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L’inclusion ne consiste pas à intégrer des personnes dans ce qui existe déjà, mais à créer un nouvel environnement, un meilleur environnement pour tous. Un environnement qui valorise, reconnait et met en avant ceux qui sont à la périphérie.

Dei, 2014 : 19[1]

Le Canada est marqué par une grande diversité linguistique. À titre d’exemple, lors de son dernier recensement, Statistique Canada soulignait que les foyers canadiens déclaraient parler 241 langues maternelles (Statistique Canada 2023a). Ces langues sont soit reconnues comme langues officielles des territoires et des provinces du Canada, soit elles sont le reflet d’une immigration croissante au sein du pays.

Ainsi, les trois territoires canadiens (Territoires du nord, Yukon et Nunavut) dénombrent 18 langues officielles. Quant aux provinces canadiennes, le Nouveau-Brunswick est officiellement bilingue (français-anglais). Le Québec dispose d’une langue officielle, le français, et offre aux minorités anglophones des services en anglais notamment en termes d’éducation. Les huit autres provinces ont l’anglais comme langue officielle et adoptent des mesures pour offrir, à des degrés divers, des services aux minorités francophones. Les langues des communautés autochtones, le français et l’anglais cohabitent donc sous l’égide de politiques linguistiques variées. En ce qui a trait à la francophonie plus particulièrement, il convient aussi de noter que si depuis les dix dernières années le nombre de locuteurs·rices déclarant pouvoir soutenir une conversation en français uniquement diminue, le nombre de locuteurs·rices déclarant pouvant tenir une conversation dans les deux langues officielles a toutefois augmenté de 12,5 % (Statistique Canada 2023b).

En matière d’éducation, chacune des dix provinces canadiennes suit des politiques linguistiques différentes et de part des dispositifs éducatifs fédéraux, comme, par exemple, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et des libertés de 1982 (Gouvernement du Canada), les enfants inscrits dans les écoles des provinces canadiennes sont amenés à suivre un enseignement en anglais ou en français, en milieu minoritaire ou majoritaire. Dans la province de l’Ontario par exemple, cohabitent des écoles de langue anglaise et des écoles de langue française, ces dernières se positionnant dans un contexte minoritaire puisque la langue officielle de la province est l’anglais. Ainsi, le français y est langue d’enseignement mais en dehors de l’école, les élèves sont en contact fréquent voire même constant avec l’anglais, langue dominante dans la province ontarienne.

Notons que les langues de l’immigration contribuent également à dynamiser et enrichir ce paysage linguistique canadien. De fait, toujours selon Statistique Canada (2017 : 1), 37,5 % des enfants de moins de 15 ans résidant au Canada ont au moins un parent né à l’étranger, ce qui reprèsente près de 2,2 millions d’enfants. D’ici 2036, les enfants issus de l’immigration pourraient représenter entre 39 % et 49 % des enfants scolarisés au Canada.

Déjà en 2006, Gérin-Lajoie soulignait : « Que ce soit dans une école francophone de la région de Toronto, dans une école du centre-ville de Montréal où dans une école de banlieue parisienne, le tissu social de la salle de classe est diversifié et les enseignantes et les enseignants doivent en tenir compte » (4). Cependant, encore aujourd’hui, malgré cette diversité linguistique et culturelle riche et croissante, force est de constater que le système scolaire a tendance à laisser peu de place à la diversité dans le processus d’enseignement et d’apprentissage, privilégiant principalement la langue et la culture dominante de l’école (Gogolin 1997 ; Cummins 2009, 2021). Ce positionnement vient à l’encontre de plusieurs recherches internationnales réalisées en collaboration avec des enseignant·e·s et qui, depuis plus de cinquante ans[2], soulignent les effets positifs aux niveaux cognitif, social, et affectif des approches pédagogiques qui valorisent le répertoire diversifié des élèves en contexte scolaire (Moore 2006 ; Armand et al. 2008 ; Auger et Le Pichon 2021 ; Cummins 2021). Ces recherches soulignent l’importance de reconfigurer un modèle traditionnel d’école monolingue et monoculturelle afin de mieux répondre à un public changeant et marqué par une diversité linguistique et culturelle grandissante. Comme les articles présents dans ce numéro spécial l’abordent, ce changement ne se fait pas sans heurt et questionne les conceptions et le mandat que l’on assigne traditionnellement à l’école (Gérin-Lajoie 2008).

