons réalisé une analyse factorielle exploratoire en composante principale avec rotation varimax sur les sept résultats liés à l’innovation suivants : (1) nouveaux cépages ou assemblages; (2) amélioration de la qualité des produits; (3) réduction des coûts de production; (4) adoption de nouvelles technologies; (5) produits biologiques; (6) amélioration de la distribution des produits; (7) diversification des sources de revenus (annexe A). Nous avons identifié trois facteurs et nous avons utilisé les scores des facteurs pour l’analyse (déterminés à partir d’une régression des variations) : les trois facteurs sont respectivement appelés « développement de marché », « développement de produit » et « développement de procédé ». Nous avons suivi la littérature quant aux meilleures pratiques pour l’analyse factorielle, et évalué la qualité des constructions par le test d’adéquation de la solution factorielle Kaisser-Meyer-Olkin (KMO), le test de sphéricité de Bartlett et les valeurs de l’Alpha de Cronbach. Les résultats sont soit au-dessus du seuil recommandé ou considérés comme acceptables.

Variables de contrôle

La variable Âge sert de variable de contrôle et elle est mesurée par le nombre d’années depuis lesquelles l’entreprise est en opération, en prenant 2017 comme année de référence. Elle prend les valeurs de 1 à 3 telles que 1= 1-9 ans; 2= 10-19 ans et 3= ≥ 20 ans. Celle-ci permet de repérer l’impact de l’expérience et la capacité de développer des capacités nouvelles pour accéder aux marchés étrangers où les entreprises plus matures sont souvent avantagées par rapport aux jeunes entreprises (Fernandez-Olmos, 2011). La variable Taille est introduite dans le modèle, afin de mesurer l’effet de la taille de l’entreprise sur l’exportation, et prend les valeurs de 1 à 3 telles que : 1= 1-9 employés; 2= 10-24 employés, et 3= ≥ 25 employés. Le secteur du vin au Canada est généralement composé de petites entreprises; la variable Taille permet de capter les capacités et les ressources que les entreprises possèdent pour exporter. Finalement, la variable Emplacement géographique permet de repérer l’impact de la prise en compte de la localisation de l’entreprise sur les autres variables du modèle. L’introduction de cette variable permet de tester en quoi les caractéristiques structurelles, les institutions en place et la culture d’une région peuvent influencer le comportement et les rendements des entreprises en matière d’exportation (Doloreux et al. 2019). Pour chacune des provinces, nous avons créé une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’entreprise y est localisée ou non.

Modèles analytiques

L’analyse comporte deux niveaux. Tout d’abord, une analyse descriptive a été réalisée à partir des différentes variables liées à l’innovation entre les entreprises qui exportent et celles qui n’exportent pas. Deuxièmement, des modèles de régression logit et ordinale sont estimés. Dans le premier modèle, nous mesurons les déterminants d’innovation qui sont associés à la propension à exportation, qui est mesurée par une variable dichotomique (voir Tableau 1). Le modèle de régression formulé pour examiner ses déterminants est de forme logistique et se lit comme suit :

Modèle logistique (exportation =1)

Tableau 1

Définitions opérationnelles des variables

Définitions opérationnelles des variables

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Dans le deuxième modèle, nous mesurons les déterminants d’innovation qui expliquent l’intensité de l’exportation, composée de trois échelles ordinales (voir Tableau 1). Le modèle de régression formulé est de forme ordinale. Celui-ci est souvent utilisé pour estimer la probabilité d’atteindre un niveau plus élevé en lien avec la variable dépendante. Considérant que les entreprises déclarant ne pas exporter sont les plus nombreuses, nous prenons cette classe comme référence, et le modèle de régression logistique ordinale se lit comme suit :

Modèle de régression logistique ordinale (intensité de l’exportation)

