Débat

D’un nécessaire passage du témoinBornand, Marie, Témoignage et fiction. Les récits de rescapés dans la littérature de langue française (1945-2000), Genève, Librairie Droz, 2004.[Notice]

  • Anne Martine Parent

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  • Anne Martine Parent
    Université du Québec à Chicoutimi

Le livre de Marie Bornand vient s’ajouter à la courte liste des monographies en français sur le témoignage. En effet, la plupart des ouvrages critiques portant sur le sujet, et notamment sur les récits liés à l’expérience concentrationnaire, ne sont disponibles qu’en anglais. L’étude de Marie Bornand est donc importante à plus d’un titre. D’une part, l’auteure fait le point sur la notion de témoignage dans le champ de la critique française, proposant ainsi une vue d’ensemble riche et rigoureuse qui prend appui sur la tradition littéraire et critique depuis la Seconde Guerre mondiale. D’autre part, elle développe et déploie cette notion dans un ensemble d’analyses variées, à la fois pertinentes et intelligentes, qui permettent de cerner les enjeux de la pratique testimoniale ; ceci avait été peu fait en langue française pour un domaine critique qui, aux États-Unis, croît de plus en plus depuis une quinzaine d’années. L’ouvrage s’intéresse au témoignage en tant que prise de parole, en tant que système énonciatif. En mettant l’accent sur la « situation de communication » qui caractérise la pratique testimoniale, l’auteure propose une « pragmatique du témoignage » (p. 8-9). Cet angle d’approche est particulièrement approprié à son objet d’étude, puisque la spécificité de la parole testimoniale se trouve dans l’acte de communication qu’elle met en place et dans sa dimension performative. « La pratique éthique et légitime du témoignage, écrit Marie Bornand, réside dans cet acte performatif qui consiste à transformer le lecteur en témoin » (p. 225). Ce qui caractérise l’écriture testimoniale, d’un point de vue pragmatique, c’est la place fondamentale accordée au lecteur que le texte cherche à affecter — ici, l’auteure fait appel à la théorie du lecteur affecté développée par Ricoeur dans Temps et récit III — et, du même coup, à intégrer dans la chaîne testimoniale afin qu’il devienne un témoin indirect. Le témoignage n’est donc pas envisagé comme un genre mais comme une pratique d’écriture. La distinction est importante, puisqu’elle permet à l’auteure de constituer un corpus d’analyses diversifié qui va de ce qu’elle nomme les témoignages de « première génération », c’est-à-dire écrits par des rescapés des camps nazis tels que Robert Antelme, David Rousset et Charlotte Delbo, jusqu’à des romans qui évoquent de manière allégorique les violences du totalitarisme, comme La peste de Camus ou Le nom des singes d’Antoine Volodine, en passant par des textes comme W ou le souvenir d’enfance de Perec et la trilogie d’Agota Kristof. Marie Bornand propose donc un parcours à travers différents types de récit qui ont en commun, outre le contenu évoquant « l’expérience de l’oppression idéologico-politique » (p. 16), une posture énonciative particulière : l’auteur, ou le narrateur, « s’exprime en tant que témoin et, simultanément, prend le lecteur à témoin, l’implique dans sa cause » (p. 9). L’originalité et la force novatrice de l’étude de Marie Bornand réside précisément dans cet accent mis sur l’écriture testimoniale en tant qu’acte performatif, ce qui permet d’étendre cette pratique au-delà de ce qu’on désigne généralement sous le terme « témoignage ». Ce qui fait l’acte testimonial, c’est le rôle conféré au lecteur par le texte. Ainsi, un texte de fiction peut acquérir une valeur testimoniale si, au cours de sa lecture, le lecteur est appelé « à répondre au texte […] à se laisser transformer par lui» (p. 61). Les analyses proposées par l’auteure démontrent les moyens narratifs et rhétoriques déployés par les différents textes visant à faire du lecteur « un partenaire actif dans la transmission d’une mémoire, dans l’élaboration d’une chaîne du témoignage » (p. 129). Dans ce contexte, la parole testimoniale n’est plus …

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