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En matière de droit criminel, lorsqu’on procède à l’analyse de débats parlementaires ou lorsqu’on consulte la jurisprudence pertinente, on constate empiriquement ce « relais », que nous décrivions ailleurs, entre les différents objectifs de la peine[1]. Quand on ne croit plus en la dissuasion, on se rabat en effet sur la rétribution ou encore sur la dénonciation. De temps en temps, la réhabilitation revient à la mode avant de susciter elle-même le doute qu’exploitera à nouveau la dissuasion. Et ainsi le cycle reprend, créant l’illusion que malgré tout, en tant que « modernes », nous ne cessons de progresser, d’apprendre et d’avancer en matière de justice pénale. Cependant, au milieu de ces tergiversations, lorsqu’on se déplace des objectifs aux moyens, apparaît alors un puissant contraste, une implacable stagnation qui dure depuis plus de deux cents ans. Sous les auspices des théories justifiant les objectifs punitifs que nous venons d’énoncer, on a appris à survaloriser depuis le milieu du xviiie siècle, pour l’essentiel, des moyens prédéfinis par une conception « hostile, abstraite, négative et atomiste » du droit de punir[2]. Alvaro P. Pires explique le sens de sa caractérisation :

Hostile, parce qu’on représente le déviant comme un ennemi du groupe tout entier et parce qu’on veut établir une sorte d’équivalence nécessaire, voire ontologique, entre la valeur du bien offensé et l’affliction à produire chez le déviant. Abstraite, parce que le mal (concret) causé par la peine est reconnu mais conçu comme devant causer un bien moral immatériel (« rétablir la justice par la souffrance », « renforcer la moralité des gens honnêtes », etc.) ou encore un bien pratique invisible et futur (la dissuasion). Négative puisque [l]es théories [modernes de la peine] excluent toute autre sanction visant à réaffirmer le droit par une action positive (le dédommagement, etc.) et stipulent que seul le mal concret et immédiat causé au déviant [ou son exclusion sociale[3]] peut produire un bien-être pour le groupe ou réaffirmer la valeur de la norme. Et, enfin, atomiste, parce que la peine – dans la meilleure des hypothèses – n’a pas à se préoccuper des liens sociaux concrets entre les personnes sauf d’une façon tout à fait secondaire et accessoire[4].

Bien sûr, en surface, en ce qui concerne ces moyens, la gamme de sanctions admissibles en droit criminel peut, à première vue, donner l’impression d’une certaine diversité, mais si l’on pousse l’analyse un peu plus loin, on voit très clairement que, au fondement même de la prison, de l’amende, du sursis[5] et même de la probation[6] et du dédommagement[7], c’est partout et toujours de la (sur)valorisation de l’affliction ou de l’exclusion sociale, ou des deux à la fois, qu’il s’agit. À cet égard, aucune illusion possible : il n’y a ni progrès, ni apprentissage, ni avancement. Le système reste radicalement répressif et non « responsif ». Pour Philippe Nonet et Philip Selnick, une institution est du type « responsif » lorsqu’elle « requires the guidance of purposes, [which] set standards for criticizing established practices, thereby opening ways to change[8] ». Une institution « responsive » est, en d’autres termes, capable de « self correction[9] ». C’est sur ce constat de perpétuelle « répressivité » et de « non-responsivité » que s’appuie la thèse de la « non-évolution[10] » du droit criminel moderne de Pires[11], thèse au sein de laquelle s’inscrit toute la réflexion que nous développons dans le présent texte.

La thèse de Pires nous invite à prendre au sérieux l’influence déterminante du système de pensée dominant que forment autour des valeurs négatives d’affliction et d’exclusion sociale les différentes théories modernes de la peine. Ce système de pensée, que Pires[12] a nommé « rationalité pénale moderne », défend une conception particulière de la justice pénale, une conception qui valorise et considère comme supérieurs ou nécessaires les modes d’intervention plus afflictifs ou favorables à l’exclusion sociale du condamné. C’est lorsque la possibilité d’une autre forme de justice apparaît possible et même souhaitable — par exemple dans un contexte de réforme — que se dressent avec plus de force et de détermination les obstacles cognitifs de la rationalité pénale moderne. Dans l’analyse qui suit, nous nous pencherons sur trois obstacles en particulier, soit ceux qui sont attribuables à la dénonciation, à la rétribution et à la dissuasion. Nous laisserons de côté d’autres obstacles, comme ceux qui peuvent relever de la réhabilitation, obstacles qui, au Canada, sont présentement beaucoup moins représentés, et ce, autant dans les débats parlementaires qui entourent la création de la loi pénale que dans la jurisprudence qui se rapporte à son application[13].

Nous entendons cependant aller au-delà de la problématisation des obstacles attribuables aux théories qui entourent la dénonciation, la rétribution et la dissuasion. Nous comptons en effet participer aussi à un processus de réflexion susceptible de favoriser des formes d’innovations cognitives en matière de justice pénale, l’émergence d’idées à même de contourner, voire de détrôner les idées fixes de la rationalité pénale moderne et d’encourager ainsi l’évolution du droit criminel moderne. Épistémologiquement, en ce qui concerne la construction de la problématique, le caractère normatif de notre perspective s’avère explicite. Pour ce qui est de l’analyse, la perspective se neutralise davantage pour se contenter d’explorer non pas un « devrait être », mais un « pourrait être », soit un domaine de possibilités encore non exploitées[14]. Nous nous proposons, ce faisant, de poursuivre le travail de déconstruction-reconstruction des idées que défendent les trois théories modernes ciblées. Non seulement ce travail nous paraît nécessaire au développement d’un droit pénal plus responsif au Canada, mais il nous semble en outre pouvoir profiter d’un contexte politique et juridique présentement fertile, contexte marqué par un changement de gouvernance fédérale depuis les élections du 19 octobre 2015 et par une remise en question politique et judiciaire de certaines pratiques punitives, plus particulièrement en matière de peines minimales obligatoires[15]. À travers les développements qui suivent, nous considérerons donc, dans l’ordre, la dénonciation, la rétribution et la dissuasion. Avant d’entrer dans le coeur du propos, nous croyons important de noter que les considérations relatives à la dissuasion exigeront dans ce qui suit des développements beaucoup plus longs que ne le feront la dénonciation et la rétribution. Ce « déséquilibre méthodologique » tient au caractère plus « falsifiable » de la théorie de la dissuasion. Pour remettre en question la dissuasion, on doit en effet pouvoir compter sur des données nous permettant de tester empiriquement les prémisses fondamentales de la théorie, notamment celle qui postule un être humain rationnel qui calcule les coûts et les bénéfices de ses actes avant de les adopter ou encore celle qui présuppose qu’une peine plus sévère sera plus dissuasive qu’une peine l’étant moins. Les théories de la rétribution et de la dénonciation formulent leurs objectifs dans des considérations beaucoup plus abstraites, non falsifiables, qui excluent la possibilité de validation empirique. Dire, par exemple, que le mal de la peine ordonnée en conséquence du crime vient satisfaire des exigences de justice et de moralité suprême ne relève évidemment pas de considérations qui permettent l’observation empirique : il est impossible de conduire des entretiens qualitatifs avec la justice et la moralité suprême pour tenter de déterminer si l’objectif a été atteint. On ne peut pas non plus interviewer la conscience collective et tenter d’évaluer si la réponse afflictive de la peine est ou non à la hauteur de ce qu’exige la dénonciation. Cependant, en matière de dissuasion, on peut tout à fait produire des données sur le passage à l’acte, observer le rôle que la peine a été en mesure d’y jouer et, sur la base de ces observations empiriques, tirer certaines conclusions par rapport aux fondements de la théorie ou aux objectifs qu’elle poursuit. Si la rétribution et la dénonciation peuvent ainsi être remises en question sur le plan purement philosophique, de manière relativement succincte, le caractère plus « falsifiable » de la dissuasion exige une démonstration empirique et, par conséquent, des développements beaucoup plus étoffés.

