Introduction to Special Thematic IssueIntroduction au numéro thématique

De la spiritualité aux spiritualités[Notice]

  • Géraldine Mossière

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  • Géraldine Mossière
    Université de Montréal

Yoga, méditation, mouvements de développement personnel, pratiques ésotériques liées au Nouvel Âge, rituels chamaniques, ou croyances issues d’Asie de l’Est et du Sud, de plus en plus d’activités se définissent aujourd’hui comme « spirituelles ». Bien que la plupart d’entre elles s’inspirent de cosmologies spécifiques qui impliquent leurs propres représentations du monde, les pratiques qui en découlent sont habituellement fortement individualisées et souvent privées. Elles s’appuient typiquement sur des croyances personnelles empruntées à une diversité de sources, telles que la croyance en un monde interconnecté ou en une forme de vie après la mort, des activités de pleine conscience ou de méditation, etc. Bon nombre d’entre elles alimentent une industrie du bien-être en offrant des outils pour l’exploration et la réalisation du soi. L’enthousiasme contemporain pour la spiritualité en tant que discours populaire est généralement attribué aux reconfigurations religieuses contemporaines induites par les processus de sécularisation, et à une certaine désaffection à l’égard des religions vues comme des autorités et des institutions. La distinction entre religion et spiritualité ne va cependant pas de soi et l’on aurait tort de limiter la spiritualité à des mouvements de développement personnel ou à la réappropriation de certaines traditions issues d’Asie (bouddhisme, hindouisme) ou des peuples autochtones. C’est surtout la modernité et la dissociation entre le privé et le public, l’approche scientifique et critique envers les dogmes religieux, et une plus grande tendance au relativisme qui ont contribué à dissocier le spirituel et le religieux comme deux sphères de religiosité (Carrette et King 2004 ; Huss 2014). Pourtant, la plupart des personnes qui fréquentent des institutions religieuses se disent « spirituelles ». Implicitement ou explicitement, la spiritualité a historiquement été ancrée dans les traditions religieuses comme des pratiques et des voies de transcendance, parfois extatiques, que ce soit dans le mysticisme chrétien, le soufisme dans l’islam, ou la kabbale dans le judaïsme (Obadia 2023). De façon intéressante, le terme est moins présent dans les traditions non monothéistes, bien que celles-ci ne soient pas dépourvues de rituels visant les contacts et les échanges avec d’autres niveaux de réalité. Un détour par la généalogie peut être éclairant : le mot « spiritualité » provient du mot latin spiritus, lui-même issu du grec pneumatikos qui désigne « l’esprit », mais aussi « le souffle ». Il définit ainsi les biens, des charismes ou des réalités du monde dont la valeur est particulière du fait qu’ils sont baignés du souffle de l’esprit. En fait, la notion de spiritualité est intimement liée à la religion. Le mot « religion » renvoie au latin cultus qui définit un système culturel comprenant des croyances, des codes moraux, des rituels, ainsi qu’un groupe organisé spécifique ; tandis que la spiritualité renvoie au latin pietas qui fait référence à une religion vécue comme une qualité personnelle de dévouement. Dans l’Antiquité, il était cependant rare qu’une personne soit spirituelle (pietas) sans appartenir à un groupe organisé et à son système social et éthique (cultus). Ce n’est qu’au XIIe siècle que le christianisme s’est emparé du terme pour l’associer à une dimension plus subjective de la foi, dimension qui se substitue alors à la corporéité et à la matérialité des croyances. La critique acerbe que portent les philosophes des Lumières à l’égard des discours dogmatiques et des autorités religieuses établit la rupture et consacre un nouveau rapport au religieux autour de l’autonomisation de la pratique et d’une certaine réflexivité individuelle qui, à la suite de Kant, met à distance la théologie instituée (Nérisson 2021). Bien que le terme spiritualité n’y soit pas clairement énoncé, c’est là que s’enracine une …

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