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La préoccupation relative à la protection du consommateur, qui a connu un regain de vitalité au cours des années 60 au pays de l’Oncle Sam[1], s’est répandue telle une traînée de poudre[2]. À la faveur des échanges économiques internationaux et du boum démographique observé après la Seconde Guerre mondiale[3], la problématique a quitté le berceau nord-américain pour conquérir progressivement l’Europe et la plupart des pays dits développés ou émergents[4]. Si de nombreux scandales ont fait évoluer le système de protection des consommateurs ailleurs[5], la question allait tout naturellement se poser en ce qui concerne le continent africain. En effet, au lendemain des indépendances, les jeunes États africains s’étaient investis dans la mise en place de leur propre système économique, gage de leur stabilité. C’est dire que la question de la protection du consommateur était, à défaut d’être complètement ignorée, du moins reléguée au second plan.

De nos jours, cette question est plus que jamais d’actualité et elle émerge dans un continent africain présenté comme « le plus rentable du monde[6] ». Le Cameroun ne s’est pas mis en marge de ce mouvement qui semble désormais se dessiner à l’échelle mondiale. Dans ce pays, la protection du consommateur résultait des dispositions éparses — et donc peu lisibles — de certains textes, telle la Loi no 90-031 du 10 août 1990 régissant l’activité commerciale au Cameroun[7]. Il a fallu attendre les années 2010 pour que la volonté politique se concrétise par l’adoption de la Loi-cadre no 2011/012 du 6 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun[8]. Aux termes de cette loi-cadre, ce dernier est défini comme « toute personne qui utilise des produits pour satisfaire ses propres besoins et ceux des personnes à sa charge et non pour les revendre, transformer ou les utiliser dans le cadre de sa profession, ou toute personne qui bénéficie des prestations de service[9] ».

Même si la Loi-cadre de 2011 attend encore certains de ses décrets d’application[10], elle présente néanmoins une structure globalement cohérente ainsi que des dispositions parfois avant-gardistes qui puisent dans les traités, les lois et les règlements en vigueur[11]. Elle s’approprie notamment le contenu de la Résolution sur les Principes directeurs pour la protection du consommateur adoptée le 16 avril 1985 par les Nations Unies[12]. Dans la même veine, les nombreux textes, récemment adoptés dans les différents secteurs de la vie socioéconomique, accordent une importance toute particulière aux intérêts du consommateur. À tout cela, il faut ajouter l’apport et l’influence des institutions internationales qui engagent les États à mettre en place de véritables politiques publiques en matière de consommation de biens et de services. De ce fait, on assiste à des réelles métamorphoses dans le système camerounais de protection du consommateur car, d’une situation de vide juridique, on est passé rapidement à une situation de foisonnement de textes dans laquelle il est parfois difficile de se retrouver ; à partir de la figure d’un consommateur excentré et marginalisé s’est construite progressivement la figure d’un consommateur placé au centre de l’économie de marché[13].

Ainsi peut-on dire que le consommateur tend à devenir roi. Une telle formulation frise la provocation ou tout au moins l’exagération, surtout quand on sait que les consommateurs n’ont de cesse, au Cameroun comme ailleurs[14], de revendiquer plus de droits et plus de protection[15]. Cependant, d’une part, « tendre à devenir » roi, ce n’est pas encore l’« être ». D’ailleurs, il serait même illusoire de penser que le consommateur le soit un jour[16], dès que l’on admet que le principe est plutôt celui de la recherche permanente d’un équilibre entre les intérêts du consommateur et ceux du professionnel[17]. D’autre part, le choix de l’expression se justifie par le fait que les luttes consuméristes gagnent peu à peu du terrain et amènent les gouvernements à adapter continuellement les règles juridiques. Pour dire les choses autrement, à travers des actions de plus en plus visibles et même parfois véhémentes[18], les consommateurs imposent progressivement le respect de leurs intérêts à la fois matériels et non matériels.

Cette précision faite, toute la question est désormais la suivante : quelles sont les métamorphoses récentes du droit de la consommation au Cameroun ?

L’intérêt d’une telle analyse est tout d’abord historico-juridique dans la mesure où elle offre un panorama de l’évolution de la protection des consommateurs dans ce pays. De même, à la lumière des lois étrangères, l’étude révèle à quel point la défense des intérêts des consommateurs doit s’inscrire dans le temps et la durée. L’intérêt est ensuite pratique, puisque la réflexion se propose de mettre en évidence les goulots d’étranglement dans la mise en oeuvre des politiques en la matière en vue de proposer des solutions. L’intérêt est enfin socioéconomique dans un contexte camerounais et africain — si ce n’est universel — où les populations ne sont pas fréquemment éduquées sur leurs droits et où les professionnels ne prennent pas toujours la pleine mesure de leur responsabilité sociale.

À l’analyse, les métamorphoses récentes du droit de la consommation au Cameroun se traduisent, dans un premier temps, par le renforcement des droits substantiels du consommateur (partie 1), c’est-à-dire le renforcement des droits dont il peut se prévaloir dans sa relation avec un professionnel. Toutefois, pour que ces droits substantiels ne soient pas purement abstraits et illusoires, il a fallu, dans un second temps et parallèlement, renforcer les droits processuels du consommateur (partie 2), c’est-à-dire les garanties et les mécanismes à travers lesquels il peut défendre ses intérêts en cas de litige avec un professionnel.

1 Un renforcement des droits substantiels du consommateur

Dans un monde où la quête effrénée du profit peut sacrifier les intérêts des consommateurs sur l’autel des intérêts des professionnels[19], la nécessité de protéger les premiers contre les abus des seconds est devenue incontournable. Dans l’objectif d’adapter la société camerounaise aux évolutions récentes du consumérisme à l’échelle mondiale[20], le législateur a mis sur pied un système de protection reposant sur les grands principes du droit de la consommation et touchant plusieurs pans du tissu économique. Ainsi, à l’architecture juridique de protection du consommateur (1.1), il a ajouté l’architecture institutionnelle (1.2) en investissant divers acteurs publics et privés de la mission de veiller à la défense des intérêts des consommateurs.

1.1 La protection juridique des intérêts du consommateur

Le consommateur est désormais placé au coeur des préoccupations du législateur lato sensu. Deux notions complémentaires ont orienté l’action de ce dernier en faveur du mieux-être des citoyens, généralement présentés comme le maillon faible de la chaîne économique. On trouve, en premier lieu, la notion de commerce équitable[21] en application de laquelle le législateur a renforcé la protection des intérêts matériels — et très souvent immédiats — du consommateur (1.1.1)[22]. On retient, en second lieu, la notion de consommation durable qui, elle, a plutôt fait émerger la protection des intérêts non matériels — et parfois lointains — du consommateur (1.1.2).

1.1.1 Une protection renforcée des intérêts matériels

Les intérêts matériels se résument à la satisfaction économique des biens et des services ainsi qu’à leur consommation sans risque. La protection de ces intérêts repose sur des principes bien connus et développés dans de nombreux travaux en la matière[23]. L’idée ici n’est donc pas d’inventorier tous les intérêts matériels des consommateurs, mais de relever ceux qui ont fait l’objet d’une protection plus renforcée depuis 2010 au Cameroun. À ce propos, si le législateur n’est pas allé jusqu’à conférer de nouveaux droits aux consommateurs, il a néanmoins créé les conditions propices à l’affermissement de ceux qui existaient déjà, notamment en aggravant les obligations des professionnels[24] et en les assortissant de sanctions pénales ou administratives[25]. Dans ce sillage, l’oeuvre du législateur est particulièrement remarquable en matière de services informatiques et de communication, de même qu’en matière de services postaux et de sécurité sanitaire des aliments.