1 La dénonciation : vers des mesures moins sévères, voire non préjudiciables

Lorsqu’on parle de « dénonciation » en matière de droit criminel, on se réfère à des objectifs qui ne sont pas empiriques mais bien symboliques. Les peines afflictives constituent un des symboles ou un des signes à travers lesquels se communique socialement l’atteinte que représente le crime contre les valeurs fondamentales de la société. Dans De la division du travail social[16], Durkheim fondait sur ce signe de la peine afflictive une véritable obligation de punir. Pour le sociologue français, la manière dont le crime froisse les états forts de la conscience collective oblige à « exprimer l’aversion unanime, que le crime continue à inspirer, par un acte authentique qui ne peut consister que dans une douleur infligée à l’agent[17] ». « Voilà pourquoi on a raison de dire que le criminel doit souffrir », précise Durkheim[18].

L’influence de cette perspective a été et continue d’être déterminante sur les opérations du droit criminel moderne. Au Canada, l’objectif de la dénonciation est d’ailleurs aujourd’hui explicitement codifié dans les principes de détermination de la peine de l’article 718 du Code criminel[19]. Il est par ailleurs régulièrement mentionné dans les fondements politiques qui accompagnent la création des lois pénales. Il s’avère en outre tout aussi prépondérant dans les facteurs qui motivent la détermination de la peine par le pouvoir judiciaire.

Remettre en question la théorie de la dénonciation passe généralement par la reconnaissance d’équivalents fonctionnels à la peine, par la reconnaissance du fait que la peine sévère n’est pas l’unique manière de dénoncer un crime, qu’il existe en réalité, devant le crime, bien d’autres façons de réaffirmer les valeurs fondamentales de la société, et maints signes autre que celui de la peine afflictive[20]. Cette remise en question n’est pas celle de la dénonciation comme objectif, mais bien de la dénonciation comme théorie de la peine, car c’est la théorie de la dénonciation, et non l’objectif, qui fait de la peine afflictive le signe essentiel et nécessaire de la dénonciation. Cette distinction apparaît d’ailleurs clairement dans L’éducation morale[21] de Durkheim qui soutenait alors une perspective beaucoup plus souple que celle qu’il a défendue dans De la division du travail social. Dans l’ouvrage paru au début du xxe siècle, la souffrance sur laquelle il avait tant insisté à la fin du xixe devient beaucoup moins importante. Ce qui, finalement, compte surtout, se ravisait Durkheim, c’est en fait « le sentiment exprimé, et non le signe par lequel il s’exprime[22] ». Dans le contexte de cette distinction entre sentiment exprimé et signe à privilégier, Durkheim en arrive finalement à dire que « [l]a souffrance […] est […] en réalité un élément secondaire, qui peut même faire totalement défaut[23] ».

La distinction durkheimienne est ici absolument fondamentale, car elle permet de reconnaître le fait qu’il existe des équivalents fonctionnels à la peine, des alternatives moins préjudiciables et plus respectueuses des droits et libertés. Cela n’a pas encore été pris au sérieux dans les discours que nous avons pu étudier. La tendance observée reflète plutôt une survalorisation du statu quo et un manque de ressources (ou alors de distinction) considérable. En témoigne le propos du juge Lamer, au moment où il était juge en chef de la Cour suprême du Canada :

La dénonciation est l’expression de la condamnation par la société du comportement du délinquant. Dans M. (C.A.), précité, au par. 81, j’ai écrit ce qui suit :

[…] une peine assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. Comme l’a dit le lord juge Lawton dans R. c. Sargeant (1974), 60 Cr. App. R. 74, à la p. 77 : [TRADUCTION] « la société doit, par l’entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l’égard de certains crimes, et les peines qu’ils infligent sont le seul moyen qu’ont les tribunaux de transmettre ce message »[24].

La distinction de Durkheim permettrait ici d’élargir le champ de possibilités que la rationalité pénale moderne s’acharne à réduire : si, d’un point de vue juridique, la peine se conçoit comme le seul moyen qu’ont les tribunaux de transmettre le message réprobateur, d’un point de vue sociologique, la distinction de Durkheim rend alors toute peine, quelle qu’elle soit, accessoire, futile ou superflue. En exploitant le plein potentiel critique et innovateur de la distinction, nous en arrivons à remettre en question toutes les injonctions répressives de la rationalité pénale moderne, à desserrer les liens qu’elle a pu tisser avec l’obligation de punir et à refonder la dénonciation sur une théorie de la communication, sur une théorie de l’expression d’un sentiment plutôt que sur une théorie du signe afflictif. Si le sentiment exprimé peut en effet être plus important que le signe à travers lequel il s’exprime, fondé sur une théorie de la communication, l’objectif de la dénonciation pourrait être considéré comme pleinement atteint dès le moment de la déclaration de culpabilité, soit avant toute détermination de la peine et indépendamment de celle-ci. C’est parce que nous sommes attachés à une valeur que nous déclarons quelqu’un coupable d’une transgression. Cette déclaration est déjà en soi le message réprobateur et la réitération de notre attachement aux valeurs fondamentales de la société. Dans l’affaire R. c. Michael, le juge Paciocco avait beaucoup insisté sur la dénonciation : « The sentence imposed on Mr. Michael must reflect denunciation for his crimes[25]. » Bien que la rationalité pénale moderne traverse et oriente l’ensemble du raisonnement, une partie du jugement ouvre une brèche potentiellement innovatrice. En effet, lorsque, pour certains des crimes reprochés à M. Michael, la Couronne demande au juge d’ajouter 27 jours de détention à la probation ordonnée, le juge Paciocco décline, considérant que « [n]ecessary messages had already been sent by the pretrial incarceration[26] ». Ce que le propos suggère ici, c’est que certains messages, dont celui de la dénonciation, peuvent être communiqués avant même la déclaration de culpabilité, en l’occurrence, dans une phase du processus judiciaire où l’individu est encore présumé innocent. Bien sûr, dans l’affaire Michael, le juge Paciocco continue de rattacher la dénonciation à une forme de détention qui, sans être punitive, est officiellement reconnue comme afflictive. Nous ne sommes pas encore sortis de la rationalité pénale moderne : nous ne parlerons donc ici que d’une simple brèche et d’un potentiel innovateur qui n’a pas été exploité par Paciocco, mais un potentiel qui pourrait, ailleurs, dans d’autres affaires, servir de base à une réflexion juridique plus critique.

