Poésie

Talent, inspiration et autres miracles[Notice]

  • Jean-Noël Pontbriand

Quiconque réfléchit à la question de la création et même de la recréation de textes poétiques est rapidement confronté au talent et à l’inspiration, deux supposées évidences proclamées par les tenants d’une tradition qui remonte à Platon et Aristote, et dont Boileau qui s’en est fait le porte-parole officiel lorsqu’il écrit dans son Art poétique : « C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur / Pense de l’art des vers atteindre la hauteur. […] Si son astre en naissant ne l’a pas fait poète. » Cette tradition ne s’est hélas pas essoufflée après la mort de Boileau et trouve encore écho dans la bouche de plusieurs sommités qui, lorsqu’elles se mêlent de parler de création (qu’elle soit littéraire, musicale, picturale ou autre), ne manquent pas de réchauffer le vieux plat, et de nous le resservir d’une façon plus concise : on naît poète, on ne le devient pas. La boutade, car c’en est une (même si elle contient beaucoup de vrai comme j’essaierai de le montrer), est également servie, comme amuse-gueule ou hors-d’oeuvre par certains créateurs qui espèrent ainsi susciter de la part du vulgaire, une certaine admiration parce qu’elle fait d’eux des êtres appartenant à une catégorie à part, qui ont leurs entrées chez les dieux dont ils conservent, autant dans leur démarche que dans leurs paroles, quelque chose de particulier qui les rend infaillibles dans leurs propos et non soumis à la norme commune dans leurs comportements. Mais qu’en est-il vraiment ? Essayons de voir clair en retraçant de l’intérieur le parcours de celui qui, de misère et d’arrache-pied, finit par ouvrir la porte qui lui permettra d’entrer dans l’enceinte du temple à l’intérieur duquel quelqu’un s’adonne à l’apprentissage de la parole, et de reconnaître que ce quelqu’un, c’est lui-même ou quelqu’un d’autre qui lui ressemble, et non un mage, un dieu ou je ne sais quelle autre figure mythique qui, sans effort aucun, et du seul mouvement de son bras propulsé par un génie, est capable d’engendrer des textes qui feront se pâmer tous ceux qui les liront. Mais n’allons pas trop vite. Tentons d’abord de préciser le chemin conduisant à l’écriture, et l’expérience qui rend son existence possible. Constatons, en premier lieu, que chaque écrivain accède à la littérature par des voies qui lui sont propres, même si tous les écrivains s’adonnent à une activité commune : écrire. De même, chaque écriture se démarque de sa voisine par un ensemble de caractéristiques (trop souvent résumées par le mot style) qui font de tel texte ce qu’il est, et de telle oeuvre ce qu’elle représente. Tout texte est tributaire autant de l’époque qui l’a vu naître et de l’histoire personnelle de son auteur que d’un certain quelque chose d’indéfinissable généralement désigné par le mot inspiration, justement, et dont nous tenterons de cerner la véritable nature. C’est d’ailleurs dans le sillage de cette inspiration qu’on voit surgir la notion de talent, même si chacun sait, ou finit par savoir, que le talent ne remplace rien, mais qu’il est préférable d’en avoir lorsqu’on songe à s’adonner à une activité particulière comme le sport, les finances ou la pratique des arts. Tous ces éléments se mélangent d’une certaine façon et sont l’occasion d’une coloration des mots et du langage, elle-même rendue possible par l’engagement de l’auteur, sa disponibilité à rendre visible, sur la page, une manifestation de la « présence » et un accomplissement autant de son être que de « l’être », par le biais de telle ou telle pratique d’écriture. Les textes qui ont du poids et de la densité …

Parties annexes