Tout d’abord, pour ce qui est de la protection des consommateurs dans le secteur informatique et de la communication, le cadre général a été posé à travers plusieurs lois de 2010[26] et le Décret no 2013/0399 fixant les modalités de protection des consommateurs des services des communications électroniques[27]. Les professionnels ont dès lors l’obligation de protéger leurs réseaux de communications électroniques et systèmes d’informations. De même, afin de garantir la vie privée, ils sont tenus, « par un moyen simple et gratuit, de donner la possibilité aux consommateurs de masquer leurs numéros[28] ». Il a également été créé une agence nationale des technologies de l’information et de communication (ANTIC) en 2012 avec pour principale mission de veiller à la « protection […] des consommateurs, des bonnes moeurs et de la vie privée[29] ». Cependant, au regard de l’exacerbation des atteintes à la vie privée sur Internet[30], on peut douter de l’efficacité du système. En effet, très souvent, les consommateurs sont victimes des intrusions intempestives dans leur vie privée[31], y compris du fait de l’administration et ceci en dehors de toute procédure pénale[32]. Or, contrairement à ses homologues français et canadien[33], le législateur camerounais n’a pas pris le soin de définir dans quelles conditions et sous quelles modalités il peut être porté atteinte à la vie privée et au secret de la correspondance pour des raisons de sécurité nationale. Ainsi, seule une bonne information des consommateurs, résultant d’une loi aux dispositions claires[34], permettrait d’éviter les atteintes arbitraires à la protection des données à caractère personnel[35].

Ensuite, en ce qui concerne la protection dans les services postaux, elle résulte de la Loi no 2020/004 du 23 avr. 2020 régissant l’activité postale au Cameroun[36]. Ledit texte réorganise ce secteur en répartissant les compétences entre le service public postal et les opérateurs privés. Il structure de cette façon le cadre de la concurrence et pose les bases d’une protection du consommateur qui s’articulent autour de la notion de service postal universel comprenant le service postal minimal requis, les services supplémentaires obligatoires et les services supplémentaires facultatifs[37]. Pour veiller au respect de la loi et des normes nationales et internationales, le législateur a élargi considérablement les missions de l’organisme chargé de la régulation de ce secteur économique. Ainsi, aux termes de l’article 42, alinéa 2 in fine, de la loi susmentionnée, cet organisme « veille à la protection des consommateurs ». En effet, même si « l’ouverture des activités postales à d’autres opérateurs a […] une incidence bénéfique sur la qualité du service public postal[38] », il faut cependant s’assurer que les usagers n’en payent pas le prix. C’est la raison pour laquelle certains pays comme la France sont allés plus loin pour obliger les prestataires du secteur postal à « mettre en place des procédures simples, transparentes et gratuites de traitement des réclamations[39] ».

Enfin, quant à la protection des consommateurs contre les produits défectueux, elle résulte de la Loi no 2015/018 du 21 déc. 2015 régissant l’activité commerciale au Cameroun, dont l’article 68 qui interdit la vente « des produits périmés ou impropres à la consommation humaine[40] ». Elle est également assurée par la Loi no 2018/020 du 11 déc. 2018 portant Loi-cadre sur la sécurité sanitaire des aliments[41] qui trouve son pendant, en droit canadien, dans la Loi sur les produits dangereux[42]. L’avènement de ces lois était d’autant plus judicieux que le Cameroun, comme beaucoup d’autres pays africains ou étrangers — tel le Québec[43] —, subit un fort trafic de produits défectueux ou contrefaits[44]. En plus des saisies et des destructions de tels produits, organisées par les administrations compétentes[45], il faut souligner le travail des juges en matière de contrefaçon[46]. En effet, les consommateurs saisissent de plus en plus les juridictions en vue de la défense de leurs intérêts.

Dans une affaire récente[47], un client avait acheté une boisson dans laquelle il y avait des particules indésirables. Il a assigné la Société anonyme des brasseries du Cameroun en réparation du préjudice en invoquant, devant le juge, les vices cachés de la marchandise. De son côté, la Société soutenait qu’il était plutôt question de vices apparents ne donnant pas lieu à réparation[48], étant donné que le consommateur n’a pas eu besoin de décapsuler la bouteille ou d’en boire le contenu pour se rendre compte de la présence desdites particules. Toutefois, cette dernière argumentation n’a pas été retenue par les juges du fond qui ont condamné la Société. Pour le juge d’appel, « étant producteur de ces boissons, la responsabilité des Brasseries du Cameroun est établie en cas de découverte des vices cachés pouvant nuire à la santé de l’homme comme dans le cas d’espèce[49] ».

Certes, la Cour suprême, saisie du cas, n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le fond de l’affaire, faute pour la Société d’avoir respecté les conditions de sa saisine[50]. De même et en l’absence de précision du législateur, force est de constater que le juge ne soumet pas la réparation du préjudice à la condition de l’existence d’une relation contractuelle entre la victime et le producteur. Il semble donc s’aligner sur les dispositions de l’article 1245 du Code civil français qui prévoient que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ». La solution est la même en droit québécois, par application combinée des articles 53 et 54 de la Loi sur la protection du consommateur[51]. Quoi qu’il en soit, la position des juges du fond camerounais laisse entrevoir une tendance à la protection renforcée des intérêts matériels des consommateurs. Qu’en est-il des intérêts non matériels ?

1.1.2 Une protection émergente des intérêts non-matériels

Jusqu’à une époque encore récente, le droit de la consommation se limitait aux seuls intérêts directs, immédiats et matériels des consommateurs. Leurs intérêts non matériels ne retenaient pas — sinon très peu — l’attention. Ces intérêts étaient abandonnés à l’éthique marchande, à l’âme et à la conscience des producteurs des biens et des services. Or, avec l’évolution des droits de la personne et l’émergence des problématiques liées à l’environnement, à la discrimination, aux conditions de travail et bien d’autres, le droit de la consommation a dû s’adapter. Ce changement était d’autant plus nécessaire qu’a pris corps un nouveau mode de consommation qu’il est convenu d’appeler « consommation durable[52] ». Pour sa part, le législateur camerounais s’est davantage préoccupé de l’aspect environnemental de la consommation, mais la grande porosité des textes permet d’envisager les autres domaines.

Dans la Loi-cadre de 2011, plusieurs dispositions sont consacrées à la protection de l’environnement. Ainsi, en application du principe de protection, le consommateur a droit à la préservation de l’environnement dans la consommation des technologies, des biens ou des services[53]. En outre, le législateur invite les acteurs du secteur de la consommation à veiller à ce que les activités se rapportant à la gestion, à la collecte et à l’évacuation des déchets dangereux ou toxiques, à la gestion de l’eau et au traitement des eaux usées soient conformes à la législation et à la réglementation en vigueur en matière de protection de l’environnement[54].

Allant plus loin, la Loi-cadre de 2011 exige que tout bien, importé ou produit localement, soit inspecté afin de vérifier s’il est conforme aux normes nationales et internationales en matière d’environnement[55]. Lorsqu’un bien de consommation est dangereux pour l’environnement, il « doit être accompagné d’un manuel d’instructions, en français et en anglais, comprenant des avertissements facilement visibles afin de permettre une utilisation normale dans les conditions de sécurité maximale[56] ». Toutes ces mesures ont pour objectif, comme le prévoit très clairement la Loi sur la qualité de l’environnement québécoise, « d’obliger la prise en compte par les fabricants et [les] importateurs de produits des effets qu’ont ces produits sur l’environnement et des coûts afférents à la récupération, à la valorisation et à l’élimination des matières résiduelles générées par ces produits[57] ».

Pour faire écho aux prescriptions du législateur, le gouvernement camerounais a par exemple interdit la fabrication, l’importation, la détention et la commercialisation ou la distribution « des emballages non biodégradables à basse densité inférieure ou égale à 60 microns d’épaisseur (1 micron vaut 1/1000mm) ainsi que les granulés servant à leur fabrication[58] ». Cette mesure, dont l’application reste mitigée, témoigne néanmoins de la volonté de promouvoir une consommation durable[59]. Peu importe la situation, le consommateur joue un rôle indéniable dans la protection de l’environnement. Par ses choix de consommation et tout en se satisfaisant aujourd’hui, il peut protéger les générations futures. Autrement dit, il doit prendre conscience du fait que le choix d’un bien peut entraîner des répercussions irrémédiables sur l’environnement[60]. C’est pourquoi les associations de consommateurs devraient accentuer la sensibilisation afin que les choix de la masse déterminent les entreprises à intégrer leur responsabilité sociétale dans le système de production[61].