Dissocier la dénonciation des exigences de la punition est possible, mais devant cette éventualité, la rationalité pénale moderne fait obstacle et insistera encore et toujours sur l’obligation de punir. Elle n’a pas su, ni ne peut, tirer profit de la distinction que nous proposait Durkheim dans L’éducation morale[27]. Seule l’émergence d’un autre système de pensée et d’une autre théorie communicationnelle positive de la dénonciation — quelque chose comme une « théorie de la dénonciation de la deuxième modernité » — serait en mesure de reconnaître le fait qu’en matière de dénonciation le signe de la peine en est un parmi tant d’autres, souvent non nécessaire et toujours contingent.

Bien sûr, il restera un problème à résoudre : celui de la proportionnalité. En matière de dénonciation, la proportionnalité entre la gravité du crime et la force de la réaction sociale est sans doute plus facile à « calibrer » par la sévérité de la peine que par la déclaration de culpabilité, mais de là à en faire la condition même de la dénonciation, il y a un pas à franchir que ne nous permettraient pas de nombreuses expériences historiques. En effet, l’histoire, notamment celle de l’Afrique du Sud, montre que la dénonciation des pires atteintes à la liberté et à la dignité humaine n’exclut pas l’amnistie[28] si ces atteintes sont avouées et leurs torts connus et reconnus[29]. Autrement dit, en matière de dénonciation, bon nombre de situations de ce genre illustrent que la peine n’est nécessaire que dans le contexte d’un système de pensée qui la croit nécessaire. Une perspective tout aussi fonctionnaliste que celle de Durkheim devrait alors être en mesure de se demander si ce système de pensée est lui-même nécessaire. Telle est la remise en question plus fondamentale qui fait encore défaut dans les processus de réflexivité du droit criminel. C’est aussi ce qui nuit à l’évolution de ce système social. Cela vaut pour la dénonciation comme pour la rétribution que nous explorons dans ce qui suit.

2 La rétribution : un vestige de la vindicte populaire ?

En droit criminel, la théorie de la rétribution introduit une obligation morale de punir. On en retrace les principaux fondements chez Kant : selon le philosophe allemand, c’est la justice ou la moralité suprême qui considère que « le mal immérité que tu fais à un autre d’entre le peuple, tu te le fais à toi-même[30] ». Cette justice ou cette moralité suprême, de là-haut, exige ici-bas une punition sous forme de mal compensatoire. Ne pas punir le mal du crime ou ne pas le punir suffisamment et ne pas ainsi se soumettre aux exigences de la justice ou de la moralité, c’est introduire encore une autre entorse dans l’ordre de cette transcendance. Pour Kant, comme pour les disciples contemporains de ce rétributivisme, « la loi pénale est un impératif catégorique[31] ». Punir au nom de la rétribution consiste à le faire non pas pour dénoncer, ni pour dissuader, mais bien pour réparer un mal par un autre mal, pour compenser celui du crime par celui de la peine. Voilà tout ce que la justice et la moralité exigent. Comment aujourd’hui contourner cette exigence ?

En matière de crime et de châtiment, Kant n’a pas été le dernier à imaginer les exigences de la justice et de la moralité suprême. D’autres philosophes ont mené cette réflexion pour aboutir à des conclusions ou à des exigences complètement différentes. Pensons par exemple à Paul Ricoeur[32], mais pour rivaliser davantage avec Kant et le faire encore plus près de la transcendance, nous pourrions aussi nommer Emmanuel Lévinas.

La philosophie de Lévinas, comme celle de Kant, s’élève vers la justice ou la moralité suprême, mais, au moment de redescendre vers l’accusé, elle ramène comme obligation non la punition, mais plutôt une responsabilité miséricordieuse dont découle une obligation de non-punition — à ne pas confondre avec une obligation de non-intervention[33]. Lévinas parle d’une « transcendance du “pour-l’autre[34] ». L’obligation qui en découle n’a pas pour source l’autorité du tribunal ni l’émotivité de la victime et encore moins la confiance du public dans l’administration de la justice : elle vient plutôt de ce lien d’humanité qui, d’un point de vue philosophique ou éthique, continue malgré tout de nous unir les uns aux autres. Le crime peut certes froisser la conscience collective, mais, selon cette conception, il ne peut jamais effacer le lien dont découle notre responsabilité envers l’autre.

Pour comprendre, il faut préciser que, chez Lévinas, entre moi et l’autre se glisse un Tiers, un Autre dont le visage me rappelle l’unicité de l’humanité de laquelle découlent les limites de mon intervention. Le Tiers chez Lévinas, soit cet Autre qui transcende la relation du je-tu, n’est rien de plus, mais en même temps rien de moins, que « l’humanité tout entière dans les yeux qui me regardent[35] ». Une fois encore, cette humanité n’interdit pas l’intervention, mais elle s’oppose à la distribution d’un mal pour un mal. Si un meurtrier est reconnu coupable d’un meurtre et si, chez Kant, la justice devait alors privilégier la peine de mort, chez Lévinas, ma responsabilité miséricordieuse découlant de mon rapport au Tiers me confronte plutôt à la limite que représente « l’autre que je pourrais tuer, mais dont le visage signifie l’interdit du meurtre[36] ».

Ici, l’« impératif catégorique », pour reprendre les termes de Kant[37], n’est pas tant la loi pénale qu’une éthique de l’autre pour l’autre et que l’on situe en-deçà ou au-delà de cette loi. Que le visage de l’accusé soit celui d’un meurtrier ou d’un S.S.[38], pour Lévinas, du point de vue de cette éthique, « peu m’importe ce qu’autrui est à mon égard, c’est son affaire à lui ; pour moi, il est avant tout celui dont je suis responsable[39] ». Inhérente au lien qui unit toute l’humanité, cette responsabilité me renverrait en quelque sorte à « cette fameuse dette que je n’ai jamais contractée[40] ».

Cette brève — et sans doute trop superficielle — incursion dans la philosophie lévinassienne nous paraît néanmoins suffisante pour rendre ici plus visible ce que cachent les distinctions rétributivistes kantiennes, notamment la possibilité de rompre avec les représentations souvent hostiles et guerrières qu’entretiennent la plupart des premières philosophies politiques modernes de même que la possibilité de reconfigurer plus positivement et de manière plus sensible les conditions réellement favorables à la préservation du lien social. Une telle reconfiguration présuppose évidemment un droit cognitivement plus ouvert et plus « responsif », capable de prendre au sérieux les changements, voire les réformes que pourraient inspirer des « inputs » comme ceux que nous fournissent les philosophies politiques du pour-l’autre.

