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Plusieurs raisons font que je suis heureuse de me retrouver à cette conférence annuelle. D’abord parce que la ville de Québec se fait présentement une fête. Ensuite, parce que c’est l’occasion de retrouver des amis chers dont plusieurs sont dans la salle. Mais je ne serais pas à Québec si ce n’était pour rendre hommage à l’honorable Claire L’Heureux-Dubé. L’engagement social est probablement ce qui a marqué le plus Claire L’Heureux-Dubé, non seulement comme juge, mais aussi comme personne, comme citoyenne. C’est donc avec plaisir que je viens vous parler d’engagement. La forme d’engagement dont je veux vous parler est l’accès à la justice, mais j’ai choisi un aspect souvent oublié.

En effet, lorsqu’on pense aux défis que pose l’accès à la justice, on a tendance à évaluer les problèmes et les progrès en utilisant la lorgnette de l’accès au système de justice : on pense en termes de délais, de complexité de la procédure, de coût prohibitif des poursuites judiciaires, de l’incertitude des résultats. On a tendance à oublier que l’accès à la justice comporte deux segments : l’un est l’accès, l’autre est la justice. C’est sûr que le volet « accès » est plus facilement mesurable, et les progrès dans ce domaine sont considérables — certains pourraient même dire que la justice n’a jamais été aussi accessible. Est-ce au détriment de la justice elle-même ? On devrait peut-être se poser des questions sur ce qu’est cette justice vers laquelle tant de monde court. Que veut-on dire par justice, qu’est-ce que cela implique ?

Notre préoccupation pour les tribunaux, les avocats et les parties est, je crois, un symptôme de notre difficulté à saisir ce que nous voulons dire par justice. Nous sommes tellement préoccupés par l’accès que nous ne faisons pas assez attention à la justice elle-même. Cela me fait penser à ce que le magicien Harry Houdini disait : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous ayez fui, faites plutôt attention à ce vers quoi votre fuite vous mène ! »

Dans ce qui suit, je veux vous parler de quelques projets qui peuvent alimenter notre réflexion sur ce qu’est la justice. En premier lieu, je vais brièvement situer le problème de l’accès à la justice dans son contexte historique. On verra que ce n’est pas un nouveau problème. Puis je ferai un survol de quelques données qui démontrent les progrès considérables qui ont été faits en matière d’amélioration de l’accès au système de justice. Enfin, je voudrais mener ci-dessous une réflexion sur des problèmes plus fondamentaux que l’accès aux tribunaux. Nous devons revoir notre conception de la justice et de la nature des relations que nous entretenons au droit. Je donnerai quelques exemples de projets déjà en cours et susceptibles de nous inspirer dans la recherche de solutions à notre portée. Ces projets peuvent améliorer notre compréhension de ce qu’est la justice. Ces projets ouvrent la porte à des changements qui touchent concrètement la vie et qui permettent de donner à chacun le sentiment d’être traité avec justice par la société.

1 L’accès à la justice, un thème à la mode

Selon un rapport commandé par le gouvernement britannique au cours des années 90, il y a de sérieux problèmes dans la profession juridique. Le rapport en question met en évidence trois problèmes en particulier. Le premier est le nombre d’avocats. Il y en aurait trop pour les besoins réels de la société, et le résultat de ce déséquilibre est un gaspillage coûteux de ressources en procédures frivoles. Le rapport recommande donc une réduction du nombre total d’avocats. Le deuxième problème est une détérioration de l’éthique chez les avocats. Le rapport note que la mauvaise volonté et la fraude sont presque devenues la norme au sein de la pratique et recommande que des efforts soient déployés pour réinstaurer un niveau d’honnêteté acceptable parmi les avocats. Le troisième problème est la formation juridique. Ceux qui entrent dans la profession ne sont pas suffisamment préparés : ils ne peuvent donc pas assurer une représentation appropriée à leurs clients. Ils n’ont pas la formation requise pour pratiquer. Le rapport recommande que la formation juridique soit surveillée de façon plus stricte par les cours et par l’État.

J’ai mentionné que ce rapport avait été commandé durant les années 90. Ce que je n’ai pas dit c’est qu’il s’agissait des années 90 il y a 700 ans. Ce rapport paraît dans les rapports parlementaires de 1292[1]. Cela vous démontre que le problème n’est pas nouveau. Et nous pouvons remonter dans le temps. En 1539, le roi François 1er a proclamé l’Ordonnance de Villers-Cotterêts pour « pourvoir au bien de notre justice, [à l’]abréviation des procès, et [au] soulagement de nos sujets[2] ». Et, en 1667 Louis XIV suit avec l’Ordonnance civile de 1667[3], qui est, en quelque sorte, notre premier code de procédure civile. Cette ordonnance déclare que la réforme est rendue nécessaire « par le temps et la malice des plaideurs[4] » qui s’affrontent en justice.