Quant au droit à la non-discrimination en matière de consommation, la législation camerounaise est plutôt silencieuse[62]. Même si le Code pénal du Cameroun punit la discrimination, le champ d’incrimination concerne uniquement l’accès à un lieu public ouvert ou à un emploi[63]. La discrimination quant à l’accès à un bien ou à un service de consommation n’est pas envisagée, alors qu’elle existe dans toutes les sociétés[64]. Par exemple, il a été relevé que, dans certains magasins, le rayon « hommes » et le rayon « femmes » sont séparés et parfois éloignés les uns des autres, de sorte que « la similarité des produits dans les différents rayons ainsi que la différence de prix sont ignorées des consommateurs. Le désavantage ne touche que les consommatrices puisqu’elles sont amenées de manière systématique à payer plus cher un même produit[65] ». Cette segmentation sexuée du marché peut s’expliquer, en partie tout au moins, par le fait que les femmes seraient « prêtes à payer plus cher que les hommes pour [un même] genre de produits[66] ».

Or, la prise de conscience de ce fléau a déterminé le Conseil de l’Union européenne à produire la Directive mettant en oeuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services[67]. En droit français, la conception large de la discrimination par le législateur pénal permet de sanctionner d’éventuels comportements discriminatoires de la part des professionnels[68], sauf motif légitime[69]. Plus claire et précise est la Loi canadienne sur les droits de la personne qui réprime toute discrimination sur un motif de distinction illicite[70]. En matière de consommation, il s’agit par exemple pour les fournisseurs de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public d’en priver un individu ou de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture[71].

Pour ce qui est des conditions de travail, elles retiennent de plus en plus l’attention du mouvement consumériste. Pour les associations et les syndicats, il importe de sensibiliser et d’éduquer les consommateurs afin qu’ils évitent ou favorisent certains produits, dans l’optique d’améliorer les conditions de vie des travailleurs pauvres. Il faut également faire pression sur les entreprises et les pouvoirs publics afin qu’ils garantissent de meilleures conditions de travail aux salariés. Dans cette situation, les intérêts propres et immédiats des consommateurs sont relégués au second plan, alors que ceux des personnes directement engagées dans la production des biens et dans la fourniture des services sont placés au premier plan.

C’est ainsi que l’on a pu conclure à l’avènement d’un « nouveau type de consommateur[72] ». En effet, de nos jours, l’émergence d’un consumérisme politique et la dénonciation de divers scandales par les consommateurs « sont un moteur efficace de la RSE [responsabilité sociétale des entreprises] en définissant les nouvelles attentes de la société civile envers les entreprises et en pointant du doigt les mauvais “élèves”[73] ». Mises à l’index et souvent boycottées[74], les entreprises travaillent alors à se (re)donner une image positive au sein de la société. Au Cameroun en particulier, certaines associations de consommateurs s’intéressent au licenciement abusif des employés dans les entreprises[75], ce qui témoigne d’une certaine vitalité de la protection institutionnelle des intérêts du consommateur.

1.2 La protection institutionnelle des intérêts du consommateur

En matière de protection des droits des consommateurs, la colonne juridique est insuffisante. Il faut, en plus, une colonne institutionnelle constituée des différents organismes travaillant en matière de consommation. Ces institutions « permettent une matérialisation concrète des principes contenus dans les textes et assurent une mission de veille dans la protection et la défense des droits du consommateur[76] ». À l’échelle nationale, le cadre institutionnel de la protection des consommateurs a été aménagé depuis 2011 (1.2.1). L’action de ces organismes nationaux est renforcée par l’influence des institutions internationales (1.2.2).

1.2.1 L’aménagement des institutions nationales

Les institutions nationales de protection du consommateur interviennent à divers moments de la relation entre le consommateur et le professionnel afin d’anticiper d’éventuels abus de ce dernier. En assurant l’information et la formation du consommateur, elles veillent à la sérénité de ses relations avec les commerçants et l’accompagnent en cas de préjudice. Par souci de clarté, il convient de distinguer les organisations dont les missions sont plus directement en rapport avec la protection générale du consommateur de celles qui interviennent dans un secteur particulier. Ces dernières ayant déjà été brièvement mentionnées plus haut, notamment l’Agence nationale des TIC et l’organisme de régulation du secteur postal, nous nous concentrerons davantage sur les premières. De même, parmi les organismes de protection à vocation générale, nous discernerons ceux qui ont un caractère public de ceux qui relèvent de la société civile.

Dans cet ordre d’idées, le premier organisme public au Cameroun et sans doute le plus illustre est le Conseil national de la consommation, qui existe également en France[77] et dans divers pays sous une autre dénomination[78]. Prévu par la Loi-cadre de 2011[79] et créé par le Décret no 2016/0003/PM du 13 janv. 2016 portant organisation et fonctionnement du Conseil national de la consommation[80], cet organe consultatif relève du ministre chargé de la protection du consommateur. Le Conseil a pour mission de promouvoir les échanges entre les pouvoirs publics, les organisations de protection des intérêts collectifs des consommateurs et les organisations patronales sur les questions relatives à la protection du consommateur. À ce titre, il émet des avis sur tous les projets de texte à caractère législatif et réglementaire susceptibles d’avoir une incidence sur la consommation de biens et de services ou sur la protection du consommateur.

En outre, le Conseil étudie toutes les questions relatives à la consommation de biens et services ou à la protection du consommateur qui lui sont soumises par le gouvernement[81]. D’une composition de 22 membres, contre 10 au Québec[82] et 97 en France[83], le Conseil regroupe au Cameroun les représentants des ministères visés, au premier plan, par des questions de consommation. À ceux-ci s’ajoutent quatre représentants des organisations de défense des droits des consommateurs et deux représentants des organisations patronales, ce qui est de nature à renseigner sur le penchant assez protecteur du Conseil. Toutefois, dans l’ensemble, contrairement à ce qui se fait en France[84] et au Québec[85], l’action du Conseil est peu visible au Cameroun puisqu’il n’est pas tenu de présenter un rapport annuel sur l’état de la protection du consommateur et ne dispose pas d’un site Web permettant de renseigner les usagers[86]. De même, le Conseil est plutôt centralisé, à l’inverse de ce qui existe sous d’autres cieux, notamment au Québec où l’Office de la protection du consommateur possède des bureaux régionaux[87]. Enfin, en séance ordinaire, le Conseil camerounais se réunit seulement deux fois par an, ce qui amène à douter de sa capacité à traiter efficacement et dans un délai raisonnable les affaires dont il peut être saisi.

Le deuxième organisme est l’Agence des normes et de la qualité qui remplit au Cameroun des missions semblables à celles qu’accomplit le Bureau de normalisation du Québec[88]. Elle veille à l’élaboration et à l’homologation des normes, à la certification de la conformité aux normes et à la divulgation des informations y relatives[89]. En ce qu’elle surveille la qualité des produits qui circulent sur toute l’étendue du territoire national, l’Agence nationale des normes et de la qualité est la cheville ouvrière de la protection du consommateur. Pour ce faire, elle procède à des contrôles statutaires[90], mais aussi à des contrôles inopinés[91] et dispose d’officiers de police judiciaire à compétence spéciale. Elle reçoit des dénonciations des consommateurs dans le contexte de son activité. Dans d’autres pays comme en France, la normalisation est plutôt garantie par des associations de droit privé qui remplissent une mission d’intérêt général[92]. Si les normes produites par ces associations sont facultatives, elles ont le mérite d’englober presque tous les secteurs de la protection du consommateur[93]. Or, tel n’est pas le cas au Cameroun où l’insuffisance des moyens alloués au fonctionnement de l’Agence des normes et de la qualité l’empêche d’être effectivement opérationnelle[94].