Dans une éthique du contre-l’autre, les valeurs associées aux droits de la personne sont protégées pour les uns contre les autres et justifient paradoxalement ainsi leur propre transgression dans les modes d’intervention : nous portons atteinte à la vie, à la liberté, à la propriété et à la dignité humaine au nom de la protection qu’exigent les mêmes valeurs. Dans une éthique du pour-l’autre, le paradoxe fait place à la cohérence, car ces valeurs ne nous quittent jamais, elles continuent sans cesse et malgré tout d’être protégées et de se refléter intégralement dans les modes d’intervention que suscite leur transgression. Évidemment, devant le crime et la charge émotive qu’il peut susciter, la force de notre engagement envers ces valeurs est toujours mise à l’épreuve. Le défi se révèle effectivement de taille, surtout devant les crimes plus particulièrement odieux. Cependant, une fois encore, bien des cas concrets peuvent servir de sources d’inspiration, notamment celui de Robert Rule qui a perdu sa fille Linda aux mains d’un tueur en série, Gary Ridgway, qui a fait 47 autres victimes. Au moment de se présenter à la barre des témoins et de s’adresser au meurtrier, l’impératif catégorique qui pousse Robert Rule à prononcer les mots suivants n’est pas celui auquel la rationalité pénale moderne nous a habitués : « “Mr. Ridgway, there [are] people here who hate you, I’m not one of them […] You’ve made it difficult to live up to what I believe, and what God says to do, and that’s to forgive […] You are forgiven, sir”[41]. »

Au Canada, à la fin des années 60, une importante commission de réforme du droit avait problématisé la théorie kantienne de la rétribution non seulement comme un obstacle cognitif considérable à l’évolution du droit criminel moderne, mais comme une philosophie « absolument inacceptable pour toute collectivité dont les mobiles sont rationnels[42] ». Cette commission n’était pas constituée d’abolitionnistes ni même de philosophes du pour-l’autre. Elle était pour l’essentiel formée d’éminents juristes dont le juge Roger Ouimet, à la présidence, et Goldwyn Arthur Martin, avocat de la défense fort réputé et qui sera ultérieurement nommé juge à la Cour d’appel de l’Ontario. Il faut sans doute aussi rappeler qu’en 1996, lorsque le Canada procède à la codification des objectifs de la détermination de la peine, la rétribution ne fait pas partie de la liste des objectifs explicitement cités dans l’article 718 du Code criminel. La dénonciation y apparaît, la dissuasion aussi, mais pour la rétribution, tout porte à croire que le législateur ait ressenti un certain malaise à l’idée de citer explicitement cet objectif comme faisant partie de ceux qui peuvent aujourd’hui encore fonder des « sanctions justes » en matière de droit criminel[43].

Par contre, dans la jurisprudence, la rétribution est encore explicitement mentionnée comme une considération importante de la détermination de la peine. Elle fait aussi partie des raisons déterminantes dans l’évaluation judiciaire de la constitutionnalité des lois et peut même servir de relais aux doutes que suscitent les autres théories. On a récemment pu l’observer dans l’affaire R. c. Nur : si la preuve empirique des faits mine la crédibilité de la dissuasion, celle de la rétribution s’établit dans la transcendance, à l’épreuve des faits[44] et peut donc continuer d’être postulée : « Although the government has not established that mandatory minimum terms of imprisonment act as a deterrent, a rational connection exists between mandatory minimums and the goals of denunciation and retribution[45]. »

Pourquoi ici s’accrocher à la rétribution quand le Code criminel lui-même ne le fait pas ? Pourquoi continuer de reproduire en 2015 l’obstacle que les commissions de réforme problématisent depuis plus d’un demi-siècle ? Pourquoi insister sur la transcendance du contre-l’autre quand une transcendance du pour-l’autre est disponible comme alternative ? Pourquoi faire de la jurisprudence le dernier bastion canadien des hostilités rétributivistes[46] ? Au Canada comme ailleurs, en matière de droit criminel, lorsqu’on considère la longue feuille de route du rétributivisme, il n’est pas déraisonnable de s’attendre que la revivification judiciaire de cette rhétorique punitive profite à la distribution du mal plus qu’à l’institutionnalisation d’une éthique de l’autre. En effet, la plupart du temps, comme le rappelait la commission Ouimet, le rétributivisme a historiquement pris la forme d’une « vindicte populaire », d’« un luxe » que la même commission considérait comme à la fois « stérile et très coûteux[47] ». Tournons-nous vers le dernier obstacle, celui de la dissuasion.

3 La dissuasion : le lien entre l’objectif et les moyens est-il vraiment rationnel ?

Depuis Beccaria, la théorie de la dissuasion a toujours su récupérer le doute qu’elle pouvait susciter en suggérant chaque fois que la peine qui ne dissuade pas n’est tout simplement pas encore assez sévère ou pas encore assez certaine pour représenter, dans l’esprit des gens, le coût susceptible de surpasser les bénéfices associés au passage à l’acte. De manière implicite et paradoxale, ce qui est chaque fois ainsi sauvé in extremis, ce sont en fait les fondements mêmes de la dissuasion, plus précisément l’idée selon laquelle l’être humain est rationnel et mû par un calcul fait de coûts et de bénéfices. Au coeur de la théorie, la rationalité coûts-bénéfices est ainsi traitée comme un véritable postulat, une évidence ou une vérité admise qui peut se passer de démonstration : « Tout individu[48] [insistait Bentham] se gouverne, même à son insu, d’après un calcul […] fait de peines et de plaisirs[49]. » Plus de deux cents ans plus tard, on peut se poser la question de savoir si ce postulat de l’individu rationnel est lui-même rationnel.

Cette question fait partie de celles que nous explorons dans nos propres recherches empiriques sur la dissuasion[50]. Ainsi, lorsque nous quittons les postulats philosophiques et les corrélations statistiques pour nous tourner vers l’expérience des personnes judiciarisées, les résultats auxquels nous arrivons systématiquement tendent à appuyer l’hypothèse selon laquelle la rationalité qui, très souvent, gouverne le passage à l’acte n’est pas celle qu’avaient postulée Beccaria et Bentham. Habituellement, en matière de dissuasion générale ou même spécifique, l’individu ne pense pas en termes de coûts et de bénéfices, mais plutôt en termes de risques. On observe alors l’influence déterminante de cette « rationalité du risque[51] » autant dans la phase décisionnelle qui mène au passage à l’acte que dans celle qui est plus réflexive et qui s’enclenche par la suite, soit au moment où l’individu subit les conséquences pénales qu’il avait cru pouvoir éviter ou après les avoir subies. Quelques illustrations empiriques permettront ici de comprendre, dans chacune de ces phases, les limites que représente la rationalité du risque pour la dissuasion.

Dans la phase antérieure au passage à l’acte, l’individu évalue les risques qu’implique la situation criminogène : en l’occurrence, pour notre empirie[52], les risques impliquent le trafic de stupéfiants, le meurtre, le vol et l’introduction par effraction. Son évaluation se solde soit par l’acceptation des risques, soit par leur refus. Dans un cas comme dans l’autre, les risques sont conçus en termes de probabilités, comme quelque chose qu’il pourrait à tout le moins tenter de contrôler. En nous inspirant librement de la distinction de Luhmann[53], nous considérerons que l’élément qui distingue la notion de risque de la notion de danger est le type de rapport entretenu avec l’issue de la situation. On perçoit une situation comme dangereuse lorsqu’on a l’impression de ne pas pouvoir en contrôler l’issue, autrement, elle paraît risquée, mais pas incontrôlable. Entrer dans la cage aux lions peut sembler dangereux aux yeux de bien des gens, mais sera à peine risqué pour le dompteur qui peut évidemment compter sur son expérience et sa technique pour diminuer, sans jamais l’éliminer complètement, le risque d’accident. Percevoir une situation comme risquée stimule l’élaboration de stratégies de contrôle — dont fait d’ailleurs partie le désistement[54]. A contrario, sentir qu’une situation est dangereuse bloque l’action et mène généralement à l’abstention[55]. Aucune situation n’est en soi risquée ni dangereuse, car tout se joue dans le domaine des perceptions et des représentations, d’où l’intérêt de l’entretien qualitatif : cette méthode que nous avons privilégiée nous a permis de nous rapprocher de certaines réalités phénoménologiques ayant souvent échappé aux approches quantitatives et statistiques qui ont jusqu’ici dominé le domaine de la recherche sur la dissuasion.

