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Ciel, mon récit ![Record]

  • Julien Lefort-Favreau

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  • Julien Lefort-Favreau
    Université Queen’s

Le hasard des piles de lecture et des obligations professionnelles, dont on sait qu’elles obéissent, les unes comme les autres, à des logiques presque ésotériques, a récemment mis sur mon chemin des ouvrages de Micheline Cambron et de Régine Robin, deux intellectuelles plus proches que l’on pourrait croire au premier abord. Le hasard des actualités politiques – celui-là autrement plus sordide – m’a comme soufflé à l’oreille une perspective de lecture de ces ouvrages. Je ferai ici entrer en dialogue Le roman mémoriel de Robin et Une société, un récit de Cambron, mariage qui ne va pas de soi, question de filiations intellectuelles, de gang, dirais-je trivialement. Et pourtant. La collection « Essais classiques du Québec » aux Presses de l’Université de Montréal, dirigée par Guy Champagne, Nicolas Lévesque et Patrick Poirier, fait paraître d’importants essais québécois souvent épuisés. Dans un pays où les aléas des structures d’édition ont souvent rendu indisponibles de costauds morceaux d’histoire intellectuelle, nous ne pouvons que saluer cette initiative. De Suzanne Lamy à Marty Laforest en passant par Claude Lévesque, c’est sans limites disciplinaires nettes que la collection bâtit son fonds. Les rééditions du Roman mémoriel et d’Une société, un récit (respectivement accompagnées de préfaces de Pierre Popovic et de Chantal Savoie), tous deux parus en 1989, participent de cette entreprise éditoriale d’envergure. Plus de trente ans après leur parution, il semble opportun de mesurer leur impact sur les études québécoises en actualisant les enjeux qu’ils soulèvent. Leur parution simultanée permet de forcer un peu le hasard et de tracer les contours d’une séquence historique qui nous mène jusqu’au présent. Car bien au-delà de la coïncidence des dates, ce sont semblablement les notions de récit, de fiction et d’identité qui se retrouvent élucidées par le travail de Cambron et de Robin. C’est depuis mes études à l’Université de Montréal que je fréquente l’oeuvre de Robin. Au début des années 2000, on enseignait encore souvent La Québécoite (1983), et c’est avec ravissement et étonnement que j’ai découvert ses grands essais sur la mémoire et l’autobiographie, qui m’ont ensuite accompagné au fil de mes études supérieures. J’y ai trouvé une source d’inspiration théorique, mais surtout – et ce n’est pas rien ! – une posture critique, une méthode de lecture ouverte, souple, digressive. J’ai découvert le travail de Cambron, à ma grande honte, beaucoup plus tardivement, dans les parages des études sur le livre et l’imprimé. La lecture d’Une société, un récit a donc pour moi un net effet de nouveauté, trente-trois ans après sa sortie. Si postérité savante il y a aux travaux de Cambron, c’est dans la foulée des projets collectifs comme le CRILCQ et « Penser l’histoire de la vie culturelle au Québec ». J’ai l’impression – peut-être ai-je tort – que ce ne sont pas les adeptes de la sociocritique qui lisent Cambron (peut-être le devraient-ils) ; ce sont plutôt celles et ceux qui envisagent la littérature québécoise comme un phénomène culturel s’inscrivant dans une courtepointe formée de multiples motifs d’imprimés, de spectacles, de radioromans, etc. L’objet de l’essai de Cambron est la formation (et la reproduction) d’un récit commun dans les années 1960 et 1970 au Québec. J’ai été surpris de voir l’actualité de ses conclusions, en l’occurrence la persistance de ce récit commun dans le présent. Cambron procède en analysant des oeuvres qui ont en partage d’avoir été des succès populaires : les chansons de Beau Dommage, les monologues d’Yvon Deschamps, les articles de Lysiane Gagnon sur la langue française, Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay, les poèmes de Gaston Miron, L’hiver de force de Réjean Ducharme. Afin de …

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