Article body

À LIRE LES RÉCITS AUTOBIOGRAPHIQUES d’anciens combattants de la Seconde Guerre, «on ne peut s’empêcher de noter deux thèmes majeurs, toujours les mêmes. D’abord, le désir sincère de participer à une espèce de croisade contre […] le nazisme; ensuite, le goût de l’aventure, assorti à un besoin profond […], de visiter l’Europe, surtout la France et l’Angleterre.» (Gouin 554) Mais qu’en est-il de la représentation romanesque de ce conflit mondial au Québec et quelle image de la masculinité y retrouve-t-on? En fait, la production québécoise de romans de guerre, comparée à celle prolixe des Canadiens anglais (Sutherland 70-71), fait piètre figure puisque seulement quatre textes ont été publiés dont Neuf Jours de haine de Jean-Jules Richard, le premier et le meilleur paru en 1948[1].

Chacun des neufs chapitres de ce livre raconte une journée significative de la vie commune d’un peloton de la compagnie «C» durant le cours exact d’une année : du 6 juin 1944 au 6 juin 1945. Le récit écrit au présent, qui s’ouvre avec une description saisissante du débarquement en Normandie telle que vécue par ce groupe, permet au lecteur de ressentir admirablement bien la violence meurtrière de la guerre. L’auteur a su avec véracité rendre toute l’horreur à laquelle doivent faire face quotidiennement une dizaine de soldats provenant des diverses régions du Canada, dont deux amis, Noiraud et Frisé, en qui on reconnaît les doublets mythiques qui ont été transmis à la tradition romanesque (Tremblay 1991: 20-23, 28-33). Le narrateur et les personnages, par leurs constants appels à la furie haineuse et vengeresse, rejoignent l’indifférenciation de la crise mimétique, telle que décrite par René Girard (1978 :19-32). Leur haine et leur désir de se venger de la perte d’un camarade de combat, comme leur faim, leur fatigue, leur peur et leur désespoir, qui sont décrits avec une obsédante acuité (42, 47, 64, 66, 69, 100-02, 118-19, 249, 260-61, 341…), sont non seulement des facteurs d’irritation et ainsi d’agression envers l’ennemi, mais ensemble ils réfèrent à un chaos orgiaque et destructeur au-delà des lois, des interdits et des différences. Ainsi, comme le reconnaît le narrateur :

[…] dix jours d’expérience. Dix jours … C’est comme dix années. Plutôt des siècles. Un retour à l’âge de feu, de pierre, de fer, de cuivre. Un retour vers les cataclysmes de la formation de la terre. Vers les catastrophes des civilisations et des décadences. On commence à haïr. On hait l’obscurité, son mystère. On hait les bouffées de puanteur venues des charognes et des rêves.[…] (41-42) L’humanité rétrograde volontiers vers ses instincts. Vers les habitudes innées de ses origines biologiques. Du moins dans des conditions propices comme la guerre. La roue tourne. Le cycle chavire. (204)

Un roman de guerre dionysiaque

Dans la Grèce antique, les rites de Dionysos, comme les Saturnales et plus tard le Carnaval, commémoraient ce retour à l’indifférenciation totale que la guerre actualise au plus au point (Girard 1972 : 179-89; Tremblay 1991 : 23-24). Ainsi, dans le troisième chapitre qui raconte l’héroïsme de Noiraud et Frisé, seuls soldats du peloton à ne pas avoir été touchés d’une balle, l’auteur décrit avec grande habileté cette frénésie dionysiaque : Frisé enfreint les ordres par deux fois et, au risque de sa vie, va chercher plusieurs bouteilles de vin, qu’il a trouvées dans une cave, pour les distribuer aux blessés. «Vaut autant finir dans l’orgie», dit-il (109) et quand «[q]uelque chose lui coule du cou sur la poitrine [, i]l ignore si c’est du vin ou du sang» (113-14). Du reste, lorsque décrivant «l’ivresse de la bataille» (23), le romancier associe souvent alcool et sang. Le cinquième chapitre qui relate les divagations de Frisé à l’hôpital, revivant le décès de son frère Paul, représente particulièrement bien, par sa situation centrale au roman, la descente aux enfers mythique où le héros confronte la folie, la monstruosité et sa propre mort. Après être revenu au front, Frisé se sentira «redevenir un homme» après avoir tué une sentinelle allemande (204-05).