Profane ou dompteur, celui qui entre dans la cage aux lions le fait normalement avec l’espoir de pouvoir en sortir. La décision ne repose pas sur un calcul fait de coûts et de bénéfices, mais bel et bien sur une rationalité du risque. Pour établir plus clairement la distinction entre ces deux rationalités, prenons le contre-exemple d’une personne qui souhaite acheter une nouvelle voiture et qui hésite entre le modèle électrique et le modèle à essence. La rationalité coûts-bénéfices peut alors intervenir et orienter la prise de décision : elle présuppose une personne rationnelle qui pèse le pour et le contre[56] avant de finalement opter pour un modèle spécifique. Quel que soit son choix, la personne est absolument convaincue qu’elle fera l’expérience autant des coûts que des bénéfices. Avec le modèle à essence, elle s’attend à épargner à l’achat, mais à devoir payer en contrepartie les coûts aussi : cher à la pompe, polluant, dispendieux à entretenir, etc. Avec le modèle plus écologique, elle évitera ces coûts, mais d’autres apparaîtront : coût d’achat plus élevé, vitesse maximale réduite, temps de recharge important, etc. Sur le plan phénoménologique, d’un côté comme de l’autre, aucun de ces coûts n’est pensé sous forme de risque à contrôler : chacun est plutôt vu comme une conséquence inhérente au choix opéré, comme une chose non pas probable ni possible, mais bel et bien certaine, comme un coût[57]. Sur le plan conceptuel, un « coût » correspond ainsi à une conséquence que l’individu se représente comme hautement probable, voire certaine et un « risque », comme une conséquence objectivement possible, mais subjectivement perçue comme hautement improbable ou comme pouvant être évitée[58].

Notre contre-exemple, celui du choix entre la voiture à essence ou électrique, reconnaît la validité de la rationalité coûts-bénéfices dans certaines circonstances. Cette rationalité existe empiriquement certes, mais reste à savoir si elle permet de comprendre et d’expliquer le processus décisionnel menant à la perpétration d’un acte criminel. Les individus que nous avons interviewés semblent avoir évolué dans une rationalité qui oppose aux bénéfices non pas des coûts mais des risques. La nuance est fondamentale, car, comme nous le verrons dans ce qui suit, elle vient complètement modifier la manière dont on a pu se représenter non seulement les conditions du passage à l’acte, mais aussi et surtout les paramètres de l’intervention pénale.

Reprenons encore le point central de la distinction : l’individu qui évolue dans une rationalité coûts-bénéfices accepte les coûts autant que les bénéfices et s’attend à faire l’expérience des uns comme des autres ; celui qui, au contraire, évolue dans la rationalité du risque pense pouvoir éviter les « coûts » en mettant en oeuvre des stratégies de contrôle des risques. Voilà sans doute la raison pour laquelle Beccaria avait tant insisté sur la certitude de la peine, négligeant toutefois de problématiser le fait que la manière dont l’institution pénale évalue la certitude d’une peine n’est pas nécessairement conforme à l’évaluation qu’en fait l’individu. Deux citations tirées de notre matériel empirique permettront d’illustrer l’écart :

Bien, je pensais aux conséquences, oui, mais je ne pensais jamais me faire pogner.

Charles[59], trafic de stupéfiants

Je n’étais pas certain au début du monde avec qui je faisais affaire, s’ils étaient corrects… C’était plus [de] ça dont j’avais peur… Je n’avais pas peur de me faire pogner.

Simon, trafic de stupéfiants

Dans ce genre de situation, la théorie de la dissuasion invite souvent à tenter de compenser l’incertitude de la sanction par la sévérité de la peine, mais le fonctionnement de ce mécanisme devient difficile à comprendre lorsque l’individu, quant à lui, est certain de ne pas se faire prendre. Albert et Luc, respectivement condamnés pour meurtre et vol à main armée, étaient bien au fait de la sévérité de la peine qu’ils risquaient d’écoper en raison de leurs crimes. Dans le cas d’Albert, juriste de formation, il ne pouvait ignorer le fait que la sentence pour meurtre au premier degré serait nécessairement une peine de 25 ans sans possibilité de libération conditionnelle avant le terme de cette sentence. Toutefois, chez lui comme chez Luc, l’effet dissuasif souhaité a été automatiquement neutralisé par leurs stratégies de contrôle des risques :

Pas une seconde j’ai pensé que j’allais me faire prendre. Pas une seconde j’ai pensé que de faire ça [tuer mon associé], ça pouvait m’amener en prison. De un, c’était un peu fantasmatique au début et, de deux, ça pouvait pas échouer, le plan. Une fois embarqué là-dedans, la seule issue c’était la réussite du plan […] Alors, comment tu penses que je pouvais évaluer froidement de dire : « Bien si ça ne marche pas, je vais me retrouver en prison ? »

Albert, meurtre

J’en étais conscient [de la sévérité de la peine], j’en étais conscient, mais il y avait la dimension : « Je m’en fous, je ne me ferai pas prendre » […] Il n’y a pas un individu dans son sain état d’esprit qui va faire un geste en sachant qu’il va se faire prendre. S’il le fait en sachant qu’il va se faire prendre, c’est qu’il veut se faire prendre.

Luc, vol à main armée

Les stratégies de contrôle peuvent varier d’une situation à l’autre, mais elles partagent toutes un objectif commun, soit éviter un préjudice, réduire les probabilités que s’actualisent les conséquences négatives pouvant logiquement découler du passage à l’acte : être découvert, être humilié publiquement, décevoir ses proches, décevoir Dieu, être blessé ou tué, être arrêté, condamné, puni ou incarcéré, perdre son emploi, son logement, son conjoint ou sa conjointe, la garde de ses enfants, etc. Une panoplie de préjudices peut être envisagée par l’individu. Ceux qui découlent du pénal et qui auraient dû susciter l’effet dissuasif souhaité sont rarement considérés ou le sont moins que d’autres plus immédiatement préoccupants pour l’individu :

Par rapport à la police, la prison ou ces affaires-là ? Dans ce temps-là, je ne pensais même pas à ça de toute façon. J’avais bien plus peur de me faire pogner par le gars [propriétaire du véhicule ciblé].

Jacques, vols de voitures

À chaque intro que je faisais, ma plus grosse peur, c’était de rentrer et qu’y ait quelqu’un dans la maison […] Les policiers eux, je ne les vole pas ! Je sais qu’ils font leur boulot, c’est leur job. Les personnes, ce n’est pas leur job de m’arrêter, donc ils ne sont peut-être pas compétents, donc tu peux avoir peur de leur réaction […] Je ne suis pas gros, je suis tout petit. J’avais peur de me faire battre ou quelque chose comme ça.

