Hors-dossierRecensions

Alex Gagnon, Les métamorphoses de la grandeur : imaginaire social et célébrité au Québec (de Louis Cyr à Dédé Fortin), Montréal, Presses de l’Université de Montréal coll. « Socius », 2020, 584 p.[Notice]

  • Benoit Vaillancourt

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  • Benoit Vaillancourt
    UQAM

Le dernier livre du chercheur en littérature Alex Gagnon nous arrive habillé d’un bandeau rouge à la formule accrocheuse. « Des vedettes bien de chez nous », annonce-t-il en grosses lettres. Les Presses de l’Université de Montréal ont de la suite dans les idées. Quatre ans après la parution, également dans la collection Socius, de La communauté du dehors (2016), son ouvrage sur « des crimes bien de chez nous », Gagnon propose une nouvelle exploration de l’imaginaire social québécois, cette fois-ci à partir de quatre personnalités qui ont acquis une forte notoriété dans la province : le pilote Robert Piché, propulsé sous le feu des projecteurs en 2001 après un atterrissage d’urgence qui a sauvé les passagers et membres d’équipage de son avion de ligne ; le chanteur André « Dédé » Fortin qui, à la tête du groupe les Colocs, a fait danser le Québec jusqu’à son suicide en 2005 ; l’homme fort Louis Cyr, dont les prouesses physiques au XIXe siècle sont entrées dans la légende ; et la criminelle Karla Homolka, installée dans la région de Montréal après avoir purgé une peine de prison pour des meurtres qui ont choqué le Canada au début des années 1990. Gagnon fait le pari de rapprocher ces quatre incarnations contemporaines de la célébrité et de la grandeur – grandeur dans le registre du bien pour les premiers, dans celui du mal pour la dernière – pour montrer qu’ensemble, elles ont « un pouvoir de révélation majeur » et permettent de « restituer un état de l’imaginaire » (p. 21). Ce pari, disons-le tout de suite, est tenu avec brio. L’ouvrage se divise en quatre parties, chacune consacrée à l’une des personnalités. Loin de faire leur biographie, Gagnon s’attache à suivre l’élaboration de leur figure publique dans une perspective d’histoire culturelle. Par figure publique, il entend non pas la personne célèbre en elle-même, mais « l’image d’elle que se construisent les membres d’une collectivité en produisant, en recevant et en assimilant, pour les agréger au sein d’une représentation englobante, la totalité des signes qui la concernent » (p. 21-22). Ce qui l’intéresse, c’est par conséquent la figure engendrée par les multiples médiations qui s’interposent entre un individu et les membres de son public, la « tierce instance constituée par l’ensemble des représentations qui ont été mises en circulation » (p. 21). Gagnon est toujours soucieux de remonter à l’origine des discours, de restituer les circonstances de leur énonciation et de leurs inflexions au fil du temps. De manière générale, sa démonstration suit la chronologie. Elle trace des parcours similaires qui commencent à chaque fois avec un événement déclencheur inaugurant plus ou moins subitement l’existence médiatique de la personne auparavant inconnue. Cette visibilité connaît ensuite des pics au gré de l’actualité, chaque apparition contribuant à forger des représentations qui seront finalement cristallisées et popularisées par des oeuvres d’inspiration biographique et dans le cas de personnes décédées, par des hommages posthumes. Par sédimentation, le « héros » Robert Piché, dont l’alcoolisme et la condamnation pour trafic de drogue sont devenus de notoriété publique, en arrive à apparaître comme un exemple de ténacité au nom de la rédemption qu’il a trouvée en puisant dans ses dispositions intérieures, le « génie » Dédé Fortin comme un poète authentiquement québécois qui a succombé à la malédiction littéraire, le « champion » Louis Cyr comme un simple Canadien français dont la force du corps et de l’esprit a fait contrepoids à l’humiliation de son peuple, et le « monstre » Karla Homolka comme un mystère dont la féminité a obscurci son statut soit de victime …