Selon le narrateur, les combattants accèdent dans la bataille à une «cinquième dimension. Où l’allure est si étrange. Où les hommes marchent sur le ventre s’ils sont vainqueurs. Où ils déambulent les mains levées s’ils sont vaincus». (118, 180, 211) À la guerre, l’inversion, l’ambivalence et la monstruosité jouent à plein. Il est «impossible de s’attarder […] à être humain» (102): il faut «[t]uer ou l’être» (274). D’ailleurs, après le meurtre, plutôt que de «[s]’évader du lieu du crime, […o]n devient héros» (119). Parfois, «[o]n tirait sur des amis. Nos copains nous descendaient. On faisait des prisonniers. Deux minutes après, les boches les libéraient et nous prenaient. Ensuite, de nos sections cherchant à patrouiller renversaient les rôles». (219) Et on en vient «à détester la vie parce qu’elle éclôt la mort. Comme si mourir c’était naître, parce que naître c’est mourir». (189) L’ambivalence vis-à-vis de la guerre est très marquée. Que d’émois chez les soldats devant le «spectacle impressionnant» des blindés et des tanks … (73). «C’est beau!» s’exclame-t-on devant la féerie des feux de l’artillerie (12-13, 86, 111, 143, 195, 249, 250, 263 …) :

Un coin perdu se transforme, en une minute sous le décor féerique. Tout devient de l’émeraude. Les branches de sapin, les arbres sans feuilles qui reverdissent. Les maisons délabrées se couvrent de vermoulu. Où tout est rubis. Les soldats sont en porcelaine de Saxe. Les soldats fragiles, cassants. Sous les fusées blanches, les alentours profusent des diamants. La peau a des reflets. Les yeux des facettes. Les décors transparents. Les buissons cristallisés. La vie, une aurore boréale. (196)

Grâce à ces nombreuses descriptions où la bataille est métaphorisée non seulement en peinture, mais aussi en danse, en ballet, en symphonie (165, 182, 196, 197, 234, 306, …), la guerre se transforme en une expérience esthétique commune qui unit les hommes entre eux. Toutefois, cette expérience fraternelle engageante a une contrepartie beaucoup moins agréable, celle effroyable de la violence et de la mort, que l’auteur présente dans toute son horreur. Pourtant, là aussi se glisse l’ambivalence. On prend parfois plaisir à la douleur :

Pour la première fois, on s’est battu d’assez près pour voir les expressions des victimes. On a connu les sensations du sadisme. On a vu rutiler le sang. On en a soi-même occasionné les jets. La souffrance physique s’est donnée en spectacle. On a vu les siens crispés de douleur. Mais jamais n’a-t-on assisté à une torture délibérément imposée sur des êtres humains. Jamais on n’avait connu les passions de la vengeance satisfaite. Ça plaît. Même si on en a un peu honte. Seulement quelques-uns n’ont pu endurer cet émoi. Ceux-là ont épargné les prisonniers. (244)

Dans tout le roman, l’écrivain a su systématiser avec art cette opposition beauté/monstruosité, dichotomie à la fois ambiguë et conflictuelle comme la guerre elle-même, celle-ci procèdant d’ailleurs du même mécanisme que celui du rite sacrificiel primordial (Girard 1972 : 221-28). Faut-il rappeler que la victime émissaire est alors associée à la fois au mal car représentant la violence dangereuse, et au bien parce que la paix communautaire résulte de sa mise à mort? Cette ambivalence se retrouve surtout dans la conception que le narrateur et ses personnages favoris, surtout Noiraud, ont non seulement de la guerre, mais aussi de l’armée et à un moindre degré de la femme.