Martin, introductions par effraction, vols qualifiés

Les stratégies de contrôle des risques peuvent être plus ou moins complexes selon le cas. Celles de Carl et de David, respectivement condamnés pour vols à main armée et meurtre, ont été minutieusement élaborées en plusieurs étapes :

J’arrangeais un vol à main armée un peu comme un voyage de pêche, exactement comme un voyage de pêche […] Ça fait que j’avais tout structuré ça : on s’était arrangé un genre de camp, on avait volé un camion de Bell téléphone, on a fait notre « hold-up » avec ça et on avait des bicycles de « trails » cachés dans le bois un petit peu plus loin. On savait où on allait laisser le véhicule identifié pour le vol à main armé et avant, avec un autre véhicule, on avait fait des traces dans la gravelle pour montrer que cette voiture-là part de là pis vite. Ça dérape dans la gravelle, ça fait deux traces sur l’asphalte qui se dirigent vers X [nom de l’endroit], mais en réalité on se dirigeait pas vers X, ces traces-là avaient été faites avant. Quand on a fait le « hold-up », on s’est sauvé dans la direction X, on a viré dans un petit embranchement, on a laissé le camion là, on s’est changé de linge, on a embarqué sur des vélos qui étaient cachés pas tellement loin. On s’est dirigé vers où on avait des motos de « trails » cachées, on s’est dirigé dans notre cache qui se trouvait sur un rocher assez haut et on a resté là pour deux jours de pêche. Il y avait un petit lac. « Tout le monde va penser que tout est normal ici. »

Carl, vols à main armée

J’ai identifié où est-ce que [ma cible] était, j’ai identifié le moment où il n’y avait personne chez eux, j’ai cogné [à la] porte, j’ai ouvert la porte, j’ai rentré chez lui, je l’ai tué. Je l’ai tué, je me suis assis, j’ai évalué la situation, j’ai fumé une cigarette, j’ai éteint ma cigarette, j’ai ramassé mon butch, j’ai repensé à toutes les places où j’aurais pu toucher quelque chose, j’ai essuyé toute les empreintes possibles potentielles […], j’ai regardé la façon qu’il était placé, j’ai pris une taie d’oreiller, fait un tourniquet, j’y ai mis autour du cou, j’ai serré… […] pour donner une illusion de vol suivi d’une vengeance ou quelque chose comme ça. Je voulais que le scénario, la scène de crime paraisse quelque chose de différent de ce que ça l’avait été vraiment. J’ai voulu compliquer les choses […] pour mettre plus de difficultés au fait de remonter jusqu’à la source.

David, meurtre

Comme l’indiquent ces extraits, dans la rationalité du risque et contrairement à ce que l’on observe avec la rationalité coûts-bénéfices, l’expérience des préjudices n’est pas pensée comme faisant intégralement partie de la situation dans laquelle on s’engage. On croit au contraire pouvoir expérimenter cette situation sans faire l’expérience des préjudices qui, selon toute probabilité, pourraient en découler. Si du côté de la rationalité coûts-bénéfices l’expérience des préjudices est pensée comme découlant directement de la situation, dans la rationalité du risque, elle est plutôt envisagée comme dépendante de l’individu lui-même, plus précisément de la qualité des multiples décisions qu’il est appelé à prendre à chaque moment constitutif du passage à l’acte. Dans la perception subjective de l’individu, une telle conception, loin de venir bloquer le champ d’action, contribue en fait à son élargissement[60]. Cette microgestion du risque augmente progressivement le seuil de tolérance de l’individu, le rassure et va parfois jusqu’à lui donner l’impression qu’il ne court plus aucun risque. À cet égard, les cas de Carl et de David sont représentatifs de ce que nous avons pu observer à travers tout le corpus empirique :

On était trois, comme pour se réconforter, se mettre fort. On ne prenait pas de chance pour ne pas qu’y arrive quelque chose de néfaste. On va se mettre trois, on va tout contrôler pis y arrivera rien […] Tu ne peux pas te faire prendre, c’est impossible, c’est impossible théoriquement.

Carl, vols à main armée

Je ne l’ai pas fait en état de panique [et] je ne suis pas parti non plus en état de panique. Je l’ai fait en état de contrôle. Je suis resté là en état de contrôle pendant une demi-heure pour [m’assurer] de ne rien oublier, de penser à tout. Je regardais la scène, je regardais l’emplacement… J’ai même replacé le tapis parce qu’à un moment donné on s’est brassé […] Pis, quand tout était à mon goût, quand tout était beau, tout faisait mon affaire, je suis parti… avec mon butch dans mes poches.

David, meurtre

Évidemment, dans les passages à l’acte qui se gouvernent par la rationalité du risque, il y a, d’un côté, les perceptions subjectives de l’individu et, de l’autre, la réalité des faits. Si les perceptions individuelles demeurent cependant plus déterminantes dans le déroulement du passage à l’acte, après, c’est évidemment la réalité des faits qui risque de rattraper chacun. Dans la phase réflexive qui suit l’échec du passage à l’acte, c’est elle qui servira de base aux analyses rétrospectives de l’individu condamné. L’échec de la stratégie et l’expérience concrète de la peine peuvent-ils alors susciter une forme d’apprentissage chez l’individu ? Celle-ci peut-elle être favorable à la dissuasion ? La rationalité du risque introduit à cet égard des nuances qui échappent à la rationalité coûts-bénéfices.

Chez l’individu qui évolue dans la rationalité du risque, lorsque survient, malgré l’élaboration des stratégies, le préjudice, ce dernier, anticipé ou non, peut l’amener à réévaluer la situation a posteriori : « Ma décision était-elle la bonne ? » ; « Aurais-je mieux fait de m’abstenir ? » ; « Mon évaluation première des risques était-elle assez précise ? » ; « Mes stratégies de contrôle étaient-elles optimales ? » ; « Comment aurais-je pu mieux contrôler ces risques ? » ; « Comment pourrais-je mieux les contrôler à l’avenir ? » ; etc.

Au terme de cette réévaluation, l’individu peut conclure que sa décision initiale était malgré tout la « bonne » et qu’il faut surtout blâmer, devant l’échec du passage à l’acte, des éléments incontrôlables relevant du hasard ou de la malchance :

[Les policiers] ont été se mettre en relais et ils attendaient pour les « ski doo » [sur lesquels Carl et son complice avaient pris la fuite] et on est arrivé dedans. Mauvais hasard !

Carl, vols à main armée

Ici, on peut encore espérer un effet de dissuasion spécifique si l’individu puni stabilise l’idée qu’il est hautement probable que le mauvais sort s’acharne sur lui. Dans le cas contraire, si l’individu se montre moins superstitieux ou plus optimiste, il pourra considérer la récidive comme une avenue tout à fait raisonnable dans les circonstances. Après l’échec de la dissuasion générale, on constatera alors l’échec de la dissuasion spécifique.