Le troisième et dernier organisme public, mais non des moindres, est le Comité antidumping et des subventions. Il assure au Cameroun la surveillance et la consultation en matière d’importations. À ce titre, il est notamment chargé d’enquêter et de donner son avis sur toutes questions relatives aux pratiques de dumping, aux subventions et aux importations causant ou menaçant de causer un dommage grave à une branche de production nationale[95]. On voit alors le lien inextricable entre le droit de la concurrence et le droit de la consommation[96], car les pratiques anticoncurrentielles, nuisibles pour les entreprises, le sont davantage pour les consommateurs[97]. De ce point de vue, les décisions du Comité peuvent entraîner des conséquences sur l’accès aux biens et aux services de consommation. En tout cas, c’est cette quête du juste équilibre entre le jeu concurrentiel et la protection des intérêts du consommateur qui a justifié la mise en place de plusieurs organismes de régulation[98].

Pour ce qui est des organismes privés de protection, ce sont essentiellement des associations de défense des droits des consommateurs. Elles mènent un travail remarquable en matière d’éducation et de formation à la consommation en outillant et en accompagnant les citoyens dans la défense de leurs intérêts[99]. On ne peut que relever pour s’en réjouir la multiplication et la diversification de telles associations au cours de ces dernières années, bien qu’il soit impossible de les inventorier[100]. Cette situation est due, entre autres, au fait qu’il manque au Cameroun une véritable coalition des associations de protection des consommateurs comme il en existe une au Québec[101]. À n’en pas douter, dans ce dernier pays, l’union des associations de protection des consommateurs fait la force, en matière d’échange d’expériences et surtout de défense collective des intérêts des membres. Quoi qu’il en soit, les associations présentes sur la scène sociale camerounaise ont un champ d’action tantôt large[102], tantôt spécifique[103], et ont recours à plusieurs moyens de pression allant du lobbyisme à la grève de la faim, en passant par la grève d’occupation[104]. Au regard de ce qui précède, force est de constater que le cadre institutionnel de protection des consommateurs s’avère globalement satisfaisant au Cameroun, surtout qu’il est renforcé par les instruments internationaux.

1.2.2 L’influence des institutions communautaires

La nécessité d’une protection des consommateurs à l’échelle internationale s’explique, d’un côté, par la forte circulation des produits au sein des différentes communautés africaines et, de l’autre côté, par les interactions des mouvements nationaux consuméristes. Ainsi, les institutions communautaires travaillent à une meilleure intégration et à une véritable harmonisation des législations nationales. Cependant, la protection du consommateur n’est pas encore considérée comme une branche à part entière — et entièrement indépendante — du droit communautaire. C’est ce qui explique peut-être le fait que seules quelques dispositions y font référence, à l’échelle tant sous-régionale (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ou CEMAC[105]) que régionale (Union africaine ou UA ; Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires ou OHADA[106]). Pourtant, eu égard aux défis d’intégration africaine, la question de la protection communautaire du consommateur devient incontournable.

À l’échelle sous-régionale de la CEMAC, le texte général et le plus important est la Directive no 02/19-UEAC-639-CM-33 du 08 avril 2019 harmonisant la protection du consommateur au sein de la CEMAC. Riche de 173 articles, elle fixe le cadre juridique et institutionnel de la protection du consommateur[107]. D’autres textes ont également été adoptés dans des secteurs spécifiques. Dans le domaine des communications électroniques, il y a le Règlement no 21/08-UEAC-133-CM-18 du 19 déc. 2008 relatif à l’harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein des États membres de la CEMAC[108], dont la « garantie des intérêts des populations » est l’un des principes directeurs[109]. Ce texte exige la mise en place d’une autorité nationale de régulation dans ce domaine, et son application est renforcée par plusieurs directives[110]. Dans le secteur de la santé, le projet de politique pharmaceutique commune et la Réglementation commune sur l’homologation des pesticides en Afrique centrale garantissent la protection des consommateurs et de l’environnement. Dans le secteur commercial et financier, citons l’adoption d’un règlement relatif aux pratiques commerciales anticoncurrentielles[111] et les règlements relatifs à l’activité bancaire[112]. Sur ce dernier point, la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) a promulgué en 2020 un règlement[113] comportant une liste de 22 services gratuits au titre du service minimum garanti[114], et cela, en vue d’harmoniser les dispositions nationales jusque-là disparates au sein de la CEMAC[115].

Au niveau régional, c’est-à-dire à celui de l’Afrique, il convient de distinguer les initiatives menées dans le contexte de l’UA de celles qui l’ont été dans le cas de l’OHADA. En ce qui concerne la première, les actions sont peu visibles, et seule la Convention de l’Union africaine sur la cyber sécurité et la protection des données à caractère personnel[116] présente un réel intérêt pour la protection des droits des consommateurs[117]. D’une part, elle engage les États membres à mettre en place un cadre juridique ayant pour objet de renforcer les droits fondamentaux et les libertés publiques, notamment la protection des données physiques, et de réprimer toute infraction relative à toute atteinte à la vie privée sans préjudice du principe de la liberté de circulation des données à caractère personnel[118]. D’autre part, elle définit les principes de base gouvernant la protection des données à caractère personnel et invite les États à instituer des autorités nationales en la matière[119].

En cela, ce texte africain se rapproche du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données[120] et de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[121] au Québec. Bien que la Convention invite les États à un échange d’informations et à une coopération multiforme dans le domaine de la cybersécurité, elle ne va pas au-delà, comme en Europe avec la création du Comité européen de la protection des données (CEPD)[122], pour instituer un véritable comité africain de la protection des données. Pourtant, une telle structure serait d’un apport inestimable à la coordination des actions menées à l’échelle nationale, d’autant plus que les communications électroniques excèdent très souvent les limites frontalières.

Pour ce qui est de l’OHADA, nous ne saurions passer sous silence l’avant-projet d’acte uniforme relatif aux contrats de consommation, élaboré depuis 2005[123] pour répondre à l’appel de la doctrine[124], mais demeuré à cette étape. De nos jours encore, des voix s’élèvent pour revendiquer son adoption et sa mise en oeuvre dans les 17 États membres[125]. Si ce texte était opportun au moment où il a été posé sur la table des instances faîtières de l’OHADA[126], il est aujourd’hui concurrencé par d’autres textes internationaux[127] et nationaux. Cet état de choses est de nature à faire craindre, au cas où ce projet serait implémenté, une juxtaposition peu heureuse d’une pléthore de textes en matière de consommation.

Or, ce n’est pas tant l’abondance de textes qui protège, mais plutôt la clarté de leur contenu et l’effectivité de leur application. Dans cet esprit, on peut comprendre l’hésitation du législateur OHADA, puisque « toute la problématique tourne autour de la notion de “droit des affaires” [telle qu’elle est envisagée dans le Traité de Port-Louis relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique] et de sa conciliation avec le droit de la consommation[128] ». Cependant, un tel renoncement peut également se justifier par l’impact qu’aurait une législation harmonisée — donc uniforme — en matière de consommation. Très concrètement et à moins que l’on y prenne garde, un tel texte pourrait bouleverser profondément l’architecture tant juridique qu’institutionnelle des États, notamment s’il entrait en contradiction avec leurs engagements internationaux à cet égard. De ce point de vue, seul un véritable dialogue des institutions internationales permettrait de mettre sur pied un système africain de protection des droits des consommateurs.