Les deux types de modèle incluent les mêmes variables exploratoires liées à l’innovation et des variables de contrôles liées aux caractéristiques de l’entreprise (Tableau 1). Les statistiques descriptives des variables dépendantes et explicatives utilisées dans cette étude sont présentées dans le tableau 2. Le tableau en annexe B présente la matrice de corrélation entre les différentes variables.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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Les résultats empiriques

Analyses descriptives

Le tableau 3 présente les résultats descriptifs entre le groupe d’entreprises qui exportent et celui des entreprises qui n’exportent pas. L’exportation n’est pas une activité réalisée par une majorité d’entreprises, tel que le premier résultat le révèle : seulement 36 entreprises (36 sur 151, ou 23,8 %) ont déclaré réaliser des ventes à l’extérieur du Canada. Ce résultat rappelle deux caractéristiques importantes de l’industrie du vin au Canada. La première est que l’exportation n’est pas une activité courante, les entreprises pour l’essentiel réalisant leurs ventes dans les marchés locaux et provinciaux. La deuxième est que la faible propension des entreprises à exporter du vin peut s’expliquer par les faibles volumes de production des entreprises canadiennes. Les producteurs présentent effectivement des limites, dans leurs capacités de production, pour répondre à la demande. Si, dans une majorité de cas, les entreprises canadiennes ont de la difficulté à satisfaire à la demande locale, celles-ci ne seront pas tentées de prendre le risque d’exporter vers les marchés étrangers.

Tableau 3

Déterminants de l’innovation selon le profil d’exportateur

Déterminants de l’innovation selon le profil d’exportateur

a Pourcentage d’entreprises avec un score de 4 [= important] ou 5 [= très important].

b Pourcentage d’entreprises qui ont identifié une collaboration avec au moins un partenaire régional.

c Pourcentage d’entreprises qui ont identifié une collaboration avec au moins un partenaire international.

d Pourcentage d’entreprises avec un score de 4 [= important] ou 5 [= très important].

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Lorsque nous regardons les résultats quant aux déterminants liés à l’innovation, nous observons que les entreprises qui exportent réalisent davantage de R&D que les entreprises qui n’exportent pas (31,0 % contre 14,9 %). En ce qui concerne le recours aux sources de connaissances, les résultats montrent aussi que les entreprises qui exportent accordent une plus grande importance aux différentes sources, en particulier les sources liées aux fournisseurs, aux laboratoires gouvernementaux et instituts de recherche, aux journaux scientifiques, professionnels et techniques ainsi qu’aux investisseurs. Au plan des collaborations, les entreprises qui exportent sont plus nombreuses à collaborer par rapport à celles qui n’exportent pas, et ceci est vrai à la fois pour les collaborations avec des partenaires régionaux qu’internationaux.

Pour ce qui est des résultats de l’innovation, les entreprises qui exportent ont tendance à être plus innovantes que les entreprises qui n’exportent pas, et ce, pour l’ensemble des types d’innovation, à l’exception des innovations liées aux activités de marketing et dans la diversification des sources de revenus. Ce résultat suggère, d’une part, qu’il est important de considérer les différents types d’innovation de l’entreprise et, d’autre part, que tous les types d’innovation ne sont pas associés, de manière égale, à l’exportation.

L’analyse descriptive montre quelques différences entre les exportateurs et les non-exportateurs, pour ce qui est des caractéristiques des entreprises (Tableau 4), notamment pour la taille des entreprises et leur emplacement géographique. Il n’y a pas de différence liée à l’âge. En ce qui concerne la taille des entreprises, les entreprises de plus grande taille, de même que celles localisées dans la province de l’Ontario, sont celles qui exportent davantage.

Tableau 4

Caractéristiques de l’entreprise selon le profil d’exportateur

Caractéristiques de l’entreprise selon le profil d’exportateur

Note : * significatif au seuil de 10 %; ** significatif au seuil de 5 %; *** significatif au seuil de 1 %.

