Dossier : La commission Pepin-Robarts, quarante ans aprèsPrésentation

La commission Pepin-Robarts : ou la sourde oreille à la « troisième voie »[Notice]

  • François Rocher

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  • François Rocher
    École d’études politiques, Université d’Ottawa

Dans son tour d’horizon des commissions d’enquête dans le système parlementaire canadien, le politologue James Ian Gow faisait remarquer qu’il faut porter une attention particulière aux intentions des gouvernements qui font appel à elles. Elles permettent, entre autres, d’aborder des questions complexes, peuvent servir à gagner du temps ou préparer l’opinion publique à une intervention gouvernementale. Ses membres peuvent être choisis pour obtenir un rapport qui va dans le sens des attentes gouvernementales. Quoi qu’il en soit, une fois créées, elles jouissent d’une grande indépendance et peuvent interpréter librement le mandat qui leur a été attribué. Cela étant, elles peuvent éventuellement prendre une importance stratégique, même lorsque le gouvernement du jour n’y donne pas suite, dans la mesure où elles peuvent jeter les bases idéologiques donnant une certaine légitimité aux changements proposés qui alimenteront ultérieurement les débats. En d’autres termes, elles peuvent semer des graines qui finiront par germer. À court terme, tel ne fut pas le cas de la commission Pepin-Robarts, dont l’analyse et les recommandations étaient dissonantes par rapport aux transformations institutionnelles qui ont marqué le début des années 1980. Peut-être était-ce l’intention de départ ? Le chef du Nouveau parti démocratique de l’époque, Ed Broadbent, rapportait que « Jean-Luc Pepin [lui avait] dit un jour que chaque fois qu’il y avait une question politiquement sans issue à traiter, Trudeau lui demandait de s’en occuper ». Néanmoins, à moyen terme, l’esprit du rapport a alimenté, pendant un temps, les propositions constitutionnelles à la fois de certaines élites politiques québécoises (notamment le Livre beige de Claude Ryan, qui précisait la position constitutionnelle du Parti libéral du Québec [PLQ] à la veille du référendum de 1980) et canadiennes (d’une certaine manière, les accords de Meech [1987] et de Charlottetown [1992] se sont inspirés de cette vision). Les deux tentatives de modification substantielle de la Constitution se sont soldées par des échecs. La « troisième voie » proposée par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, qui s’inscrivait dans le sillage de la philosophie de Pepin-Robarts, fut rejetée par une majorité de Canadiens et de Québécois (pour des raisons différentes) et les pourparlers à saveur constitutionnelle sont devenus radioactifs pour la classe politique. À long terme, les propositions de la commission semblent être tombées en désuétude. Depuis 1867, le gouvernement fédéral a mis sur pied pas moins de 370 commissions d’enquête. Peu d’entre elles se sont penchées spécifiquement sur des enjeux associés aux relations intergouvernementales, à l’unité nationale ou aux problèmes constitutionnels. Il y eut, certes, celles portant sur la création de nouvelles provinces ou les « problèmes territoriaux » liés aux Métis et aux Premières Nations (1875, 1876, 1901, 1906, 1923, 1929, 1958 et 1959). Il y eut aussi, pour rendre compte des défis posés par la Grande Dépression provoquée par le krach boursier de 1929, la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces (Rowell-Sirois – 1937-1940), qui a abordé la situation économique et financière du Canada. Elle s’est notamment intéressée à ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le déséquilibre fiscal, tout en privilégiant une approche centralisatrice et fonctionnelle du fédéralisme canadien qui continue encore largement à servir de point de référence quant à la manière d’appréhender le fédéralisme dans la littérature d’expression anglaise. Toutefois, seulement trois commissions ont directement abordé les tensions pérennes sous l’angle des rapports entre la majorité anglo-canadienne et la minorité d’expression française : la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Laurendeau-Dunton – 1963-1970), la Commission de l’unité canadienne (Pepin-Robarts – 1977-1979) et le Forum des citoyens sur l’avenir du Canada (Spicer – 1990-1991). Elles correspondent à la période où les …

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