Parmi les approches pédagogiques qui souhaitent répondre de façon positive à la diversification linguistique et culturelle des publics scolaires, mais aussi au renforcement et à la valorisation des savoirs autochtones, celles qui font des langues et cultures un atout dans le processus d’enseignement et d’apprentissage sont l’objet d’une attention soutenue dans les milieux scolaires canadiens, et plus spécifiquement dans le cadre de l’enseignement du français langue première ou langue seconde. Ainsi, l’approche actionnelle qui priviligie notamment le développement de compétences plurilingues et pluriculturelles (Piccardo et North 2019) est souvent recommandée dans les programmes scolaires pour enseigner le français langue seconde au Canada. Les approches d’éveil aux langues (Armand et al. 2008 ; Lory et Valois 2021) et celles d’éveil aux langues autochtones (Lemaire 2021) sont mises en oeuvres dans plusieurs écoles canadiennes où le français est langue d’enseignement comme les approches promouvant la plurilittératie (Fleuret et Sabatier 2019) ou encore celles mettant le plurilinguisme à l’honneur dans l’enseignement de la grammaire (Thibeault 2020). Notons par ailleurs que, dans la mise en valeur des savoirs et cultures autochtones en contexte canadadien (Lemaire, 2021), de plus en plus d’enseignant·e·s font désormais une place à la diversité linguistique et culturelle dans leurs discours et leurs pratiques (Armand, 2008 ; Prasad et Lory, 2020) et reconnaissent l’importance de valoriser les savoirs autochtones dans leur enseignement. Comme nous le découvrons au moyen des différents articles composant ce numéro d’Arborescences, les dénominations pour aborder ces approches sont variées et s’adaptent aux contextes et aux caractéristiques des publics visés ou des intentions pédagogiques des éducateurs qui les mettent en oeuvre. Cependant, elles s’accordent toutes sur les principes d’équité et d’inclusion et sur le fait que la diversité linguistique et culturelle est un atout précieux dans le développement langagier et scolaire de tout·e·s les apprenant·e·s (Bono et Stratilaki 2009).

Ce numéro de la revue Arborescences présente ainsi plusieurs cadres et pratiques pédagogiques autour de la thématique du plurilinguisme en contexte scolaire francophone canadien. Il souhaite mettre en lumière des enjeux persistants dans la prise en compte de la diversité linguistique et culturelle tout en proposant un regard historique, critique, descriptif, mais aussi empreint d’optimisme sur un système scolaire en plein changement.

Ainsi, l’article de Carole Fleuret parle des agirs enseignants et des gestes professionnels que ces derniers peuvent et surtout doivent adopter en contexte scolaire afin de soutenir une francophonie minoritaire plurielle. Elle nous invite à nous engager dans la voie d’une didactique du plurilinguisme afin de repenser notre rapport à l’Autre et soutenir de façon inclusive les élèves immigrants au sein du système scolaire franco-ontarien.

Eva Lemaire convoque quant à elle quatre projets de recherche impliquant des Ainé·e·s, gardien·ne·s du savoir et éducateurs·rices autochtones, dans le but de répondre à une question fondamentale : « Comment amener les écoles francophones en contexte minoritaire à se rapprocher des communautés autochtones locales afin de cheminer ensemble pour mieux éduquer à la réconciliation ? ». Cette réflexion portée en contexte scolaire francophone minoritaire offre des pistes de possibilités au système scolaire pour contribuer de façon significative au processus de réconciliation et à la mise en oeuvre de pratiques inclusives.

À partir d’entrevues réalisées auprès d’enseignant·e·s, Marie-Paule Lory aborde les enjeux relatifs à l’implantation des approches qui valorisent la diversité linguistique et culturelle en contexte francophone minoritaire au Canada, notamment la dualité entre le français et l’anglais. Elle invite les enseignant·e·s à s’engager dans des communautés de pratiques pour penser la francophonie de façon plurielle, collaborative et inclusive.

Catherine Maynard et Joël Thibeault portent leur regard sur les pratiques enseignantes en offrant un panorama des pratiques plurilingues déclarées par des enseignant·e·s oeuvrant dans des écoles de langue française en Ontario et au Québec dans le cadre de l’enseignement de la grammaire. Leur texte s’appuie sur des entretiens pour donner une voix aux enseignant·e·s et ainsi nous permettre de mieux entrevoir leur réalité et de nombreuses possibilités en termes d’enseignement.

Enrica Piccardo présente les mises à jour faites au Cadre européen commun de référence (CECR) utilisé en Europe et dans de nombreuses institutions au Canada dans le cadre de l’enseignement de langues dites secondes, dont le français langue seconde. Elle propose une réflexion sur différents concepts clés de ce CECR renouvelé, comme ceux de médiation et de plurilinguisme. Elle nous invite à utiliser ce cadre comme levier d’innovation dans le processus d’enseignement et d’apprentissage.

En fin de parcours, inaugurant la nouvelle section « Ramilles » de la revue, Emmanuelle Le Pichon offre une réflexion sur les francophonies à partir du concept d’espaces développé en sociolinguistique par Jan Blommaert. Au moyen d’un dialogue initié sous la forme de balados, elle interroge quatre participantes sur leur sentiment d’appartenance à la francophonie. À partir de ces discours authentiques, Le Pichon nous permet de (re) questionner nos idéologies et nos univers de référence en fonction des contextes. Les réflexions menées nous engagent dès lors à revisiter le concept de pédagogie inclusive.

Les articles proposés dans ce numéro proposent des pistes pour répondre à un monde de plus en plus diversifié en contexte scolaire et soutenir la réussite et l’épanouissement de l’ensemble des élèves. L’école d’aujourd’hui se trouve encore trop souvent en déconnexion avec les réalités quotidiennes des élèves canadiens. Les réflexions menées par les contributeurs·rices nous invitent ainsi à revisiter nos pratiques pédagogiques de façon plus inclusive et équitable.