Dans la majorité des cas étudiés, l’évaluation a posteriori évacue cependant le facteur « malchance » à la faveur d’une attribution plus personnelle de responsabilité. Des erreurs de stratégie ont été commises. La décision initiale de passer à l’acte était mauvaise ou déraisonnable parce qu’a posteriori, et avec un peu de recul, l’individu voit que tel ou tel élément a été négligé dans sa planification :

On était en plein centre-ville avec une voiture qui n’était même pas plaquée, tu pouvais te faire arrêter à chaque coin de rue. Là, c’est de courir après le trouble […] C’était dans les derniers vols moins bien structurés…

Carl, vols à main armée

Par rapport aux erreurs de stratégie, aux négligences et à tout ce que l’individu, dans sa réflexivité postcondamnatoire, estime relever de sa propre responsabilité, un effet de dissuasion spécifique est possible, mais encore faut-il que l’individu puisse se convaincre qu’il lui sera en fait toujours impossible de contrôler le risque que représente la sanction pénale. Notre empirie suggère à cet égard qu’il serait réducteur d’associer à l’expérience concrète de la peine le fait de renoncer au crime. L’aspect qui semble jouer un rôle beaucoup plus déterminant dans ce renoncement est l’expérience non pas tant de la peine, mais bien de toutes les conséquences sociales qui ont découlé de la commission de l’acte criminel. Ces conséquences sociales plus que pénales[61] paraissent davantage marquer les formes d’apprentissage souhaitées :

Avec ma femme, on ne savait plus sur quel pied danser… Ça faillit mener au divorce. Et là, il y a les enfants : « Comment on va leur dire ça ? » – « Où est papa ? » – « Bien là, papa n’est pas ici, il travaille ! »

Maurice, introduction par effraction, vol de banque

Ma mère est découragée. Aujourd’hui, je me sens mal par rapport à elle. J’ai de la misère à prendre le téléphone et l’appeler tellement je me sens mal d’en être rendu là. Mon but ; c’est pas de faire de la peine à ma mère, tu comprends, mais dans le fond c’est ça que je fais. Je ne veux pas y faire de la peine. Ma mère, elle dit que j’ai choisi ça pour y faire de la peine, mais elle ne comprend pas. Je ne veux pas y faire de la peine, moi […] Ça fait trois ans que j’ai la même blonde. Elle, c’est la dernière chance qu’elle me donne. C’est une fille correcte, elle est étudiante… J’ai toutes les chances pour réussir […] Là je mets toutes les chances de mon côté. […] Elle est super importante pour moi.

Martin, introductions par effraction, vols qualifiés

Le type de renoncement que nous observons ici ne peut pas être compris comme un effet de dissuasion. On doit plutôt le comprendre comme un effet de socialisation, voire de réhabilitation. En nous inspirant d’une distinction introduite par Bentham, nous pouvons dire que la dissuasion, par la menace d’une peine, ne se contente que de neutraliser l’audace de l’individu qui, autrement, pourrait commettre l’acte criminel ou récidiver, tandis que la réhabilitation agit de manière beaucoup plus profonde en cherchant à éliminer l’envie du crime. Un individu dissuadé peut encore avoir envie du crime, mais y renoncer par crainte d’être puni. Un individu réhabilité ne renonce pas au crime de peur d’être puni : il se tient plutôt loin du crime parce que celui-ci ne cadre plus avec son système de valeurs ou avec celui des êtres qui lui sont chers. S’il peut toujours s’agir d’une peur, de la peur de décevoir une mère, un père, un conjoint ou une conjointe, un enfant, un ami ou un employeur, il est alors question d’une peur sociale et non pénale, d’une peur issue d’un processus de socialisation plus que d’un processus de pénalisation. Notre empirie nous permet ainsi de rejoindre Pires sur ce point très important pour la réforme du droit criminel moderne : « nous devons [en effet] abandonner l’idée que la punition pénale est un impératif catégorique ou une nécessité sociale et que les objectifs qu’elle poursuit ne peuvent être atteints que par l’entremise des peines classiques (peine de mort, emprisonnement et amende pénale)[62] ». Ce point s’avère important, car, en poursuivant obstinément les objectifs de la dissuasion, on risque de préconiser l’incarcération de l’individu et de le couper ainsi de tous les liens sociaux qui pourraient encore stimuler plus positivement sa réhabilitation.

Revenons aux formes d’apprentissage. Que l’individu soit dissuadé ou réhabilité, par la peine ou par le social, la forme d’apprentissage que nous venons d’analyser est évidemment vue d’un bon oeil par le droit criminel. Cependant, d’autres formes d’apprentissage sont possibles et beaucoup moins encourageantes du point de vue de la dissuasion. En effet, plutôt que de se désister, l’individu qui réévalue a posteriori son passage à l’acte et les raisons de son échec peut y voir l’occasion de peaufiner ses stratégies, d’améliorer sa technique ou d’être à l’avenir tout simplement plus prudent. Il peut apprendre de ses erreurs ou de celles que d’autres ont pu commettre avant lui :

Après une couple de sentences, je savais que je montais au pénitencier. Ça ne m’empêchait pas [de recommencer]. J’étais juste plus prudent –

Martin, introductions par effraction, vols qualifiés

Ah, ce n’est pas si difficile que ça [il se réfère ici à un défi délictueux quelconque] ! Un tel l’a fait. Il s’est ramassé en dedans, mais il a fait telle erreur qu’il n’aurait pas dû faire.

Carl, vols à main armée

Dans cette forme d’apprentissage, le « postdecisional regret » dont parlait Luhmann[63] n’est pas attribuable à la décision de commettre l’acte, mais plutôt aux quelques erreurs commises dans le déroulement du passage à l’acte. On peut regretter d’avoir acheté sa voiture à crédit sans pour autant regretter l’achat de la voiture en soi. Or, le regret qu’espèrent les tenants de la dissuasion est évidemment celui qui est capable d’englober tout le processus décisionnel et non uniquement quelques-uns de ses aspects. On espère que la personne regrette l’achat de la voiture et non simplement la couleur des sièges. Cet espoir vient ici s’effondrer sous le poids de la seconde forme d’apprentissage. Un tel apprentissage n’est pas celui du renoncement mais du perfectionnement.

Au terme de notre analyse, nous mettons l’accent sur le caractère fondamentalement irrationnel de la théorie de la dissuasion, sur le caractère raisonnablement prévisible de son échec. Fondée sur des principes hautement contestés par l’empirie, cette théorie pourrait, en d’autres termes, mériter les mêmes remarques que la commission Ouimet avait tenues à l’égard de la théorie de la rétribution : l’une et l’autre reposent sur des postulats « absolument inacceptable[s] pour toute collectivité dont les mobiles sont rationnels[64] ».

Les conditions d’évolution du droit criminel moderne incluent un réapprentissage dans la manière d’aborder juridiquement le thème de la dissuasion. Il faut pousser la réflexion plus loin et éviter de se limiter à se demander si la peine, sévère ou certaine, obligatoire ou non obligatoire, peut refléter ce que les philosophes des Lumières avaient imaginé comme réalité. Il faut remettre en question la portée de la rationalité coûts-bénéfices et explorer toute la complexité qui se dissimule encore dans notre mécompréhension du passage à l’acte. Ce n’est que sous de telles conditions qu’un véritable examen des postulats fondamentaux de la dissuasion nous paraît possible.