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Les analyses économétriques

Afin de fournir des conclusions plus solides relativement aux associations statistiques entre les variables liées à l’innovation et à l’exportation, cette section présente les estimations des modèles de régression logit et ordinale (Tableau 5). Dans l’ensemble. les résultats des deux modèles sont étroitement comparables aux résultats des analyses descriptives de la section précédente.

Tableau 5

Estimation de la probabilité d’exporter

Estimation de la probabilité d’exporter

Note : Les chiffres entre parenthèses correspondent aux p-values. * significatif au seuil de 10 %; ** significatif au seuil de 5 %; *** significatif au seuil de 1 %.

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Les résultats de l’estimation du modèle explicatif de la propension à exporter sont présentés dans le tableau 5 (partie de gauche). Ce modèle inclut les 151 entreprises de notre échantillon, duquel 36 entreprises ont répondu avoir réalisé des ventes à l’étranger. Le modèle, dans son ensemble, donne un R2 de 0,344 et il est significatif au seuil de 1 %. Les variables expliquant l’exportation sont nombreuses à présenter des effets significatifs et positifs, parmi lesquels nous retrouvons la R&D, les collaborations internationales, les innovations liés aux procédés et au développement de marché. En ce qui concerne les variables de contrôle, la taille de l’entreprise montre un effet significatif et positif sur l’exportation, tandis que l’emplacement géographique des entreprises dans les provinces du Québec et de la Colombie-Britannique (en comparaison avec l’Ontario) montre, au contraire, un effet significatif et négatif.

Les résultats en lien avec l’intensité à exporter (aucune exportation, intensité faible et intensité élevée) sont présentés dans le Tableau 5 (partie de droite). Le modèle, dans son ensemble, donne un R2 de 0,251 et il est significatif au seuil de 1 %. Des facteurs similaires à la propension d’exporter sont associés à l’intensité de l’exportation, parmi lesquels il y a la R&D; et, contrairement aux résultats liés à la propension à exporter, cette dernière ne révèle aucun effet statistiquement significatif.

Discussion et conclusions

Le principal apport de cet article est de proposer la toute première analyse sur l’impact des facteurs liés à l’innovation sur la décision d’exporter des entreprises dans le cadre particulier de l’industrie viticoles au Canada.

À la lumière de ces analyses, il est désormais possible d’interpréter les résultats en fonction des hypothèses formulées. Il est cependant important de rappeler que la nature de cette étude se veut exploratoire. Nous explorons les associations entre différentes activités de l’innovation et l’exportation. Notre analyse n’est pas causale, c’est-à-dire que nous sommes conscients que l’une ou l’autre pourrait être une variable dépendante. À cet effet, si des associations significatives sont établies, cela fournira, en soit, de nouvelles perspectives quant aux associations entre les activités d’innovation et l’exportation dans les entreprises viticoles au Canada, perspectives qui nécessiteraient bien sûr une exploration plus approfondie dans des recherches futures.

La première hypothèse regarde la relation entre les activités internes d’innovation, mesurées à partir de la R&D et l’exportation. Ce facteur montre un impact significatif et positif sur l’exportation, mais semble avoir moins d’impact pour expliquer l’intensité de l’exportation. Cette activité entraîne non seulement de nouvelles connaissances sur les manières d’améliorer des produits existants ou la création de nouveaux produits, mais aussi le développement et l’amélioration des capacités techniques de production pour les commercialiser dans de nouveaux marchés (Doloreux et Lord-Tarte, 2014; Karelakis et al., 2008). Si les activités de R&D permettent aux entreprises d’être plus compétitives en vue de pénétrer les marchés étrangers, nous pouvons raisonnablement croire que l’action d’exporter constitue aussi un vecteur de transfert de connaissances important. Autrement dit, toute entreprise qui exporte augmente, ou cherchera à augmenter, sa base de connaissances.

