Immigration et intégration linguistique : vers un indicateur de réceptivité sociale[Notice]

  • Victor Piché

Consulter l’article original : volume 4, numéro 1, printemps 2004

Pendant longtemps au Québec, les préoccupations linguistiques étaient inséparables des préoccupations ethniques. Parler des francophones revenait à toute fin pratique à parler des Canadiens français tant au Québec qu’ailleurs au Canada. La question centrale tournait autour d’une notion vague d’équilibre démo-ethnique consacrée dans le recensement de 1871 partageant la société québécoise en trois groupes ethniques : les Français (78%), les Britanniques (20%) et les Autres (2%). Alors que les Canadiens français hors-Québec étaient aux prises avec une assimilation continuelle, vérifiée à chaque dix ans grâce à la question sur l’origine ethnique des recensements depuis 1871, le Québec, jusqu’aux années 1970, expérimentait une relative stabilité dans sa composition ethnique, la proportion des Français demeurant autour de 80%, pourcentage jugé politiquement acceptable (ou en tout cas non alarmiste). Et même si les « Autres » s’assimilaient aux Britanniques, la croissance démographique plus élevée des Canadiens français maintenait leur importance démographique. Ce n’est qu’avec la chute de la natalité et les projections démographiques « alarmistes » des années 1970 (voir par exemple Charbonneau, Heripin et Légaré, 1970) que les Allogènes, transformés en Allophones, devenaient un enjeu politique pour les gouvernements québécois. Tant et aussi longtemps que les préoccupations demeuraient ethniques et que la question francophone se confondait avec la question ethnique, les indicateurs basés sur l’origine ethnique remplissaient leur fonction sociale et politique de suivi (monitoring) de l’évolution de l’assimilation. Deux brèches vont affaiblir ce consensus quasiment séculaire. La première apparaît au cours des années 1960-1970 avec le projet de modernisation du Québec porté par de nouvelles classes dirigeantes, projet qui, par ses visées universalistes, s’accommode mal de la référence ethnique. Toutefois, même si la nation canadienne française devient québécoise francophone dans le discours nationaliste, plusieurs analystes continuent à voir dans cette nouvelle catégorie une référence au groupe canadien-français (Salée, 2001; Robin, 1996). La deuxième brèche viendra avec l’émergence du pluralisme et la nécessité de redéfinir le « nous québécois » pour tenir compte de la diversité croissante de la société québécoise, produit de l’immigration des trente dernières années (Piché, 2002). Plusieurs voix se font alors entendre en préconisant la nécessité de dépasser le nationalisme ethnique par une approche plus civique de la citoyenneté. En lien avec ce débat politique, les catégories ethniques issues des recensements deviennent de moins en moins pertinentes. D’une part, avec l’auto-identification, l’origine ethnique devient plus subjective et fluide. De plus, l’apparition de la catégorie « canadien » rend quasiment impossible l’utilisation de cette question pour les analyses des groupes ethniques. Enfin, la possibilité d’enregistrer des origines ethniques multiples à partir de 1986 rend de plus en plus difficile la comparabilité des catégories avec les recensements antérieurs. D’une certaine façon, cela ne crée pas de remous important dans la mesure où de toute façon, à partir des années 1970, les catégories ethniques sont de plus en plus remplacées par les catégories linguistiques dans le discours nationaliste. Dorénavant, le « monitoring » porte sur l’état du français au Québec et plusieurs indicateurs linguistiques ont été proposés pour suivre l’évolution de l’utilisation du français. On passe donc d’une phase ethnique à une phase linguistique dans le développement des indicateurs. Dans cette deuxième phase, deux indicateurs vont dominer les débats démo-linguistiques : ceux basés sur la langue maternelle et sur la langue d’usage (langue la plus souvent parlée à la maison). À partir des années 1990, une troisième phase voit le jour : avec une nouvelle politique d’immigration et d’intégration mettant l’accent sur la francisation dans la sphère publique surgissent de nouveaux besoins en matière d’indicateurs. En effet, les indicateurs linguistiques utilisés jusqu’à maintenant relevaient davantage de la sphère privée et mesuraient …

Parties annexes