Alors, on a beau publier des pamphlets provocateurs sur le système de justice, le problème d’accès à la justice est aussi vieux que le système de justice. Et il semble que ce sera un problème pour lequel nous ne trouverons pas de sitôt la solution miracle. Cela ne veut cependant pas dire que nous devrions déclarer forfait. Au contraire.

2 La justice, une institution accessible

Les conflits font partie de toute vie en société et un accès inefficace aux avocats et aux tribunaux ne peut qu’envenimer les conflits. Cela dit, au Canada et au Québec, nous avons fait des progrès remarquables.

Au Québec, une réforme en profondeur a touché le Code de procédure civile[5]. Je ne pourrais moi-même m’y retrouver pour pratiquer le droit sans suivre un cours de recyclage en procédure. Le changement est phénoménal. À la Cour du Québec, le juge en chef Gagnon me dit que près de 25 000 dossiers civils sont entendus à la Cour des petites créances, et les sujets sont très variés, allant de la responsabilité médicale jusqu’aux vices cachés. C’est un progrès énorme en fait d’accessibilité au système de justice. À la Cour supérieure, lorsque je pratiquais, le délai d’inscription d’une cause ordinaire était bien souvent de plus de deux ans et l’on devait attendre de deux à trois ans pour l’audition. Maintenant, le juge en chef associé Pidgeon me dit que, dans le district de Québec, 90 p. 100 des causes sont inscrites durant l’année de la signification et que le délai d’audition d’une cause ordinaire est de six mois. Cela veut dire que les délais ont été presque coupés des deux tiers. À la Cour d’appel dans le district de Québec, les affaires prêtes pour audition en septembre 2008 sont fixées au rôle de janvier 2009. Les délais sont stricts, les parties sont limitées dans les actes de procédure qu’elles peuvent utiliser. Les réformes ont fait grincer des dents — la culture a dû être changée —, mais cela a donné des résultats concrets.

Le système de justice a aussi fait place à des mesures autres que la voie traditionnelle des actions en justice, par exemple l’arbitrage et la médiation. Parallèlement, le Québec est devenu le paradis des recours collectifs, un courant qui promet d’améliorer l’accès des individus aux tribunaux.

Et il y a aussi de plus en plus de mesures mises à la disposition des personnes qui ne peuvent se payer les services d’un avocat[6]. Par exemple, des trousses sont créées qui permettent aux parties de se débrouiller seules devant les tribunaux.

3 L’accès à la justice ou l’accès aux avocats et aux tribunaux ?

Il est certain que ces mesures sont louables. Ce sont là des progrès importants qui rendent le système de justice plus accessible et plus efficace. Cependant, l’accès est-il tout ce dont nous devons nous préoccuper ?

Il y a une demande non seulement pour un système de justice plus efficace et moins cher, mais aussi pour une autre forme de justice. On voit s’amorcer un changement qui concerne non seulement la procédure, mais notre relation au droit et au résultat que nous recherchons lorsque nous entreprenons une démarche juridique. En un mot, nous assistons à un changement de culture qui dépasse la procédure. Ce courant nous incite à changer la façon dont nous concevons le droit en général et la façon dont nous le vivons au quotidien.

Cela suppose que nous devons revoir la façon dont nous abordons le droit. La justice n’est pas nécessairement synonyme d’adjudication ou du tout ou rien des conclusions d’un jugement. Nous avons besoin d’un droit qui réponde à nos besoins quotidiens.

Loin de moi l’idée de dévaluer le droit tel qu’il se pratique, les lois ou les jugements. Le système de justice fait partie de notre vie, de notre économie, de nos institutions politiques et sociales. Cependant, les tribunaux et le mode traditionnel d’adjudication devraient n’être que le dernier rempart de la société. Le droit peut offrir aux citoyens un véhicule pour la transmission des valeurs communautaires et des aspirations sociales. La première vocation du droit devrait d’ailleurs être de favoriser l’interaction entre les citoyens dans leur vie personnelle, professionnelle et sociale.

