Des publics « à la demande » : penser les usages des plateformes audiovisuellesPublics "On Demand": Thinking the Audiovisual Platform Uses [Notice]

  • Chloé Delaporte et
  • Quentin Mazel

Le développement des technologies numériques depuis les années 1990 a favorisé l’émergence de nouveaux types d’intermédiaires au sein des industries culturelles et créatives (Bullich et Guignard, 2014 ; Benghozi et Paris, 2014), qui ont reconfiguré les conditions traditionnelles de la circulation marchande des biens symboliques (Bouquillion, Miège et Moeglin, 2013 ; Chantepie et Le Diberder, 2019). Les filières du cinéma et de l’audiovisuel connaissent ainsi des transformations profondes, au sein de tous les secteurs (production, distribution, exploitation) (Creton, 1994 ; Poirier, 2017 ; Chantepie et Paris, 2019). Le développement d’une offre dématérialisée, légale comme illégale, par exemple, s’accompagne d’une disparition progressive du support vidéo (CNC, 2018), qui constituait un marché secondaire très lucratif depuis les années 1980, autant à travers la location que la vente (Forest, 2001 ; Creton, 2011). Cette nouvelle fenêtre d’exploitation « en ligne », longtemps désinvestie par le secteur, s’est développée depuis les années 2010 au travers de « plateformes numériques » proposant des œuvres cinématographiques et audiovisuelles « à la demande », c’est-à-dire hors de leurs exploitations en salle ou de leurs diffusions télévisuelles (Dixon, 2013 ; Tryon, 2013 ; Boni, 2020). En France, les marchés de la VàD (vidéo à la demande) et de la VàDA (vidéo à la demande par abonnement) se sont structurés autour d’un petit nombre de plateformes administrées par des « géants du web », comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), des fournisseurs d’accès internet, des gestionnaires de réseaux, des opérateurs de télécommunication et des grandes chaînes de télévision (Bullich et Schmitt, 2019 ; Wiart et Thuillas, 2019 ; CNC, CSA, 2018). Certains acteurs ont pu profiter d’une infrastructure technique, de ressources importantes et d’une fiscalité avantageuse pour accéder à une position dominante au sein de ce nouveau marché, qui semble avoir durablement adopté la forme — classique au sein des industries culturelles (Bouquillion, 2008 ; Benhamou, 2000) — d’un oligopole à frange. Dans un premier temps, la faible concurrence a permis aux pionniers d’acquérir à bas coût les droits de diffusion de nombreuses œuvres cinématographiques et audiovisuelles, constituant ainsi d’importants catalogues de contenu et renforçant leurs positions dominantes. Pour orienter les utilisatrices et utilisateurs dans ces fonds, les plateformes ont mis au point différents dispositifs de recommandation (Farchy, Méadel et Anciaux, 2017), dont des algorithmes capables de repérer, d’encadrer et d’orienter les habitudes de consommation (Dessinges et Perticoz, 2019 ; Drumond, Coutant et Millerand, 2018). Certains dispositifs de recommandation, tels ceux développés par la plateforme Netflix (Delaporte, 2018, 2019), constituent de véritables marqueurs identitaires pour les entreprises (Perticoz, 2019). L’intérêt progressif des publics pour cette nouvelle fenêtre de diffusion — et tout particulièrement pour l’offre par abonnement (CNC, CSA, 2018) — a incité des acteurs nationaux et transnationaux à se positionner sur ce nouveau marché. Leur entrée a intensifié les logiques de concurrence, faisant augmenter le coût des droits de diffusion et édifiant progressivement une nouvelle barrière à l’entrée. Ce phénomène s’est accompagné d’une vague de rapatriement des contenus auprès de leurs ayants droit, qui entendent désormais les exploiter en créant leur propre plateforme : HBO Max (Warner Bros.), Peacock (NBCUniversal) ou encore Disney+ (Perticoz, 2019). La hausse des coûts des droits de diffusion et la redistribution des contenus ont poussé les acteurs pionniers des GAFAM (Apple TV+, Amazon Prime Video, Netflix) à transformer leur modèle économique en ajoutant à leurs activités de pourvoyeur celles de producteur, afin de nourrir leur catalogue de contenus « natifs ». Cette politique s’est traduite par l’adoption de stratégies de production et de prises d’intérêts multipolarisées, reproduisant ainsi les comportements des acteurs historiques dominants des filières (Alexandre, 2015 ; Duval, 2016 …

Parties annexes