À notre avis, la mise en place de ce système s’avère d’autant plus judicieuse qu’est entré en vigueur l’Accord créant la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF)[129] dont le Cameroun est partie prenante[130]. Le développement de ce marché africain, quelque peu comparable au marché européen[131], posera naturellement les mêmes problématiques d’ordre consumériste. En effet, l’appartenance au marché européen a profondément changé l’attitude des gouvernants en matière de protection des consommateurs. Toute mesure nationale est désormais pensée à l’aune de ses incidences sur les autres pays européens[132]. De même, de très nombreuses études ont été menées[133] et des décisions prises[134] par les instances européennes compétentes dans l’optique de renforcer la protection des consommateurs. Les États africains pourraient s’inspirer de cette dynamique et de ce dynamisme. Par exemple, le Parlement africain, qui est la chambre législative de l’UA[135], pourrait servir de cadre de concertation en vue de l’harmonisation des textes. Cette approche panafricaine du problème nous semble la plus pertinente dans la mesure où la grande majorité des pays africains évaluent désormais avec justesse l’importance de la protection des consommateurs[136]. D’ailleurs, des études spécialisées ont pu dégager d’importantes similitudes dans les habitudes de consommation dans ces différents États[137]. En outre, un droit communautaire africain de la consommation permettrait à chaque État de réprimer efficacement les atteintes aux intérêts du consommateur et d’éviter le choix de l’autorité juridictionnelle (forum shopping) auquel expose une trop grande disparité de législations[138]. Au regard de tout ce qui précède, nous constatons que la protection des intérêts matériels et non matériels du consommateur a connu une évolution remarquable depuis l’adoption de la Loi-cadre relative à la protection du consommateur. Cependant, à quoi sert-il d’être titulaire d’un droit si l’on ne peut en assurer la défense[139] ? C’est en réponse à cette question que le législateur a cru devoir — à juste titre — renforcer également les droits processuels du consommateur.

2 Un renforcement des droits processuels du consommateur

Lorsque le professionnel a porté atteinte aux intérêts du consommateur, le premier réflexe de ce dernier est de saisir directement les juridictions étatiques afin d’obtenir réparation selon les règles classiques de la procédure civile ou commerciale[140]. Très souvent, le consommateur ne cherche pas à savoir si le préjudice qu’il subit présente un caractère collectif[141]. Pourtant, le législateur camerounais a consacré l’action collective qui présente de nombreux avantages (2.1). De même, il a prévu d’autres mécanismes non judiciaires de résolution des différends en matière de consommation (2.2).

2.1 La consécration de l’action collective

L’action de masse, aussi appelée « action collective », permet d’indemniser les victimes pour « les atteintes aux personnes, aux biens ou au milieu naturel qui touchent un grand nombre [d’entre elles] à l’occasion d’un fait dommageable unique, ce dernier pouvant consister en un ensemble de faits dommageables ayant une origine commune[142] ». Contrairement au législateur québécois qui a consacré des dispositions spécifiques à l’action collective dans le Code de procédure civile[143], le législateur camerounais a été pendant longtemps silencieux sur la question[144]. Son silence pouvait s’expliquer par le fait que les dommages de cette nature étaient plutôt rares[145]. Il a fallu attendre la Loi-cadre de 2011 sur la protection du consommateur pour que ce mécanisme soit définitivement consacré. Sa spécificité et son originalité résident dans son champ d’application (2.1.1) et dans sa mise en oeuvre (2.1.2).

2.1.1 Le champ d’application de l’action collective

Le champ d’application de l’action collective en droit camerounais est particulièrement large tant en ce qui concerne l’origine et la nature des dommages considérés ou la typologie des actions collectives envisageables que pour ce qui est de la nature des victimes protégées.

Tout d’abord, l’origine et la nature des dommages envisagés touchent plusieurs secteurs d’activités et concernent diverses transactions. En effet, en application de l’alinéa 2 de l’article premier de la Loi-cadre de 2011, l’action de groupe peut être mise en oeuvre dans toutes les transactions relatives à la fourniture, à la distribution, à la vente ainsi qu’à l’échange de technologies, de biens et de services portant sur la protection du consommateur. Pensons notamment aux secteurs suivants : « la santé, la pharmacie, l’alimentation, l’eau, l’habitat, l’éducation, les services financiers, bancaires, le transport, l’énergie et les communications[146] ». Précisons que l’emploi de l’adverbe « notamment » par le législateur dans le texte même de la Loi-cadre de 2011 laisse entrevoir le caractère non exhaustif de l’énumération, ce qui permet alors d’estimer que l’action collective peut être engagée dans tous les secteurs où il a été porté atteinte aux intérêts des consommateurs[147]. Elle peut être engagée en cas de manquement du professionnel à ses obligations légales ou contractuelles. De ce point de vue, la loi camerounaise se montre plus protectrice que d’autres systèmes juridiques, par exemple français, où le domaine de l’action collective est plus restreint[148]. Il en va de même en ce qui concerne la nature des dommages envisagés. Alors que la loi française limite l’action de groupe aux seuls « préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels[149] », les lois camerounaise et québécoise sont silencieuses à cet égard. En employant des termes génériques[150], le législateur camerounais permet de considérer que tout type de dommage (matériel ou non matériel) et tout type de préjudice (patrimonial et extrapatrimonial) méritent une réparation.

Ensuite, pour ce qui est de la typologie des actions collectives, la Loi-cadre de 2011 distingue l’action préventive de l’action réparatrice[151]. Aux termes de son article 27, l’action préventive est celle qui tend à faire cesser la menace d’une atteinte aux droits du consommateur. Elle « procède d’une logique d’anticipation qui vise à éviter l’inertie des victimes, d’une part, et [à] prévenir la survenance effective du dommage, d’autre part[152] ». On pourrait d’emblée sous-estimer l’importance d’une action collective préventive, étant donné qu’elle n’a pas d’enjeu pécuniaire et que, par conséquent, les consommateurs n’auraient pas d’intérêt à agir. Il faut cependant vite se raviser car, comme chacun le sait, prévenir vaut mieux que guérir. Assurément, l’instauration d’un tel mécanisme a une portée sociale hautement significative puisqu’elle permet d’éviter qu’une frange de la population subisse des dommages pouvant aller jusqu’à causer la mort. Sous ce jour, l’action collective à finalité préventive peut prendre diverses formes, notamment l’interpellation du professionnel, afin qu’il procède aux actions correctrices appropriées[153], ou des autorités administratives ou judiciaires[154], pour qu’elles prennent les mesures qui s’imposent. L’action réparatrice, quant à elle, est engagée à la suite d’une atteinte effective aux droits d’un consommateur ou d’un groupe de consommateurs. C’est elle qui justifie la saisine d’un tiers indépendant en vue de la mise en jeu de la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle[155] de l’auteur du fait dommageable.

Enfin, en ce qui concerne les personnes protégées, le droit camerounais se démarque encore des autres systèmes juridiques[156], notamment français[157] et québécois[158]. En définissant le consommateur comme « toute personne », sans aucune autre précision[159], le législateur permet une interprétation extensive englobant les personnes aussi bien physiques que morales[160]. On peut justifier cette conception large de la notion de consommateur par le fait qu’elle est donnée par une « loi-cadre » qui, à ce titre, se limite à formuler les grands principes, tout en laissant aux textes particuliers le soin d’adopter des règles plus détaillées. Cette affirmation n’est pas démentie en théorie, car les textes spéciaux retiennent tantôt une conception large[161], tantôt une conception restrictive[162] des personnes protégées. Quoi qu’il en soit, nous sommes tentés d’estimer que les personnes morales qui consomment des biens et services dans un but non professionnel[163] ou qui sont vulnérables dans une relation contractuelle sont protégées par la loi[164].

Cependant, il faut reconnaître que la doctrine n’est pas unanime sur le critère de rattachement d’un produit ou d’un service à l’activité professionnelle d’une personne morale[165], ce qui a pour conséquence de rendre presque inopérantes en pratique la conception extensive du consommateur ainsi que l’éventualité de l’adhésion des personnes morales à une action collective[166]. Cet état de choses peut s’expliquer par le fait qu’au Cameroun les personnes morales préfèrent généralement agir à titre individuel en vue de la défense de leurs intérêts, notamment en cas de clauses abusives dans les contrats d’adhésion, comme c’est également le cas en France et au Québec[167]. Plus globalement, cette instabilité de la doctrine trouve une circonstance atténuante dans la jeunesse du droit camerounais de la consommation, car aucune décision judiciaire au Cameroun n’a expressément considéré les personnes morales comme des consommateurs. D’ailleurs, les organisations et les associations de défense des droits des consommateurs sont le plus souvent saisies par les seules personnes physiques[168] lorsque vient le temps de mettre en oeuvre l’action collective.