Dans une revue des travaux de la Commission du droit du Canada en 2002[7], la présidente de la Commission, Nathalie Des Rosiers, notait que lorsque la Commission a commencé ses travaux en 1997, elle avait défini sa mission comme un engagement à lancer les Canadiens dans un renouveau du droit pour assurer sa pertinence, son efficacité, son accessibilité à tous et sa justice. La présidente Des Rosiers mettait l’accent sur l’importance de l’engagement des citoyens dans la réforme du droit. À son arrivée en fonction, elle voulait déterminer les moyens qui pourraient permettre aux membres d’une communauté de communiquer les uns avec les autres. En désignant des sujets qui pourraient se prêter à une réforme du droit, elle insistait sur l’importance de l’engagement communautaire. Commentant la consultation que la Commission avait menée auprès de la communauté, elle disait que l’élément le plus révélateur était une espèce de désengagement des Canadiens à l’égard du droit et de ses institutions. Elle notait que la vie, la « vraie » vie semblait échapper au champ d’action du droit et que ce dernier n’était pas considéré comme un facteur contribuant à l’amélioration de la qualité de vie, mais qu’il était plutôt un obstacle à l’atteinte de ce but.

La question principale, bien sûr, est de savoir comment corriger cela, dans la « vraie » vie. Lorsque les gens pensent accès à la justice, ils pensent en termes de tribunaux puisque les avocats et les juges sont l’incarnation du système de justice. Cependant, ceux-ci ne peuvent pas tout faire. Pour vivre les changements qui devraient survenir, cela requiert un effort de toute la communauté. Y a-t-il des moyens pratiques non seulement d’améliorer l’accès à la justice, mais aussi d’améliorer la justice elle-même ?

4 La justice, l’affaire de chacun

Nous devons changer notre relation aux droits et à la procédure. Par « nous », je veux dire autant la communauté juridique que les citoyens. Présentement, la relation avec le droit pourrait être décrite comme une relation où tout est dû à l’individu. Bien sûr, les droits fondamentaux sont importants et doivent être respectés. Cependant, tout aussi importante est l’idée de justice, non comme un faisceau de droits, mais comme un amalgame de responsabilités. On peut se poser la question : de quoi serions-nous responsables ? Bien sûr, il y a plusieurs responsabilités, mais ce dont je veux discuter avec vous aujourd’hui, c’est la responsabilité de penser moins en termes de droits et de litiges, et plus en termes de solutions pour régler les problèmes. Non pas que les droits seraient bafoués, mais ce qui deviendrait tout aussi important serait la responsabilité partagée pour trouver des solutions de rechange durables.

Comme dans le cas des réformes qui améliorent l’accès à la justice, il existe des changements à la portée de chacun. Il y a des approches nouvelles fondées sur une plus grande participation. Cela vaut déjà pour de nombreuses organisations internationales où les participants décident eux-mêmes des règles qui s’appliqueront dans leur cas. Mais il y a aussi des projets, des organisations qui peuvent nous inspirer pour faire en sorte que des changements concrets soient mis en oeuvre pour modifier notre approche au droit. Cela existe déjà, nous n’avons qu’à nous en inspirer.

Pensons, par exemple, au divorce. Le divorce en douceur peut-il exister ? Il y a une demande pour des divorces en douceur. De la demande vient la réponse. Il existe maintenant une nouvelle approche à la pratique en droit de la famille, le droit de la famille collaboratif[8] (collaborative family law). Ce que font les avocats de ce groupe est inspiré des pratiques en matière de médiation. L’avocat n’est pas seulement un avocat mais aussi un ami et une personne qui cherche une solution à un problème. Le client doit participer vraiment à l’élaboration des solutions, et il ne s’agit pas simplement d’une façade ou d’une étiquette. La pratique du droit de la famille collaboratif requiert que l’avocat change son approche à l’égard de sa clientèle et de la pratique du droit. L’Académie internationale des avocats en droit de la famille collaboratif compte déjà 3 000 membres au Canada et aux États-Unis[9]. Environ 20 000 avocats ont suivi de la formation pour faire du droit de la famille collaboratif. La base de cette nouvelle approche au droit est que la majorité des clients veut une paix honorable, pas une guerre.

L’élément que j’estime le plus intéressant dans cette nouvelle approche est que les avocats s’engagent à ne pas aller à la cour. Si un client choisit de se rendre en cour, l’avocat doit se retirer du dossier. Cette obligation fait office d’incitatif énorme pour l’avocat qui veut garder son client.

Le principe sous-jacent au droit de la famille collaboratif est l’idée que la justice est meilleure lorsque la personne qui est la première touchée a un rôle : en fait, elle a la responsabilité de participer à la recherche de solutions et de moyens de prévention.

