ChroniquesPoésie

Le poème comme recueil, tableau, espace[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

On constate aujourd’hui une tendance à interroger le poème non plus seulement tel qu’en lui-même, en ses thèmes et ses procédés formels (ses thèmes surtout), mais aussi en rapport avec sa structure « éditoriale » (le recueil) ou, encore, dans ses correspondances avec les arts voisins, notamment la peinture. Dans un petit livre intitulé Le poème en recueil , François Dumont propose une amorce de réflexion sur les rapports entre le poème et l’espace-livre où il prend place. Quelle est l’incidence du dispositif éditorial sur la lecture du texte, pourtant considéré à bon droit comme autonome  ? Sujet intéressant, mais difficile. Il permet à l’auteur d’effectuer de fines analyses, mais on n’est pas sûr qu’il ait été pleinement traité. En effet, les six chapitres du livre étaient à l’origine autant d’études, sans lien entre elles, publiées dans des revues à plusieurs années d’intervalle, et on y cherche en vain la trace d’une problématique en bonne et due forme concernant une poétique du recueil. Les deux pages de l’« Introduction » ne suffisent pas à l’esquisser. Elles indiquent une direction de recherche, sans plus : « L’intention du présent ouvrage est de considérer les diverses dimensions de ce contexte éditorial qui est aussi une forme d’écriture et qui joue un rôle important dans la lecture. » (5) À cette fin, quelques oeuvres marquantes de notre poésie sont abordées : les Poésies complètes d’Hector de Saint-Denys Garneau, L’homme rapaillé de Gaston Miron, Poèmes des quatre côtés de Jacques Brault, les trois « rétrospectives » de Roland Giguère et Le sens du soleil de Pierre Nepveu. On aimerait avoir au moins quelques indications sur d’autres recueils phares de nos lettres, comme Les îles de la nuit d’Alain Grandbois, Le tombeau des rois d’Anne Hébert, Mémoire sans jours de Rina Lasnier, Le réel absolu de Paul-Marie Lapointe… Le dernier chapitre aborde la question de l’anthologie poétique. Celle-ci est l’objet d’une étude formelle dont on aurait souhaité trouver l’équivalent à propos des recueils qui précèdent. Il y a là les bases d’une typologie qui fait appel à des choix qu’on pourrait qualifier d’idéologiques : on privilégie la poésie (sans référence au contexte littéraire national) ou, au contraire, la nation ; la chronologie ou l’ordre alphabétique des auteurs ; la sélection des textes ou celle des auteurs, etc. Que serait une typologie des recueils ? On peut imaginer, en gros, une échelle d’ouvrages qui irait du plus libre (indiscipliné) au plus construit. En domaine français, je pense à Alcools d’Apollinaire où se succèdent des poèmes en vers libres (« Zone ») et des poèmes en vers réguliers (« Le pont Mirabeau », « La chanson du mal-aimé ») avec une belle désinvolture. Les autres recueils du poète, même les Calligrammes — et malgré la présence de poèmes-dessins (les calligrammes, justement) —, répondent eux aussi à un souci d’hétérogénéité formelle. Voilà bien la preuve que le recueil peut n’obéir qu’à des exigences minimums. À l’inverse, la Délie de Maurice Scève est composée uniquement de dizains (il y en a 449), formés de décasyllabes. Voilà donc un objet littéraire d’une grande homogénéité, tant formelle que thématique. Le paradis des apparences, de Robert Melançon, avec ses 144 poèmes de douze vers, lui fait écho en notre siècle. On peut imaginer aussi une orchestration rigoureuse de la diversité, par exemple Regards et jeux dans l’espace de Saint-Denys Garneau, dont les sections, très différentes les unes des autres, nous transportent de façon progressive de l’expression initiale du bonheur et de l’enfance à celle du malheur et de la mort, suivie d’un bref retour à la lumière. On observe une démarche …

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