Comptes rendus

Cousseau, Vincent, Prendre nom aux Antilles. Individu et appartenances (XVIIe-XIXe siècle) (Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2012), 446 p.[Notice]

  • Jean Hébrard

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  • Jean Hébrard
    École des Hautes Études en Sciences Sociales

Cet ouvrage, élégamment édité par le Comité des travaux historiques et scientifiques, est la reprise d’une thèse soutenue il y a peu (2009) qui permet d’entrer de plain-pied dans une recherche particulièrement innovante dont il est difficile de citer un équivalent. Au départ, l’auteur nous installe dans le champ de la démographie historique dont il maîtrise la méthodologie. Comme le confirme Danielle Bégot qui signe la préface, c’est une tradition dans l’historiographie antillaise francophone : ce type d’approche a fourni le substrat de la plupart de nos connaissances en histoire sociale sur les îles françaises du vent. Toutefois, parmi les multiples marqueurs habituellement utilisés dans ces travaux, Vincent Cousseau choisit celui qui a souvent été considéré comme le plus pauvre, le prénom. Peu de chercheurs ont tenté de scruter toute une société, qui plus est, sur une relativement longue durée, à partir de cet instrument. Il est vrai que ce n’est pas n’importe quelle société. L’introduction massive de captifs africains dans ces colonies françaises y avait développé un certain nombre de pratiques coercitives qui touchaient non seulement aux corps mais aussi aux esprits qu’il fallait installer dans leur condition subalterne et soumettre à l’autorité despotique de leurs propriétaires. La dé-nomination était l’un des aspects de la violence symbolique que la traite européenne exerçait méthodiquement sur les captifs. Sur les bateaux, ils n’étaient plus qu’une entrée comptable ; plus rien ne devait s’écrire de leur identité passée. À l’arrivée, un prénom chrétien leur était attribué, quelquefois un diminutif de celui-ci ou un sobriquet. Le baptême qui intervenait plus ou moins tôt après l’installation dans « l’atelier » d’une « habitation » confirmait ou infirmait le premier choix ou s’y rajoutait. Cela n’avait pas grande importance, car les dénominations pouvaient se superposer les unes aux autres ou se transformer au hasard des ventes et achats successifs de ces « biens ». Certes, tout changeait après, particulièrement à l’occasion de deux événements majeurs de la vie esclave : la mise au monde de nouveau-nés et, plus rarement, l’accès à la liberté par l’affranchissement. Dans le premier cas, le choix d’un prénom pour le bébé s’inscrivait directement dans la procédure chrétienne du baptême et faisait intervenir plusieurs acteurs dont, jusqu’ici, on appréciait mal le poids respectif : parents, parrains, propriétaires (catégories quelquefois peu étanches). Dans le deuxième cas, l’ex-esclave se voyait ouvrir la possibilité d’ajouter à son prénom un deuxième nom qui deviendrait le nom de famille transmis à sa descendance. La même procédure fut imposée, cette fois, aux derniers esclaves en 1848. À ces deux occasions, les historiens des sociétés esclavagistes se demandaient jusqu’à quel point et selon quelles orientations les esclaves ou les ex-esclaves manifestaient ou non leur capacité d’agir (leur agency) en choisissant des prénoms ou des noms qui échappaient plus ou moins à l’ordre social et symbolique esclavagiste dans lequel ils vivaient. Voilà ce que l’on savait sur la question ou, du moins, ce que l’on croyait savoir avant d’avoir lu le livre de Vincent Cousseau. En effet, en prenant l’attribution du prénom comme un phénomène social global touchant tous les individus d’un territoire déterminé, l’historien construit une matrice interprétative qui, synchroniquement et diachroniquement, change sérieusement la description du phénomène et l’analyse interprétative qu’on peut en faire. Sa base documentaire est impressionnante : plus de trente mille enregistrements de dénominations. Ont été ainsi exploités sur près de trois siècles les registres paroissiaux et, avec la Révolution, l’état-civil ; les actes notariaux divers (dont les inventaires si riches) ; mais aussi les témoignages ne relevant pas de la sphère administrative (journaux, mémoires, papiers familiaux, correspondance, récits, etc.). Que faire de …