2.1.2 La mise en oeuvre de l’action collective

Le législateur de 2011 a défini le cadre procédural de l’action collective en renvoyant pour l’essentiel aux dispositions du Code de procédure civile camerounais et à la Loi no 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire[169]. Ainsi est-il possible de déterminer les personnes habilitées à agir en justice, la juridiction compétente et la charge de la preuve. S’agissant des personnes habilitées à agir en justice, l’article 26 (3) de la Loi-cadre de 2011 dispose que « [l]a défense collective est assurée par une association de consommateurs ou une organisation non gouvernementale oeuvrant pour la protection des consommateurs[170] ». Aux termes de cette disposition, une évidence se dégage : un consommateur, personne physique, ne peut pas engager une action collective.

Cette position sévère du législateur camerounais rompt avec la grande souplesse du Code de procédure civile québécois qui confère la capacité d’agir à une pluralité de personnes[171]. Il sied de relever qu’au Cameroun, pour bénéficier de la personnalité juridique et pouvoir ester en justice dans le contexte d’une action collective, l’association doit être déclarée[172]. Quant à l’organisation non gouvernementale (ONG), elle doit être déclarée (ou autorisée) et agréée[173] par les services compétents au sein de l’administration de l’État. Contrairement au droit français qui exige que l’association de défense des droits des consommateurs ait une envergure nationale et soit agréée[174], le droit camerounais ne pose pas cette condition. Si cette flexibilité se révèle parfois favorable à une plus grande représentation des consommateurs[175], elle peut en revanche occasionner une multiplication de procédures. Par exemple, il arrive que plusieurs associations de défense des intérêts des consommateurs agissent devant des juridictions différentes mais contre un même professionnel et pour le même fait dommageable. Il va sans dire qu’une telle situation pourrait engorger davantage les tribunaux[176].

De ce fait, et pour ne pas devoir exiger une représentativité nationale des associations de protection des consommateurs, il serait souhaitable de créer des passerelles entre les différentes juridictions étatiques permettant de traiter simultanément et devant le même juge des affaires introduites séparément[177]. Pour résoudre cette difficulté, le Code de procédure civile québécois soumet l’exercice d’une action collective à l’autorisation préalable du juge[178], ce qui n’est pas le cas au Cameroun[179]. Cette saisine préalable permet au juge non seulement d’apprécier le sérieux de l’action et la représentativité de celui qui engage l’action[180], mais surtout de prendre des mesures destinées à impliquer toutes les personnes visées par la procédure. C’est ainsi qu’« [i]l ordonne la publication d’un avis aux membres ; il peut aussi ordonner au représentant ou à une partie de rendre accessible aux membres de l’information sur l’action notamment par l’ouverture d’un site Internet[181] ».

Pour ce qui est de la désignation de la juridiction compétente en vue de connaître de l’action collective, l’alinéa premier de l’article 27 de la Loi-cadre de 2011 se limite à indiquer qu’elle peut être engagée devant les juridictions étatiques compétentes ou introduite devant les instances arbitrales. En raison de sa spécificité, la procédure arbitrale sera évoquée plus tard. À propos des juridictions étatiques et faute de précision du législateur, le réflexe est de se référer immédiatement aux règles classiques de compétence en matière civile et commerciale.

Ratione materiae, l’action collective pourrait être portée devant le tribunal de première instance (TPI) ou le tribunal de grande instance (TGI), en fonction du montant de la demande[182]. Or, cette approche peut poser des difficultés d’ordre pratique car, au moment de l’introduction de l’action collective, « le montant de la réparation demandée par la voie d’une action de groupe est par définition inconnu, puisque ce n’est que dans un second temps, lorsque le groupe sera identifié et que les consommateurs concernés auront présenté leurs prétentions, que l’on pourra évaluer le montant total du litige[183] ». À travers ce prisme, il nous semble que la compétence devrait être reconnue exclusivement au TGI, peu importe l’enjeu pécuniaire. Une telle solution permettrait, d’une part, de reconnaître la spécificité de l’action de groupe — comme cela a été le cas autrefois en France[184] — et, d’autre part, d’approuver la position de la doctrine et de la jurisprudence camerounaises en faveur de la compétence du TGI en matière de demandes non chiffrées[185]. Lorsqu’une personne morale de droit public sera à l’origine du fait litigieux, l’action collective pourra être portée devant le tribunal administratif compétent, vu que la loi camerounaise ne l’interdit pas. En revanche, le législateur français a circonscrit les matières dans lesquelles l’action de groupe est admise devant le juge administratif[186].

Ratione loci, le tribunal compétent est celui du domicile du professionnel auteur du fait dommageable, dans le cas d’une personne physique. Par contre, si le professionnel est une personne morale, le tribunal compétent sera soit celui du lieu de son principal établissement ou de son siège social, soit celui du lieu d’implantation de sa succursale impliquée dans le litige, si elle bénéficie du pouvoir de le représenter en justice[187].

En ce qui concerne la charge de la preuve, elle n’a pas été ignorée. Le législateur camerounais a pris conscience de la difficulté d’établir le lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice subi par les victimes d’un dommage collectif. En effet, la preuve en la matière « exige généralement la mobilisation de moyens et d’expertises techniques et scientifiques dont le coût est souvent prohibitif[188] » pour les demandeurs. C’est sans doute la raison pour laquelle le législateur a inversé la charge de la preuve avec l’article 28 de la Loi-cadre de 2011 qui dispose que, « [d]ans le cadre de l’instruction de toute procédure relative à la protection du consommateur, la charge de la preuve contraire des faits allégués incombe au vendeur, [au] fournisseur ou [au] prestataire de service[189] ». Tout se passe comme s’il pesait contre le professionnel mis en cause dans une action de groupe une présomption simple de responsabilité. À défaut pour lui de rapporter la preuve du contraire, il sera donc condamné.

Cependant, pour ce qui est de l’adhésion des victimes à l’action collective, la législation camerounaise reste imprécise. En effet, l’article 29 de la Loi-cadre de 2011 se limite à indiquer que les décisions rendues dans ce contexte « produisent à l’égard de tous les consommateurs, tous leurs effets bénéfiques et peuvent être invoquées par un consommateur ou groupe de consommateurs pour obtenir réparation du préjudice subi[190] ». Comme on peut le constater, le législateur camerounais n’a pas choisi le système de l’option d’exclusion (opt-out) applicable en droit québécois[191], ni celui de l’option d’inclusion (opt-in) en vigueur en France[192]. Devant ce silence, une partie de la doctrine camerounaise estime qu’il aurait opté pour le système de l’opt-in[193]. Si cette position ne manque pas de pertinence, elle ne rend cependant pas compte de la subtilité de la situation.

En effet, pour déterminer le système retenu par le législateur au Cameroun, nous croyons qu’il faut distinguer si l’on se situe au moment de la mise en oeuvre de l’action collective ou de la liquidation de la condamnation. Dans la première hypothèse, en se limitant à indiquer que « [l]a défense collective est assurée par une association de consommateurs ou une organisation non gouvernementale[194] », sans prévoir un délai d’exclusion d’un membre comme au Québec (opt-out), ou un délai d’adhésion comme en France (opt-in)[195], le législateur camerounais semble avoir préféré un système hybride[196]. Ainsi se rapprocherait-il du modèle québécois en ce qu’une victime peut s’exclure à tout moment de l’action collective[197]. Inversement, il emprunterait également au modèle français, car une victime peut intégrer l’action collective à tout moment au cours de l’instance[198].