Avant de clore le propos, nous tenons à mentionner que les mêmes remarques valent aussi pour l’analyse scientifique de notre sujet. Les recherches en sciences sociales se sont beaucoup intéressées à la question de la dissuasion, de la sévérité de la peine, de sa certitude, de sa promptitude, de sa nature, etc., mais sans problématiser le postulat de l’individu rationnel qui se gouverne, même à son insu, par un calcul fait de coûts et de bénéfices. C’est probablement la raison pour laquelle Douglas Cousineau concluait en 1988 une impressionnante revue de la littérature sur la dissuasion en disant que, somme toute, on n’avait « guère avancé depuis les premiers travaux amorcés par Beccaria et Bentham[65] ». Voilà sans doute aussi pourquoi vingt ans plus tard, soit en 2008, au terme du même exercice, Michael Tonry a été forcé d’admettre que « l’état des savoirs sur la dissuasion du système de justice criminelle [demeure] très peu différent de ce qu’il était il y a trente ans passés[66] ». Il existe encore, à l’heure actuelle, un sérieux problème de « stagnation des connaissances » en matière de dissuasion[67], situation qui nous paraît, au moins en partie, relever du fait d’avoir continué d’ignorer le postulat fondamental dont découle toute la théorie, soit la présomption d’un être rationnel calculant les coûts et bénéfices de ses gestes avant de passer à l’acte. Dans le système scientifique, c’est là un obstacle cognitif majeur au développement des savoirs. Dans le système juridique, c’est l’évolution du droit criminel moderne qui est en cause. Dans un cas comme dans l’autre, contourner cet obstacle impliquerait de nouveaux questionnements, d’autres formes de remise en question, la capacité de douter de choses plus fondamentales que l’efficacité de la peine, en l’occurrence, la portée beaucoup trop générale de la rationalité coûts-bénéfices.

Conclusion

Dans ce texte, nous avons visé deux objectifs principaux : le premier consistait en la problématisation de trois obstacles cognitifs qui participent à la non-évolution du système de droit criminel moderne ; le second en la déconstruction — voire, lorsque c’est possible, la reconstruction — de certitudes ou de certains postulats qui se révèlent souvent « invisibilisés » dans les fondements mêmes de ces obstacles. Les trois obstacles en question sont attribuables aux théories modernes de la dénonciation, de la rétribution et de la dissuasion. Sur le plan théorique, ils nous situaient au coeur de la théorie de la rationalité pénale de Pires. Celle-ci nous a permis d’asseoir les bases de la problématique qui justifie la réflexion proposée : contourner ces obstacles est théoriquement considéré comme une condition nécessaire à l’évolution du droit criminel moderne, à son apprentissage de même qu’à sa capacité de penser autrement et de refléter les valeurs qu’il défend jusque dans les moyens qu’il privilégie et non seulement dans les objectifs qu’il poursuit.

Pour la dénonciation, nous nous sommes inspirés des travaux de Durkheim et avons remis en question la conception qui consiste à rendre la dénonciation dépendante de la peine. Abandonner la théorie moderne de la dénonciation n’est pas renoncer à la dénonciation comme objectif, c’est plutôt délaisser un simple postulat qui tend à considérer la peine comme le seul signe valable ou le plus efficace des signes possibles. La perspective proposée dans notre texte attribue ces « oeillères » à un système de pensée contingent qui n’a rien à voir avec la nécessité de la réalité. Le contact avec la réalité des faits nous permet à vrai dire d’apporter de multiples exemples appuyant l’idée que la dénonciation peut se faire dans le discours, sans peine ni affliction ni exclusion. Dans une perspective de reconstruction, la théorie qui soutiendrait alors cette nouvelle forme de dénonciation se présenterait non pas telle une théorie de la punition, mais bien de la communication. Nous avons considéré cet apprentissage comme encore manquant dans la réflexivité du droit criminel moderne et comme retardant l’évolution de ce système social.

En matière de rétribution, nous avons problématisé les transcendances kantiennes et tenté de déconstruire la curieuse idée voulant que le mal se guérisse par le mal. En revisitant des transcendances philosophiques plus contemporaines comme celles de Lévinas, nous avons pu attribuer à la justice et la moralité suprême des injonctions beaucoup plus positives que celles qui découlent de la rétribution, notamment des injonctions de responsabilité, de compassion, de miséricorde, de pardon, soit des injonctions qui, sans exclure l’intervention, écartent celles qui sont plus négatives et que propose la rationalité pénale moderne. La survalorisation de la rétribution, notamment, pour le Canada, dans les plus hautes instances judiciaires, nuit à ces formes d’innovations et contribue elle aussi à l’immobilisme du droit criminel moderne.

En ce qui concerne finalement la dissuasion, les réflexions purement philosophiques ne suffisent pas. La remise en question de la dissuasion comme théorie de la peine requiert un ancrage empirique plus soutenu. Le plus grand obstacle à l’évolution du droit criminel moderne n’est peut-être pas tant la dissuasion elle-même que la manière a-critique d’en faire la critique, notamment en sciences sociales. Là comme ailleurs, il ne suffit pas de se demander si la peine dissuade ou non, il faut d’abord et avant tout s’interroger à savoir si la rationalité coûts-bénéfices que postule la théorie — et dont découlent les injonctions de sévérité et de certitude — reflète vraiment la complexité des passages à l’acte. L’empirie que nous avons mobilisée montre qu’à cet égard la généralisation du postulat voulant que l’individu se gouverne par un calcul rationnel fait de coûts et de bénéfices est elle-même irrationnelle. L’étude des processus décisionnels menant aux passages à l’acte criminel indique en effet l’influence très déterminante d’une tout autre rationalité, celle de la rationalité du risque, laquelle introduit une distinction fondamentale dans la relation que l’individu entretient avec les conséquences de son acte. Ce que l’on observe à travers la rationalité du risque, contrairement à ce qui peut être constaté à travers la rationalité coûts-bénéfices, c’est que l’individu pense les conséquences de son acte en termes de simples probabilités et non de coûts. Comme nous avons pu le voir, cela modifie complètement autant le rapport au passage à l’acte que le rapport aux moyens déployés pour le dissuader. La peine qui est pensée comme une probabilité plutôt que comme un coût stimule non pas tant le renoncement que l’élaboration de stratégies mises en oeuvre pour éviter la peine. Il n’y a alors ni dissuasion générale ni dissuasion spécifique. L’apprentissage proposé en matière de dissuasion ne concerne pas uniquement l’évolution du droit criminel moderne, mais aussi l’évolution des savoirs scientifiques, la formulation de nouvelles questions de recherche, capables d’aller au-delà de celles qui se sont jusqu’ici limitées aux variables de la sévérité et de la certitude pour se pencher sur un problème beaucoup plus urgent : celui de savoir comment fonctionne le processus décisionnel du passage à l’acte.

Apprendre à penser et à faire autrement en matière de justice pénale implique d’apprendre à faire et à penser autrement en matière de dénonciation, de rétribution et de dissuasion. Cela implique aussi de s’habituer au « crime » et à son contrôle dans des formes plus sociales que strictement pénales. Voilà ce que nous proposions dans ce texte que nous concluons ici avec l’espoir qu’il puisse favoriser, dans le contexte canadien actuel de remises en question politiques et judiciaires de certaines pratiques punitives, le développement d’une pensée alternative.