Dans notre recherche de nouvelles idées pour changer notre approche au droit, nous pouvons puiser aux sources de la conception classique de la justice comme celle du concept aristotélicien de phronêsis[10]. Cette dernière n’est pas seulement un concept philosophique abstrait et poussiéreux : c’est l’application d’un bon jugement à l’action humaine. Ce concept permet de saisir les trésors qui sont en nous-mêmes ainsi que la capacité de provoquer des changements. La phronêsis peut servir de guide concret à quiconque désire contribuer à l’amélioration de la justice. Ce concept nous impose de nous poser les questions suivantes lorsque nous voulons trouver une solution à un problème :

  1. Où allons-nous ?

  2. Qui gagne et qui perd, et par quels mécanismes ?

  3. Cette conséquence est-elle désirable ?

  4. Que pouvons-nous faire à ce sujet ?[11]

Nous avons tous la capacité de créer, de mettre en oeuvre des projets qui peuvent réellement changer les choses autour de nous. Je vous propose trois pistes :

  1. la formation juridique des jeunes et des adultes, en mettant l’accent sur nos responsabilités collectives autant que sur les droits individuels ;

  2. la formation professionnelle des avocats dans les facultés de droit, formation qui doit incorporer des principes d’éthique juridique ;

  3. la mise en place de mesures participatives dans les communautés locales.

Premièrement, l’éducation des enfants devrait inclure plus de formation juridique et cette formation devrait être orientée sur les responsabilités collectives. Sans une sensibilisation précoce aux responsabilités que nous nous devons mutuellement, nous ne pouvons espérer bâtir une approche participative dans les communautés axées sur la prévention et sur la recherche de solutions à long terme. En conséquence, nous devons encourager un curriculum axé sur les responsabilités collectives très tôt dans la formation juridique dans les écoles primaires et secondaires.

Deuxièmement, nous devons intégrer des cours d’éthique dans les curriculums des professions juridiques que ce soit dans le contexte d’un cours précis sur le sujet ou dans des cours qui portent sur d’autres sujets. Un auteur, qui fut un temps professeur de droit, commentait récemment le problème :

Pendant toutes ces années passées comme professeur de droit puis comme doyen, je regardais au-delà de mon pupitre tous ces jeunes hommes et femmes impatients de pratiquer le droit. Mes collègues professeurs et moi-même leur avons-nous suffisamment parlé d’éthique et des dangers et responsabilités qui viennent avec la pratique du droit ? Ma réponse ne peut qu’être négative[12]

Si l’on regarde le curriculum obligatoire des universités canadiennes, il est difficile de confirmer si l’éthique se trouve vraiment au coeur des préoccupations. Je soupçonne que l’éthique fait partie, d’une façon ou d’une autre, des cours donnés à l’Université Laval, mais en fait cette matière occupe-t-elle la place qui devrait lui revenir ? Elle est pourtant au centre des questions de droits de la personne, du droit des contrats, du droit commercial, du droit criminel et, évidemment, du droit familial. Chose certaine, si nous voulons changer la culture, nous devons accorder plus d’attention à l’éthique et aux responsabilités sociales dans nos facultés de droit.

Toutefois, cela ne suffira pas. Nous devons donc troisièmement penser à un aspect constructif et faire un ou des gestes pour rejoindre toute la communauté. J’ai plusieurs exemples à vous donner de projets qui ont été mis en place pour améliorer le sentiment que nous agissons pour la justice, pour l’accès à la justice dans le sens substantif de l’expression, pas seulement pour son volet procédural.

En Colombie-Britannique et aux États-Unis, les juristes se sont inspirés d’une institution anglaise, les Inns of Court[13]. Ces associations professionnelles regroupent des avocats plus expérimentés qui servent de mentors aux plus jeunes. Les Américains, de même que certains avocats et juges de la Colombie-Britannique, ont repris la formule[14]. Les organisateurs sont des juges retraités ou en fonction, des avocats, mais aussi des professeurs de droit et des étudiants. Leur action est étendue à la communauté. Ainsi, un Inn organise des soupers thématiques, principalement sur des sujets qui touchent la formation professionnelle et l’éthique. Des conférenciers spéciaux sont invités aussi et des gens de différents milieux (éducatifs, politiques, sociaux). Les Inns agissent ainsi comme points de liaison entre divers groupes sociaux. Ce genre d’initiative a le mérite d’encourager la participation d’acteurs de milieux variés dans la recherche de solutions à des problèmes concrets.