La même logique transparaît dans la seconde hypothèse, soit celle du moment de la liquidation de la condamnation. L’analyse des deux segments de l’article 29 cité ci-dessus permet de mettre en évidence deux propositions. D’une part, « [l]es décisions rendues dans le cadre [d’une action collective] produisent, à l’égard de tous les consommateurs, tous leurs effets bénéfiques ». Une telle formulation est très caractéristique du système de l’option d’exclusion (out-out) : autrement dit, tous les consommateurs victimes sont supposés avoir adhéré à l’action collective, sauf renoncement. D’autre part, les mêmes décisions peuvent être « invoquées par un consommateur ou groupe de consommateurs pour obtenir réparation du préjudice subi », ce qui fait appel au système de l’option d’inclusion (opt-in). Ce choix du législateur n’est pas dénué de tout sens car, en réalité, seules les victimes qui se seront réellement manifestées au moment de la liquidation pourront obtenir réparation de leur préjudice. Dans l’ensemble, cette version hybride, en contournant les inconvénients que comporte chacun de ces systèmes (opt-out et opt-in)[199], permet au consommateur de bénéficier des avantages d’une action collective. Au demeurant, il y a lieu d’estimer que toute personne intéressée, qui n’a pas pu intervenir dans une action collective conduite jusqu’à son terme, conserve toujours le droit d’engager une action individuelle avant l’expiration du délai de prescription[200]. Dans une telle procédure, elle pourrait néanmoins invoquer le jugement rendu à la suite de l’action collective afin de soutenir sa prétention. Cette possibilité devrait être également ouverte en cas de résolution non judiciaire du litige.

2.2 L’éventualité d’un règlement non-judiciaire

Les litiges de consommation ne se résolvent pas seulement avec le glaive de la justice. Ainsi, en dehors de la médiation qui peut être mise en oeuvre par les professionnels[201], le législateur a prévu d’autres mécanismes non judiciaires de règlement de litiges de consommation. Il a institué un comité de recours qui s’apparente plus à une instance administrative chargée de rapprocher le consommateur et le professionnel qu’à une véritable juridiction (2.2.1). Il a également posé le principe de l’arbitrabilité des litiges de consommation. En ce qu’il est normalement discret, l’arbitrage permettrait au consommateur d’être indemnisé sans que l’image du professionnel en pâtisse (2.2.2).

2.1.1 La saisine du comité administratif de recours

Dans le contexte de la protection des consommateurs, la Loi-cadre de 2011 crée, à l’échelle de chaque arrondissement, un comité de recours ayant pour mission d’assurer « le service public d’arbitrage des différends relatifs à la protection des consommateurs ». Cette formulation de l’article 30 de la Loi-cadre de 2011 peut surprendre parce qu’elle véhiculerait, a priori, l’idée de l’existence d’un arbitrage public par opposition à l’arbitrage privé. Il faut cependant se rapporter à l’organisation et au fonctionnement dudit comité, à la procédure suivie devant lui ainsi qu’à la nature de ses décisions pour comprendre qu’en réalité il n’est pas question d’une institution d’arbitrage ni d’une juridiction étatique spéciale[202]. Et le fait que ce comité soit un objet juridique « non identifié » est le principal foyer qui alimente le doute éventuel quant à son efficacité.

En ce qui a trait à sa mission, le comité de recours se révèle compétent pour connaître des litiges « impliquant un consommateur et un vendeur, un fournisseur de biens, de la technologie ou un prestataire de service et notamment [pour] examiner les demandes en annulation ou en révision des contrats de consommation, sans préjudice de la réparation du dommage subi[203] ». Très concrètement, un consommateur, une association ou une ONG travaillant à la protection des intérêts des consommateurs peut y recourir aux fins d’annulation ou de révision d’un contrat de consommation. La demande en annulation est fondée sur les défauts ou les vices cachés qui altèrent la qualité de la technologie, du bien ou du service objet du contrat[204]. Pour accomplir sa mission, le comité de recours est composé de cinq membres issus de différents secteurs de la vie sociale et économique du pays[205]. Cependant, une telle composition n’a pas de quoi rassurer, car on peut douter de la capacité de ses membres à maîtriser et à appliquer le droit de la consommation. Assurément, ce droit passe pour être technique, ce qui est vrai ! Il a également la réputation d’être difficile, ce qui n’est pas faux ! Néanmoins, la crainte se trouve quelque peu tempérée par la faculté qu’a le président du comité de recours d’inviter toute personne à prendre part aux travaux avec voix consultative, « en raison de ses compétences sur les questions inscrites à l’ordre du jour[206] ». Le comité se réunit au besoin, et les convocations, accompagnées des documents de travail, sont adressées aux membres 48 heures au moins avant la tenue de la session[207]. À noter que l’extrême brièveté de ce délai ne semble pas favorable à un examen minutieux des dossiers, notamment dans l’hypothèse des affaires complexes[208].

Quant à la procédure suivie devant le comité de recours, elle est très sommairement présentée pour être intelligible par les consommateurs et pour éviter de susciter des interrogations chez le praticien. Tout d’abord, le texte prévoit que le consommateur et le vendeur, le fournisseur de biens ou de la technologie ou encore le prestataire de service « peuvent, dans un premier temps, rechercher le règlement à l’amiable du litige qui les oppose[209] ». En cas d’échec, le consommateur dispose d’un délai de 30 jours pour saisir le comité de recours d’une requête[210]. Que se passerait-il si ce délai de saisine n’était pas respecté par le consommateur ? Quel serait le délai de saisine du comité de recours au cas où les parties ne souhaiteraient pas mettre en oeuvre un mode amiable de résolution des différends ? La saisine du comité de recours interromprait-elle la prescription de l’action en justice ?

Autant de questions qui demeurent sans réponse. Et on n’est pourtant pas au bout de ses peines. En effet, l’article 8 de l’arrêté organisant le fonctionnement du comité de recours prévoit que les parties sont convoquées dans un délai de 15 jours à compter de la saisine par une requête du consommateur. Toutefois, qu’adviendra-t-il si le professionnel refuse de déférer à la convocation[211] ? Aucune sanction n’est prévue, ce qui permet de considérer que le comité de recours ne pourrait simplement pas siéger. Ce sentiment est d’autant conforté que le texte impose la tenue des débats contradictoires[212].

À propos de la portée des décisions du comité de recours, l’article 11 (1) de l’arrêté précise que celles-ci donnent lieu à la rédaction d’un procès-verbal de session signé par le président et le secrétaire[213]. Elles sont insusceptibles de recours. Or, le procès-verbal n’ayant en lui-même aucune force contraignante, à moins qu’il ne soit homologué par le juge[214], comme cela est possible en droit québécois[215], le professionnel condamné peut toujours refuser de l’exécuter. Le risque d’un refus d’exécution[216] est de nature à susciter un désintérêt des consommateurs pour la saisine du comité de recours, encore que ses décisions ne puissent pas être contestées. L’article 12 de l’arrêté créant ledit comité se limite à préciser que « le consommateur insatisfait d’une décision du comité de recours conserve son droit de se pourvoir en justice ». Tout se passe alors comme si la saisine de ce comité était un simple faire-valoir, un ballon d’essai avant d’engager la phase contentieuse devant le juge. D’ailleurs, le texte reste silencieux sur les modalités d’exécution des décisions du comité de recours.

