Dossier : Le projet du bilinguisme canadien : histoire, utopie et réalisationPrésentation

Grandeur et misère de l’utopie bilingue au Canada[Notice]

  • François-Olivier Dorais,
  • Michel Bock et
  • E.-Martin Meunier

…plus d’informations

  • François-Olivier Dorais
    Candidat au doctorat en histoire, Université de Montréal

  • Michel Bock
    Chaire de recherche sur l’histoire de la francophonie canadienne, Université d’Ottawa

  • E.-Martin Meunier
    Chaire de recherche Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles, Université d’Ottawa

La coexistence des langues au Canada n’a rien d’une béate harmonie. L’horizon enviable d’une paix linguistique, que l’on ne cesse de contempler de nos jours, a peut-être fait perdre de vue cet axiome élémentaire, à savoir que les langues anglaise et française (et, faudrait-il ajouter, autochtones) évoluent ici dans des rapports de forces politiques, elles sont en concurrences, elles se « chassent », pour employer l’expression de Jean Laponce. S’il en est ainsi, c’est bien parce que les langues traduisent, en elles-mêmes, des modalités d’intégration sociétales différentes et des conceptions distinctes du bien commun. Elles structurent tout autant qu’elles sont traversées par les tensions des débats qu’elles engendrent. Par cela seul, le bilinguisme signale son importance : il pose la question même du politique, c’est-à-dire celle du « vouloir-vivre collectif », du « devoir-vivre collectif » et du « comment-vivre ensemble ». C’est peu dire que les enjeux linguistiques au Canada ont des origines profondes ; en effet, la question du bilinguisme n’a jamais réellement cessé de se poser depuis 1760, bien que l’importance du débat qu’elle a engendré ait pu varier considérablement, selon l’époque. Non seulement est-elle constitutive de la formation du Canada et s’insinue-t-elle dans l’historique de ses plus vives tensions, mais elle interpelle l’enjeu même de l’aménagement – et, par conséquent, celui du maintien – de la vie française. Produit d’abord d’un ordre historique contingent, le bilinguisme a teinté les grands jalons politiques, juridiques et culturels de la colonisation et du développement du pays. En effet, dès 1774, Londres consacre tacitement un bilinguisme anglais/français dans la colonie par l’Acte de Québec. Cette politique, qui reconnaît l’existence des us et coutumes français, est confirmée par l’Acte constitutionnel de 1791, avec la création du Haut et du Bas-Canada. Dès l’ouverture du premier parlement à Québec, les députés optent pour un fonctionnement bilingue à la Chambre, en ne donnant toutefois de statut officiel qu’à la version anglaise des lois. Ambiguïté originelle qui, bien qu’elle ne confère pas de statut juridique au français, pose néanmoins le bilinguisme dans l’horizon des enjeux de la communauté politique. En dépit d’assauts renouvelés contre le fait français, notamment dans les premières années de l’Acte d’Union, où l’unilinguisme anglais sera officiellement proclamé pendant quelques années, le Canada ne se départira jamais de cette tradition bilingue, qui se déclinera de diverses manières selon les époques. Si le régime linguistique canadien actuel, défini notamment par la Loi sur les langues officielles (adoptée en 1969, révisée en 1988), la Constitution et les divers régimes linguistiques provinciaux en vigueur, prolonge jusqu’à nous cette tradition politique et judiciaire, il trouve ses origines politiques et intellectuelles ailleurs, au début du XXe siècle, dans les débats politiques sur la nature du régime fédéral engendré par la Constitution de 1867. Animé d’une visée uniformisante et centralisatrice, le Parti conservateur au pouvoir à la fin du XIXe siècle, qui souhaite alors faire du Canada un dominion anglo-dominant, fidèle aux traditions héritées de ses origines britanniques, doit renoncer au modèle unitaire et consentir à une fédération par esprit de compromis à l’endroit des Canadiens français. Si la loi de 1867 ne contient qu’un seul article à caractère linguistique, limité au bilinguisme législatif et judiciaire à Ottawa et à Québec (article 133), elle accorde en revanche aux minorités religieuses une protection étendue avec l’article 93, disposition à laquelle les Canadiens français auront recours pour tenter de sauvegarder leurs écoles catholiques et françaises. Les premières crises scolaires postconfédérales, fruit d’une volonté d’homogénéisation culturelle de la part des autorités politiques britanniques, attestent d’ailleurs la primauté de l’enjeu confessionnel sur l’enjeu linguistique. Signe que ce rapport tend toutefois …

Parties annexes