Un réel accès à la justice se doit d’être pragmatique et d’appliquer les principes de justice dans notre vie quotidienne. Une organisation comme celle des Inns of Court peut rassembler des personnes désireuses de promouvoir une meilleure compréhension et mise en application de la justice. Pour orienter la discussion, les quatre questions soumises plus haut peuvent toujours servir de point de départ.

L’élément clé d’une telle institution est la mise en place de structures qui permettent une interaction régulière et le recours à des personnes qui ont une expérience pertinente dans des domaines juridiques et non juridiques et qui peuvent agir comme mentors. L’expérience est essentielle au succès d’une telle entreprise. Et l’expérience ne peut être enseignée ni achetée dans un magasin. L’expérience de la « vraie » et dure vie, l’expérience dans la prise de décisions difficiles sur le plan éthique doit être transmise aux membres de la communauté dans un canal de communication régulier et systématique.

Une telle organisation peut être démarrée presque immédiatement dans la communauté, et ce, sans grands frais.

Un autre exemple : aux États-Unis, on trouve un projet qui date de 1960. Ce sont les Neighborhood Justice Centers[15] — expression qui pourrait se traduire par « centre de justice communautaire ». Ces centres fonctionnent sur les principes de médiation. Ils sont orientés vers la prévention et vers le règlement global des problèmes en favorisant l’amélioration des relations interpersonnelles et la découverte de moyens pour permettre aux individus de contrôler leur propre vie. Comme les groupes travaillent dans les communautés, ils ont une bonne connaissance des problèmes systémiques et peuvent aider à trouver les causes des problèmes et à stimuler les mesures préventives. L’aspect particulier de ces centres est qu’ils n’ont aucun lien avec le système officiel de justice : ils représentent une sorte de système de justice parallèle. Cela les distingue des organisations qui font de la médiation institutionnelle et qui peuvent mener au système de justice étatique.

J’ajoute une autre idée : en Nouvelle-Écosse, on a créé un comité de liaison formé de juges de toutes les cours, de représentants de l’administration des cours et d’un officier de liaison[16]. Ce dernier est l’agent de communication de la Cour. Il cible des groupes comme l’Armée du salut ou l’Association des parents célibataires. Le but est de rejoindre les groupes historiquement défavorisés. L’officier de liaison décrit le travail du comité à ces groupes et suscite des commentaires et des rencontres. Les informations ainsi colligées sont utilisées pour la formation des juges.

Et je n’ai pas parlé des projets spéciaux, comme les tribunaux spécialisés dans le traitement de cas de maladie mentale, et de tant d’autres initiatives dont l’objet est d’assurer que le droit répond mieux aux besoins particuliers d’un groupe donné.

Il est facile de le constater : ce ne sont pas les idées qui manquent. Au Québec, nous regorgeons aussi d’idées. En témoignent, notamment, les travaux de l’Association du jeune Barreau de Montréal. L’un des points à l’honneur pendant les dernières années est le « pro bono », le travail bénévole[17].

La liste des projets québécois est fort longue. Cependant, je ne saurais passer sous silence un projet en matière de formation et d’information : Éducaloi[18]. C’est un formidable outil. Sur le site Web de cet organisme à but non lucratif, on peut même trouver de l’information sur la justice participative et sur la justice consensuelle[19].

Il y a plusieurs autres exemples. L’un d’eux est bien connu : c’est la Maison de justice de Québec[20]. La juge L’Heureux-Dubé a toujours été avant-gardiste. Ce projet, lancé en 2003, bouleversait peut-être trop les façons de faire. Pour mener à terme un grand projet comme celui là, il fallait de la vision. Et la juge L’Heureux-Dubé n’en manquait pas. Cependant, il fallait aussi que les circonstances s’y prêtent. Les vents n’étaient sûrement pas favorables en 2003. S’étonnera-t-on d’apprendre qu’en Ontario, en 2006, on s’est inspiré du projet de Québec de la Maison de justice et que l’on a fondé des House of Justice[21], et ce, à l’initiative de l’Advocates’ Society de l’Ontario ? Peut-être que si le Barreau de Québec et le Barreau du Québec joignaient leurs efforts, le maire Régis Labeaume se montrerait aussi ouvert que l’était Jean-Paul L’Allier ! Et peut-être qu’en 2008 le Barreau serait l’un des plus ardents défenseurs du projet !

Comme Aristote l’a dit : « Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. » Si nous voulons être justes, nous devons prendre une habitude de discuter la justice et trouver des moyens d’assumer notre responsabilité collective par une plus grande collaboration. La justice n’est pas l’apanage des juges et des avocats, mais l’affaire de chacun.