Pour ou contre la guerre

La guerre offre deux visages contradictoires. Elle est d’abord «jeu de pouvoir […,] escroqueries des castes supérieures» (321). Le capitaine Lernel, prêt à tous les mensonges et aux pires bassesses pour montrer son autorité et acquérir des honneurs, représente, on ne peut mieux, cette facette. Kouska, le soldat politisé, s’emporte contre «l’ambition impérialiste qui divise le continent [et qui] dup[e] les peuples, et contre «[l]a politique, la diplomatie, le capitalisme [qui] intriguent» (221-22). Il y a aussi

[t]oute la machine de la propagande. La carte d’Europe sur les journaux doit agrandir son écran ombragé chaque jour pour la satisfaction du lecteur. Il y a le lecteur dévorant les nouvelles. Le lecteur croulé dans un épais fauteuil. Le lecteur qui gagne la guerre en pantoufles. L’ouvrier dont le salaire dépend de la production. Et les journalistes épiant les nouvelles pour les commenter et se rendre dignes de retirer leur chèque, le chèque qui leur procure la bonne chère!

Les combattants n’ont pas mangé aujourd’hui. Ils sont couverts de boue de la tête aux pieds. Ils sont las, contrariés. Ils ont faim. Ils ont froid. Ils se font tuer. Ça n’a pas d’importance. — Avancez, bande de lâches. Battez-vous. Le monde attend. Les écumeurs guettent votre cadavre. (98-99)

À cette «propagande des trafiqueurs de chair», le narrateur offre sa haine (260-61) et oppose l’atrocité de la guerre, mais aussi «la grande aventure» que la plupart de ses personnages sont venus y chercher (157, 135, 196, 199, 315, 316, 320). Cette dernière est «le seul véritable instructeur» (210) et surtout elle enseigne l’héroïsme. Au front, chaque attaque «plaît [comme une] aventure. C’est comme le dernier acte d’un drame. L’apothéose. Le dénouement met en suspens» (106). Rituel initiatique par excellence, la guerre permet d’acquérir la vraie masculinité.

Cette vision conflictuelle se retrouve dans la représentation même de l’armée, laquelle est divisée en deux groupes. D’un côté, il y a les relations affectueuses entre les soldats, de l’autre, il y a une haine viscérale envers toute discipline et structure hiérarchique :

L’armée est [d’abord] la meilleure école de despotisme, partout dans le monde. (213) [C’est] une assemblée d’hommes éduqués pour tuer (219) [... où l]a plupart des gradés savourent comme une drogue leur autorité. (316) L’armée détruit ses recrues et les façonne en automates incapables d’originalité. (342; voir aussi 210-14)

À ce militarisme où «on obtient [le] respect par l’écart entre les grades», les héros opposent la discipline qui «naît du respect[,…] de la liberté des autres» : ce qui importe, c’est «le sens d’être membre d’une même équipe» (212-13). «La compagnie [doit former] un seul homme» (240), un seul «corps» (166). L’esprit et la logique militaires, qui sont honnis, font place alors au corps et à l’instinct des simples soldats.

Entre soldats

Cette fraternité toute sensuelle entre mâles, qui est d’ailleurs une constante dans l’oeuvre de Richard (Tremblay 1996), est magnifiée au sixième chapitre lors du jour de Noël. Plutôt que la fête chrétienne, il s’agit bien ici de Saturnales (qui étaient célébrées dans l’antiquité gréco-romaine à la même époque) où c’est la fraternité entre les corps masculins qui est exaltée. Pas d’aumônier, aucune référence au Christ, ni à la religion : omissions trop importantes pour être fortuites. À la place, on retrouve les traits distinctifs de la commémoration du solstice d’hiver, comme des autres fêtes et rituels païens : retour à un état d’indifférenciation, renversant l’ordre habituel avec ses excès de nourriture, de sexualité, de rires, de paroles … (Girard 1972 : 179-91). Tout est en effet contraire à la discipline et à la tension guerrières : on accorde un répit aux soldats qui, éloignés du front, peuvent d’abord se laver et changer de vêtements. La «marche aux flambeaux» d’une centaine d’hommes vers des douches provisoires et la description suggestive des corps dépassent l’homosocialité habituelle pour atteindre un certain érotisme (205-07)[2] :

