Introduction. Retour vers la nostalgie[Notice]

  • André Habib

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  • André Habib
    Université de Montréal

« In Greek the word means ‘the wounds of returning’. Nostalgia is not an emotion that is entertained; it is sustained. When Ulysses comes home, nostalgia is the lump he takes, not the tremulous pleasures he derives from being home again. » Retourner brièvement sur l’histoire et la fascinante fortune intellectuelle de ce mot, nostalgie, issu de la nosographie médicale du 17e siècle, n’est peut-être pas une mauvaise manière d’introduire ce numéro que la revue Intermédialités lui consacre, et cette collection de textes qui, de façon singulière et disparate, en proposent quelques dérivés. Ce serait aussi déjà un moyen de commencer à le retourner, de voir de quoi il retourne, se demander quelles variétés de retours, souvent contradictoires, il mobilise et engage. S’il est admis que la nostalgie n’a jamais été autant à la mode, qu’elle fait l’objet d’un intérêt critique, académique et public soutenu depuis plusieurs années, c’est aussi — lançons l’hypothèse — parce qu’elle prend différentes apparences, se prête à différentes lectures, au point de devenir, selon l’angle et le contexte où elle s’énonce ou s’éprouve, méconnaissable, tour à tour maladie, symptôme, remède. C’est certainement cette pluralité de formes, d’identités et de définitions, qui fait que la nostalgie est un bon objet pour une revue comme celle-ci, puisqu’elle peut profiter de l’indécidabilité qui l’habite pour en tester l’élasticité et le caractère polymorphe. C’est ainsi, dans le miroitement des approches et des regards, que de nouvelles possibilités pour la pensée s’ouvrent (et c’est ce qu’autorise l’intermédialité en général). Aussi, commençons par revenir. Pour mémoire, après la création de ce néologisme gréco-latin par un très jeune étudiant en médecine bâlois en 1688 et son ascension fulgurante dans le domaine médical, philosophique puis esthétique jusqu’à la fin du 19e siècle, la nostalgie semble perdre du lustre au fil du 20e siècle (et en particulier dans la période d’après-guerre, encore chargée d’optimisme), acquérant des connotations négatives, notamment auprès de nombre d’intellectuels alertés par les dangers des révisionnismes et des recyclages culturels décomplexés, devenant même une sorte d’affect paria, repoussoir (on lui préfère volontiers une « mélancolie de gauche ») dans les années 1970 et 1980 : politiquement rance, culturellement vile, idéologiquement suspecte. Les critiques les plus féroces de la nostalgie se font entendre au moment où, en tant que trope de la condition postmoderne, elle irrigue les productions culturelles étatsuniennes et européennes, qu’on pense au cinéma (d’American Graffiti de George Lucas, 1973, à Cinema Paradiso, Giuseppe Tornatore, 1988), à la musique (la pratique de l’échantillonage, du pastiche), à la mode (le rétro), à l’architecture. Mais c’est aussi à cette époque que l’on assiste à une première prise en compte de la nostalgie comme objet de réflexion, en dehors du domaine de la médecine et de la psychologie, en sociologie ou en philosophie, avant de devenir un thème de pensée discret de la réflexion postmoderne et d’être adoptée dans d’autres domaines des sciences humaines et sociales pour rendre compte de la portée « nostalgique » de leurs objets et de leurs champs d’expertise (en histoire de l’art, en design, en musique, etc.). Le climat intellectuel et les événements politiques qui ont succédé à l’effondrement du bloc soviétique (ne parlait-on pas alors de la fin de l’histoire ?), une reconfiguration des régimes de sensibilité et des structures des sentiments, mais aussi une transformation profonde des cadres mémoriels et médiatiques (notamment depuis l’avènement du numérique), semble avoir depuis engendré une prolifération de manifestations nostalgiques qui s’est répercutée, à terme, dans la recherche savante. Cette dernière, en partie, a eu la tâche de la réhabiliter en …

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