Au regard de tout ce qui précède, certains se demanderont peut-être, sans verser pour autant dans l’excès, à quoi sert véritablement ce comité de recours. Ne serait-ce pas une perte de temps — et, par conséquent, une perte d’argent — que d’y recourir[217] ? En effet, il serait judicieux de conjuguer la finalité simplement conciliatoire du comité de recours[218] avec la nécessité d’une décision véritablement contraignante. Par exemple, au lieu de créer un comité qui s’apparente à une justice parallèle[219], le législateur camerounais aurait pu se rapprocher de la solution française en organisant les modalités de médiation — publique ou privée — en matière de consommation[220] ou encore en favorisant la conciliation judiciaire qui existe dans d’autres systèmes[221]. Dans ces deux cas, la décision peut être immédiatement homologuée par le juge afin d’acquérir la force d’un jugement. Dès lors, la décision peut alors être remise en cause par les voies de recours judiciaires qui sont très bien connues pour être abordées dans notre réflexion. En tout cas, en raison de l’organisation actuelle de ce comité, il est aisé de comprendre la raison pour laquelle les consommateurs n’y recourent presque jamais. Ils préféreront alors, nettement, explorer la voie de l’arbitrage[222].

2.2.2 L’arbitrabilité des litiges de consommation

Au Cameroun, c’est le législateur qui prévoit la possibilité pour les parties au contrat de consommation de soumettre leur litige à un tribunal arbitral[223]. Cependant, comme on le sait, l’arbitrage suppose un accord qui prend la forme soit d’une clause compromissoire, soit d’un compromis d’arbitrage[224]. Voilà pourquoi la Loi-cadre de 2011, prenant en considération les craintes des mouvements consuméristes[225] et suivant l’exemple québécois[226], déclare nulles les clauses contractuelles qui « imposent une clause d’arbitrage unilatérale[227] ». Cette disposition n’empêche pas en revanche, d’une part, que les parties conviennent de recourir à l’arbitrage en cas de différend et, d’autre part, que le professionnel propose — sans l’imposer — un tel recours dans ses conditions générales. Dans ce dernier cas, le consommateur pourra activer cette clause en soumettant le litige né à un tribunal arbitral[228]. Au regard des avantages de ce mode alternatif de règlement des différends, il mérite d’être favorisé par les parties et développé par les praticiens[229].

Le recours à l’arbitrage bénéficie avant tout aux consommateurs car tout d’abord, en optant pour cette solution, ils ne renoncent pas aux garanties processuelles dont ils auraient pu se prévaloir devant une juridiction étatique[230]. Ainsi, aux termes de l’article 9 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage, « [l]es parties doivent être traitées sur un pied d’égalité, et chaque partie doit avoir toute possibilité de faire valoir ses droits[231] ». De même, les autorités judiciaires étatiques peuvent toujours être sollicitées en vue de l’administration de la preuve, tout comme des experts peuvent être commis afin d’éclairer le tribunal arbitral[232]. Ensuite, pour couvrir les frais inhérents à la procédure arbitrale, les consommateurs indigents peuvent toujours s’appuyer sur les associations de défense des droits des consommateurs[233]. Ils peuvent également faire appel aux sociétés financières « en échange de la rétrocession d’une partie des montants recouvrés en exécution de la sentence arbitrale, bien que le régime de tels accords reste à définir s’agissant des consommateurs[234] ». Enfin, les consommateurs peuvent contester une sentence arbitrale[235] ou, à l’inverse, solliciter son exéquatur en vue de la rendre contraignante et de procéder, le cas échéant, à son exécution forcée. Du côté du professionnel, qu’il soit question d’une personne physique ou encore d’une personne morale de droit privé ou de droit public[236], le recours à l’arbitrage permet de faire des économies de temps et d’argent. Par-dessous tout, il favorise une justice discrète et suffisamment protectrice de l’image du professionnel[237].

Si l’arbitrage est une bonne voie de règlement des litiges de consommation lorsque les parties sont domiciliées dans le même pays, cette solution risque d’être préjudiciable au consommateur lorsqu’elle a un caractère international. À cela s’ajoute le fait que l’arbitrage au sein de l’espace OHADA se limite pour l’heure à l’arbitrage commercial et à l’arbitrage d’investissement, d’où la nécessité de les adapter à la spécificité du droit de la consommation. Sur le premier point, soit en matière d’arbitrage international, l’arbitrage peut être dissuasif pour le consommateur, notamment lorsque cette action doit se tenir dans un pays étranger. Les affaires impliquant respectivement Mme Rado[238] et M. Philippe Renaut[239] sont, à cet égard, éclairantes[240]. Cette difficulté a souvent conduit la doctrine à conclure que « l’arbitrage international n’est pas fait pour les consommateurs[241] ». De ce point de vue, les consommateurs doivent être particulièrement vigilants au moment de la détermination du lieu — et partant de la langue — de l’arbitrage, puisque tous ces aspects ont une incidence sur le coût de l’arbitrage. Dans l’optique de protéger davantage les droits du consommateur, la Cour de cassation française a récemment admis, en prenant appui sur le droit européen[242] et sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne[243], que le juge étatique peut écarter une clause d’arbitrage abusive en matière de consommation. Autrement dit, il ne doit pas déclarer son incompétence[244] lorsque « la règle procédurale de priorité [principe compétence-compétence] ne peut avoir pour effet de rendre impossible, ou excessivement difficile, l’exercice des droits conférés au consommateur par le droit communautaire que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder[245] ». C’est là une brèche ouverte en faveur des parties faibles au contrat[246].

En outre, lorsque l’arbitrage a été rendu dans un pays étranger, il n’est pas évident pour le juge du lieu de l’exécution de contrôler sa conformité à l’ordre public international. En réalité, il n’existe pas véritablement d’ordre public international — clair et précis — en matière de droit de la consommation. À notre sens, la construction de ce que nous appellerons une lex consummatio[247] est nécessaire en vue de la garantie efficace des droits des consommateurs à l’échelle universelle. Notre propos n’étant pas d’insister outre mesure sur cet aspect, nous préconisons simplement que ces normes internationales proviennent aussi bien des Principes directeurs des Nations Unies en matière de protection des consommateurs que des règles de l’Organisation mondiale du commerce.

Sur le second point, relatif à la manière d’arbitrer en matière de consommation, les arbitres se font souvent reprocher de statuer comme ils le feraient dans les litiges commerciaux ou d’investissement. En clair, ils auraient tendance à privilégier la force obligatoire du contrat au détriment de la protection du consommateur. C’est ainsi que, dans la plupart des pays en voie de développement, le recours à l’arbitrage en matière de consommation est souvent perçu comme « un instrument d’oppression du faible par le fort[248] ». Pour inverser cette mauvaise tendance, les parties à l’arbitrage devraient veiller à désigner des arbitres compétents en la matière. Par exemple, si le tribunal doit être constitué de trois arbitres, comme c’est souvent le cas[249], le consommateur peut désigner un expert sur la liste que proposent souvent les associations ou les ONG, tandis que le professionnel pourra nommer un expert de son milieu d’activité. Les deux arbitres pourront alors, à leur tour, choisir le troisième arbitre qui présidera le tribunal. Il est souhaitable que ce dernier soit un juriste afin de veiller au respect de la procédure et à la qualité des débats. Quoi qu’il en soit, l’émergence d’un arbitrage spécialisé dans les litiges de consommation s’avère grandement souhaitable[250].

Conclusion

L’évolution du droit de la consommation se trouve à l’image même de l’évolution humaine et sociale. Le fait que les individus et la société sont devenus de plus en plus exigeants a favorisé l’éclosion de normes toujours plus protectrices. Les développements qui précèdent nous ont permis de mettre en exergue les principales métamorphoses récentes du droit de la consommation au Cameroun. Au renforcement de la protection juridique et institutionnelle s’ajoute la consolidation des garanties processuelles du consommateur. De même, l’internationalisation de la protection du consommateur est de nature à créditer l’idée selon laquelle le consommateur tend à devenir roi. Cependant, la protection du consommateur se révèle une quête, voire une conquête, permanente qui doit amener le droit à s’adapter pour prendre en considération les nouvelles aspirations en matière de consommation. Ainsi, le droit camerounais de la consommation est un droit construit, mais où « tout est à construire[251] » ; c’est un droit immergé dans la société, mais aussi un droit émergent. Il est simplement et a vocation à demeurer, comme la règle juridique elle-même, un soleil qui ne se couche jamais !