Il y a six douches. On doit s’empiler sous chacune. Quatre ou cinq gars se lavent à l’unisson. Ça sent les cheveux mouillés et le savon. On se savonne le dos réciproquement et quand c’est à son tour de se rincer, la crasse descend de la tête au cou en épais délayage. Du cou sur le torse bombé. Ça s’enfile et persiste entre les cuisses. Enfin ça glisse jusqu’aux jambes, au pieds. Puis ça roule sur le plancher comme de la crème renversée. […] Quelques-uns s’attardent à montrer leurs muscles. [Cela] pourrait être aussi bien un concours de beauté masculine. Et les juges seraient perplexes devant tous ces bras musclés, ces torses luisants de force. Ces ventres rentrés où la graisse bourgeoise ne se réjouit pas. Ces cuisses dures et ces jambes au galbe noueux. […] Une centaine de modèles. Cela ferait une toile impressionnante. Une grande murale. Un chef-d’oeuvre. (206)

Cette amitié toute sensuelle est d’ailleurs une thématique très développée surtout entre Noiraud et Frisé, puis entre Noiraud et Jean Manier. L’auteur souligne qu’entre les soldats il s’agit bien d’un renversement des habitudes du temps de paix :

Si les besoins sont insatiables, l’impulsion découvre quelque part un dérivatif. Chez un groupe d’hommes dépourvus des satisfactions normalement faciles, le manque d’amour se façonne en affection. C’est la rançon des réactions. […] Ils dorment en rond comme une portée de lapins, couverts de leur capote. C’est bien dur maintenant de s’évader de cette bonne chaleur animale, la meilleure chaleur connue. (204-05)

Cependant, sitôt la guerre finie, «[l]’affection des mois de mêlée n’est plus de mise. Ça ne se tolère plus. On sèche. Si on serre un copain dans ses bras, tout de suite quelqu’un se fait des idées» (309). Il importe de préciser que l’auteur ne parle jamais d’homosexualité, tout sensuels que soient les contacts des soldats : l’espace textuel demeure homophobe, ce qui occasionne parfois d’étranges substitutions. Considérons, par exemple, cette nuit que Noiraud et Jean passent ensemble dans une maison réquisitionnée. L’interaction entre les deux hommes, malgré une certaine gêne chez Jean parce que «jamais de sa vie, il n’a couché dans un lit semblable», est transposée dans la jouissance du matelas «moelleux». Ainsi, «Noiraud jouit déjà du contact frais des draps. Il perd des soupirs de satisfaction. Il engage Jean de se presser pour partager ce bonheur» et «le lit prend [Jean], enveloppe son corps avec volupté»; ce dernier «se délect[ant] de cette joie nouvelle» veut «rest[er] éveillé toute la nuit pour en jouir». Enfin lorsque la «chaleur de Noiraud lui arrive par effluves généreux. Il est heureux. Il s’hypnotise […] pour que cette allégresse se divinise» (272-73). Ailleurs, les ébats entre les deux copains laissent paraître encore plus ces liens équivoques :

L’envie de se battre rendait [Noiraud] flexible.[…] Manier l’a rassasié quelque peu en faisant la lutte avec lui sous le sous-bois couvert d’aiguilles de pin. Noiraud sentait les reins forts résister à ses grosses mains. Manier était satisfait de glisser entre les jambes de Noiraud et là de résister quoique pris dans l’étau de la pyramide refermée. (234-35)

Au-delà de cette sensualité, signalons enfin que, dans la quête de puissance guerrière où il faut sans cesse prouver qu’on est un homme aux dépens de sa vie même, l’arme, la mitrailleuse en particulier, est la représentation phallique par excellence. Le fait que Noiraud et Manier «se prouveront le meilleur couple de mitrailleurs jamais connus» (233) montre bien l’entente homosociale, comme le révèle encore mieux l’échange d’armes entre eux : «Noiraud n’aurait jamais confié sa bren à personne. Sa sécurité lui semble précaire sans une bren. La confier à Jean s’avère la meilleure manifestation d’amitié dont Noiraud est susceptible» (239).

