Hors-dossierChronique d’histoire militaire

Le courage démasqué : récits de la valeur martiale et Grande Guerre (1re partie)[Notice]

  • Yves Tremblay

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  • Yves Tremblay
    Ministère de la Défense nationale, Ottawa

La guerre était l’épreuve du courage. Le barde y veillait, l’entretenait. Le courage était si honorable que le héros pouvait même insulter le roi. Ainsi d’Achille à Agamemnon : « Sac à vin ! oeil de chien et coeur de cerf ! Jamais tu n’as eu le courage de t’armer pour la guerre avec tes gens, ni de partir pour un aguet avec l’élite achéenne : tout cela te semble la mort ! » Deux millénaires et demi plus tard, Nietzsche essentialisait encore la valeur martiale : « La guerre et le courage ont plus fait de grandes choses que l’amour du prochain […] l’homme est quelque chose qui doit être surmonté ». On pourrait dire que le courage à la guerre est une vertu assumée dont la valeur est à peu près inentamée dans l’imaginaire jusqu’à la Grande Guerre. Cependant, dans les écrits des combattants, plutôt confidentiels avant 1915-1916 sauf les lettres truquées publiées dans la presse, tôt le courage tend vers l’endurance, se détachant du « fait d’armes » à strictement parler ; de la sorte, la vaillance recule devant l’expression d’une autre sensibilité. Ainsi, Henri Barbusse reçoit le Goncourt 1916 pour un roman sans concession sur la guerre des tranchées. À la fin du chapitre éponyme du Feu, par la bouche d’un mourant, Barbusse redéfinit courage : « Regardez ceux-là, ils retournent là-bas, et vous aussi vous allez retourner. Ça va continuer pour vous autres. Ah ! Il faut être vraiment fort pour continuer, continuer ! », une conviction qu’il a eue dès 1915 : Il y a du courage à endurer, d’où honte du cabotinage patriotique, des « mots gesticulants » dit Genevoix, qui publie en 1915 en feuilleton ses premiers souvenirs de guerre : « notre héroïsme n’est rien, non plus que la lâcheté ou la vilenie des autres : il n’y a que votre [les proches] confiance, et que notre résignation ». Chez Barbusse et Genevoix, les choses sont présentées de manière réaliste, et il en est ainsi de la plupart des écrivains combattants dans les années 1920 et 1930. Le succès des Mémoires d’un Jünger n’y change rien. Orages d’acier paraît à compte d’auteur en 1920, devient rapidement un best-seller, mais même si le livre se termine sur la citation à la croix Pour le Mérite, la plus haute décoration pour valeur militaire prussienne, Jünger est moins enthousiaste à la fin de la guerre qu’au début : par exemple, des recrues de 1918, il écrit qu’elles « manifestaient le courage total de l’inexpérience ». Ses livres suivants sont plus réflexifs. Le combat comme expérience intérieure de 1922 et le moins connu Sturm de 1923 se voulaient philosophiques, avec un goût fascisant pour la camaraderie et la virilité, mais l’expérience revient à l’avant-plan en 1924-1925 avec Le Boqueteau 125, « journal » d’un mois de guerre de tranchées, et Feu et sang, qui concerne quelques journées de combat, peut-être le meilleur de la série. Feu et sang s’ouvre sur un désenchantement : Maurice Genevoix est plus explicite de la transformation du courage sous le coup des conditions éprouvantes de la Grande Guerre. Une semaine après l’incorporation comme officier de réserve, responsable de 70 hommes, Genevoix écrit ceci de sa première exposition à un tir d’obus : « Soudain, un sifflement rapide qui grandit, grandit… et voilà deux shrapnells qui éclatent, presque sur ma tranchée. Je me suis baissé ; j’ai remarqué surtout l’expression angoissée d’un de mes hommes. Cette vision me reste. Elle fixe mon impression. » Dix jours plus tard, le 13 septembre …

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