La deuxième hypothèse concerne la relation entre l’ouverture des entreprises et l’exportation. Nos résultats montrent que le recours aux sources de connaissances ne conditionne pas les activités d’exportation. Ces résultats confirment des travaux récents qui démontrent que les entreprises canadiennes adoptent des comportements introvertis, où elles reposent l’essentiel de leurs stratégies sur le développement d’activités internes (Doloreux et al., 2020). En effet, de nombreux entrepreneurs ont acquis des connaissances de base en vinification, en viticulture et en gestion à l’étranger, et se concentrent désormais sur l’application et le développement de ces connaissances dans leurs vignobles.

Ce résultat, quoique contraire aux enseignements de la littérature (Muscio et al., 2017; Presenza et al., 2017), confirme une autre caractéristique importante de l’industrie du vin au Canada : il s’agit de l’isolement relatif des entreprises, un isolement qui se traduit par de plus grandes difficultés à trouver des sources externes et à interagir avec celles-ci. Cependant, avant d’en arriver à formuler des conclusions définitives, il faudrait explorer davantage les conditions dans lesquelles l’introversion peut conduire une entreprise à exporter un produit avec succès. Cette étude montre d’ailleurs que la variable liée à la collaboration internationale s’est avérée positive et significative, et ce, pour prédire la décision d’exporter et son intensité. L’absence d’une masse critique de compétences existantes grâce aux partenariats régionaux, de même que l’isolement relatif des entreprises au Canada, pourraient expliquer ce résultat. C’est un résultat mettant de l’avant deux éléments structurants. D’une part, les collaborations internationales permettent aux entreprises d’acquérir de nouvelles connaissances en lien avec les nouveaux marchés et de faire face à l’incertitude liée au processus d’exportation. D’autre part, le nombre limité d’entreprises exportatrices fait qu’il leur est globalement difficile d’établir des collaborations régionales (avec d’autres entreprises de la filière) dans le but d’échanger et de partager un savoir acquis par l’exportation.

La troisième hypothèse concerne la relation entre les résultats de l’innovation et l’exportation. Les résultats obtenus montrent un effet significatif des innovations de procédés et des innovations liées au marché, dans l’exportation et l’intensité de l’exportation. Toutefois, les innovations de produits, bien qu’importantes dans les deux cas (Maurel, 2009; Fernadez-Olmos, 2011), semblent avoir moins d’influence, au Canada. Ce résultat peut être associé à certaines spécificités de l’industrie canadienne : c’est une jeune industrie qui n’offre pas de produits différenciés pour les marchés étrangers. En revanche, l’innovation de procédés et l’innovation de marché permettent aux entreprises d’exploiter de nouvelles procédures de production et des pratiques lesquelles, à leur tour, permettent de définir et d’adapter des stratégies pour commercialiser et vendre les produits dans de nouveaux marchés, et aussi de bâtir une image de marque et de consolider leur réputation à l’international.

Pour conclure, il conviendrait d’élargir l’étude à de nouvelles perspectives de recherche. Il serait sans doute intéressant d’étudier la trajectoire des acteurs, c’est-à-dire la nature des motivations des propriétaires d’une exploitation quant à leur volonté d’exporter au non tel ou tel produit. De plus, il serait souhaitable d’étudier, de façon temporelle, le comportement innovateur de l’entreprise en fonction de ses différentes activités d’exportation. De procéder ainsi permettrait de mieux saisir l’évolution des activités d’innovation parallèlement aux stratégies d’affaires d’une entreprise à l’étranger, i.e. dans un marché non domestique. Une autre avenue consisterait à mieux comprendre l’influence de l’environnement régional. Dans quelle mesure l’environnement régional influence-t-il le développement des capacités d’exportation des entreprises canadiennes ? Voilà une piste de réflexion qui prolongerait le travail que nous avons réalisé, tout en fournissant l’occasion d’analyser le comportement d’exportation des entreprises dans des régions viticoles différentes. Ceci permettrait en outre de mieux comprendre les comportements et les stratégies des entreprises viticoles canadiennes, et de voir comment les spécificités structurelles et les arrangements institutionnels propres à chacune des régions viticoles influencent le développement et la croissance de ces entreprises.