L’inversion propre aux Saturnales se retrouve ailleurs (Girard 1972: 164, 179-80). La nourriture, habituellement mauvaise et rare, est à Noël trop abondante et ce sont «[l]es officiers et les sous-officiers [qui], derrière les contenants […], servent les hommes» (209). L’alcool coule à flots ainsi que les rires et les paroles : on discute d’un monde sans guerre, puis «[t]out le monde commence à parler ensemble. On ne comprend rien, mais […] la confusion console […]» (228). L’auteur à tout ce chaos regénératif a su même joindre un épisode qui ressemble beaucoup au rituel sacrificiel (animal et humain) (Girard 1972 : 146-56). D’abord a lieu l’excursion de trois soldats dans le «no-man’s land» afin de s’approprier et de tuer des poules pour le festin de Noël, mais cette aventure est doublée d’un autre sacrifice. Frisé, à cause de son séjour à l’hôpital, perçu comme un manque de virilité, doit «redevenir un homme», un «héros» aux yeux de Noiraud. Cette renaissance s’accomplit lorsqu’il «étouff[e une] sentinelle» allemande, et plus tard quand il vole une bouteille de gin des mains de son officier endormi (204, 227).

La fête de Saturne, dieu de la régénération (de l’agriculture et de la fertilité), comportait aussi, en plus d’un sacrifice, le cessez-le-feu du combat, la décoration de sapins, l’échange de cadeaux aux sons de la musique et de chants, et enfin un débordement sexuel. Cette dernière caractéristique, comme toutes les précédentes, se retrouve dans le roman de Richard. Durant une «tournée en ville», on assiste à «une revue du pays» où de belles femmes représentant diverses régions du Canada, paradent en chantant, puis participent à un concours de beauté (215-16). Mais les soldats, fraternisant avec les civils, en profitent surtout pour «fai[re] des enfants aux femmes et aux filles» (214).

Guerre entre hommes et femmes

La dualité antagoniste de la représentation de la guerre et de l’armée se trouve finalement dans l’opposition qui existe entre hommes et femmes. Nous venons tout juste de voir que la femme demeure un objet qu’on regarde de loin ou qu’on peut baiser, souvent en groupe, lors de permissions. Le dessin d’un soldat artiste, montrant «un joyeux Père Noël, apportant dans son sac des petites femmes en tutu» (209), symbolise bien ce statut de jouet-objet réservé à la gent féminine. La seule relation importante du roman entre homme et femme est celle, à distance, que le sergent Martindale entretient par correspondance avec sa femme et sa mère. L’antagonisme entre celles-ci, leurs incessants mensonges et l’infidélité de celle-là, conduiront finalement le sousofficier à se laisser tuer (296) : une tragédie courante, suggère-t-on (138). Pas de douceur, ni de générosité, ni d’amour associés à la femme. Elle est «dure et ignorante» comme la mère de Jean Manier (261-62), fourbe comme les maîtresses françaises des boches dont la foule rase les cheveux (127-31), ingrate et trompeuse comme cette Aurore qui tend un guet-apens à un soldat. Pour Noiraud, le seul substitut affectif valable est sa mitrailleuse, symbole de sa propre virilité agressive, sur laquelle il a griffonné «I love you» (74).

Le dernier chapitre résume d’une façon toute mythique cette perception néfaste qu’on a de la femme en faisant appel à Ève et à la pomme prohibée (Girard 1972 : 55-59, 208-12). La guerre est terminée. La jeune fille se nomme Hilda, une jeune Allemande gardienne (selon l’étymologie du prénom) d’un jardin de fraises «défendues», à qui Noiraud donne un rendez-vous malgré l’interdit (305). Non seulement, cette dernière l’attirera dans un piège, elle aussi, mais, pire, elle provoquera la rupture finale entre les deux protagonistes, Noiraud et Frisé. En effet, celui-là, accusé de viol, crime dont il n’est pas coupable, et de fraternisation avec l’ennemi, ne peut s’empêcher de penser que son camarade l’a dénoncé et peut-être a profité lui-même de la jeune fille. Dans tous les cas, la femme est dangereuse pour l’homme et surtout elle sème la discorde dans le groupe. Pour Noiraud, le véritable héros du roman, la guerre qui permet une union idéale entre les hommes est un éden exclusivement masculin; dans les moments de répit, mais surtout lorsque vient la paix dans le dernier chapitre, l’amitié virile devient suspecte, et la femme, cette intruse qu’il faut «vaincre [… et] dompter» (313), est coupable, en provoquant des rivalités, de l’expulsion du paradis.

