Présentation. Relire Claude Duchet. Cinquante ans de sociocritique[Notice]

  • Bernabé Wesley

Dans un texte paru en 1971 dans le premier numéro de Littérature, Claude Duchet définit ce qu’il appelle alors « la socio-critique » comme « une sémiologie critique de l’idéologie », qui a pour but d’« installer […] le logos du social, au centre de l’activité critique et non à l’extérieur de celle-ci ». En 2021, ce texte fondateur a eu cinquante ans. Dans le cadre de cet anniversaire, les revues Études françaises et Littérature proposent de relire l’oeuvre de Claude Duchet dans deux numéros distincts dont la parution simultanée souligne la richesse et la complexité de cette pensée de la socialité de la littérature. Loin de prendre les formes traditionnelles de l’hommage ou du bilan, ce double numéro est d’abord l’occasion d’un dialogue critique qui permet d’évaluer l’apport de la sociocritique des textes à ce que l’on a coutume d’appeler la théorie littéraire, de le questionner et d’en saisir les développements et les voies d’exploration sur un demi-siècle. La sociocritique est moins redevable à Claude Duchet pour tel ou tel concept que pour l’ensemble d’une proposition heuristique qui examine en priorité l’« écriture de la socialité » propre à la littérature. Dans l’effervescence théorique des années 1960-1970, cette proposition cherche, rappelons-le, à donner une esthétique au marxisme. À cette fin, la sociocritique pose pour hypothèse théorique fondamentale que c’est dans la mise en forme esthétique et le travail textuel opéré sur les signes, les langages et les représentations sociales que se produit la sédimentation du sens et qu’une oeuvre gagne son originalité. Une telle proposition donne naissance à une perspective de lecture qui peut être définie comme une herméneutique de la socialité des textes. Celle-ci suppose un geste herméneutique, lequel consiste à expliquer la forme-sens des textes, pour évaluer et mettre en valeur leur historicité, leur portée critique et leur capacité d’invention à l’égard de la vie sociale. Elle se distingue d’une part du formalisme russe et de la poétique – à cette dernière, elle emprunte un certain nombre d’outils de description des textes, mais elle réfute l’idée que le texte est, à l’égal de « l’huître » pongienne, « un monde opiniâtrement clos ». D’autre part, la sociocritique se démarque clairement de la sociologie de la littérature, laquelle considère les relations du texte au social en termes de stratégies de légitimation symbolique et selon une logique de la preuve qui réduit le texte littéraire à un document. En considérant l’un ou l’autre aspect de ce geste critique, quatre pistes de réflexion se dégagent. La première d’entre elles est d’ordre théorique. Elle tient d’abord à la créativité conceptuelle d’une oeuvre qui décrit précisément ce qu’elle appelle la socialité des textes littéraires. L’étrave d’un tel navire réside dans le concept de sociogramme, que Claude Duchet définit « comme un “ensemble flou, instable, conflictuel, de représentations partielles, aléatoires, en interaction les unes avec les autres, gravitant autour d’un noyau lui-même conflictuel” ». Cette définition ne peut être comprise sans les notions corrélées d’information, d’indice et de valeur, ainsi que celle de cotexte. Si le réel demeure hors de portée, il est toujours déjà dit sous la forme d’une masse d’informations brutes, de toponymes et de dates incontournables qui signalent une société de référence. Le texte, lui, intègre et désigne un cotexte composé de ces informations référentielles, mais déjà sémiotisées dans des configurations discursives et traduites en indices par cette première sémiotisation. Cet espace de référence socioculturelle suppose, à l’intérieur même de l’oeuvre, un univers de connivence fait de savoirs, de discours et de clichés dans lesquels se négocie la production du sens. Le système de correspondances, les …

Parties annexes