Comptes rendus

Guyot, Elsa. Rejouer l’histoire. Le Moyen Âge dans les musées du Québec. Montréal, Leméac, 2021, 182 p.[Notice]

  • Philippe Boulanger

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  • Philippe Boulanger
    Chercheur indépendant

Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, l’historienne de l’art Elsa Guyot démontre que même si le territoire du Québec n’a pas existé en tant que tel au Moyen Âge, celui-ci est bien présent dans nos musées. Loin de faire une liste monotone des expositions et des objets médiévaux au Québec, elle révèle comment une exposition est un lieu de discours qui présente le Moyen Âge et comment il est influencé par des contextes et des enjeux contemporains. La scénographie d’une exposition est donc autant un sujet d’étude que les objets exposés. C’est pourquoi elle n’aborde que des expositions conçues par des musées québécois, mais dont les objets peuvent venir d’ailleurs. Le premier chapitre commence par un rappel historiographique de la mauvaise presse qui accompagne la période médiévale depuis la Renaissance, puis par sa redécouverte au 19e siècle, notamment dans l’art néogothique nord-américain, dont Notre-Dame de Montréal est un exemple notoire (1824). Au même moment, les études médiévales se développent à Toronto, à Ottawa et enfin à Montréal grâce à l’Institut d’études médiévales Albert-le-Grand établi par les Dominicains en 1942. Parallèlement, des collections d’objets médiévaux commencent être rassemblées en Amérique du Nord. Enluminures, parchemins et pièces de monnaie ouvrent la voie à d’autres oeuvres plus grandes comme des tapisseries. Nombre de ces premières collections sont d’abord privées, mais elles finissent par être offertes aux musées, notamment aux futurs Musée des beaux-arts de Montréal et Musée d’art de Joliette. Ce dernier est redevable des collections constituées par les Clercs de Saint-Viateur et le père Wilfrid Corbeil, qui crée à Joliette un premier espace muséal à vocation également pédagogique. Comme dans le milieu universitaire, ce sont donc des religieux qui sont derrière cette première mise en avant du Moyen Âge au Québec. Or, ils considèrent cette période comme une référence esthétique et spirituelle. C’est pourquoi les premières expositions à Joliette ou au futur Musée national des beaux-arts du Québec ont des présentations invitant à la contemplation. Ce n’est qu’avec la Révolution tranquille que la dimension religieuse commence à être mise de côté dans les expositions du Québec. Le deuxième chapitre aborde de quelle manière la politique peut être sous-jacente aux expositions sur le Moyen Âge. En 1944, le Musée des beaux-arts de Montréal présente une réplique de la tapisserie de Bayeux. L’exposition s’ouvre à quelques jours du débarquement de Normandie et l’historienne démontre que ce choix n’est pas anodin. En effet, les musées jouent un rôle dans la guerre puisqu’ils sont sollicités pour diffuser des messages de cohésion ou de propagande pour les Alliés. Les conférences, expositions temporaires, collectes de fonds, projections de films et concerts qu’ils organisent aident à soutenir l’effort de guerre, tant à Montréal qu’en Europe. Confectionnée en Normandie au 11e siècle, la tapisserie de Bayeux décrit un débarquement victorieux (les Normands envahissant l’Angleterre), comme celui que l’on sait à venir en 1944. Par ailleurs, lors de la tenue de cette exposition, la véritable tapisserie est perdue en France occupée par les Allemands, ce qui suscite beaucoup d’inquiétude à (on la retrouvera intacte à la libération de Paris). Plus tard, en 1972, alors que le Québec est en plein mouvement d’affirmation nationale, deux expositions mettent en évidence comment la représentation du Moyen Âge est influencée par ce contexte social et politique. Tandis que le Musée national des beaux-arts du Québec organise une exposition sur l’art français au Moyen Âge, y soulignant l’héritage français du Québec, le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa tient une exposition sur les échanges culturels entre la France et l’Angleterre au Moyen Âge. Les objets de cette dernière exposition proviennent …