Faire la guerre au militarisme

La lutte armée, causée par une crise mimétique de pouvoir entre deux nations, révèle sa propension au dionysiaque de façon exemplaire dans Neuf Jours de haine. Ce roman, écrit au lendemain de la guerre par un participant, baigne à la fois dans la haine, la violence et la destruction de l’autre, mais aussi dans l’amour de son semblable et la joie du partage, les deux faces d’une même problématique, celle de l’homosocialité qu’on retrouve à son plus haut point dans une société masculine. La finale du roman symbolise parfaitement la dynamique ambiguë de celle-ci en présentant une bataille de doubles entre Noiraud et Frisé où la haine et l’amour sont inexorablement liés :

La chambre rétrécit. Les parois se rapprochent. […] À l’intérieur, tout tournoie. C’est le vertige. […] Noiraud a le vertige. […] Noiraud accuse. […] Frisé se froisse. […] Noiraud voit bleu. […] D’abord Frisé, décontenancé par la promptitude de l’attaque, s’est plutôt abandonné à la volupté des coups reçus. […] À son tour, il frappe. […] Noiraud se lasse même de son succès. Il est repu. […] Maintenant, il cède presque. […] La lutte ressemble tellement à l’affection. On s’étreint de la même façon. On se frappe et c’est presque des caresses. (353-56)

Mais, dans la crise mimétique, le point de vue où l’on se trouve, différencie toujours le bon double du méchant (Girard 1972 : 233-39; voir aussi note 2). Dans un roman, le lecteur suit le choix du narrateur et ici c’est Noiraud qui attire la sympathie, parce que, lui, qui refuse de monter dans les rangs, est victime de l’ambition militariste de Frisé, ce dernier sacrifiant son amitié plutôt que risquer de perdre son rang de sergent-major. Il importe de souligner que l’auteur avait déjà différencié sémiologiquement ses deux protagonistes en associant très souvent Noiraud à la virilité par «la pyramide génitrice de [ses] entrejambes» (355, voir aussi 114, 153, 201, 206, 214, 221, 234, 235, 245, 264, etc.) et Frisé à la féminité par «le mystère du charme» de «ses hanches trompeuses comme la sensualité» (206, 349, voir aussi 93, 114, 118, 122, 186, 201, 214, 227, etc.). Une telle distinction sexiste est d’ailleurs courante dans le roman. Par exemple, les vétérans s’accroupissent «les genoux comme des hommes», alors que les renforts inexpérimentés, «les cuisses collées, [sont] soumis, douteux, comme des femmes» (41).

D’une main de maître, l’écrivain ainsi conclut son livre en reprenant toute sa thèse que son héros partage : que la logique militaire reliée au pouvoir et au logos — c’est-à-dire la hiérarchie, les règlements, les stratégies — détruit le soldat qui, lui, est associé à tout ce qui est corporel, instinctif et affectif. Au major, ce «voleur d’héroïsme», et à «Frisé, le vendu, le renégat», il oppose Noiraud («bon soldat […mais] très mauvais militaire», 210) qui, malgré un courage prodigieux, devra croupir en prison sans raison véritable pendant deux ans, figure christique trahi par un ami, «tortur[é]» et «posséd[é]» par la haine qu’il hait tant (360-61). Le rituel initiatique, que les divisions temporelles romanesques du neuf jours et de l’année cyclique suggèrent, est terminé : «Neuf, étant le dernier de la série des chiffres, annonce à la fois une fin et un recommencement», comme le cercle d’ailleurs (Chevalier 663-65).

Paradoxalement, cependant, si la guerre est un rite de passage privilégié qui permet de différencier les vrais hommes, il ne semble pas possible à ceux-ci de vivre hors de lui. Sitôt la crise mimétique résolue, l’ordre social avec ses lois, degrés et différences est rétabli dans la vénération des morts victimisés. En conséquence, l’homosocialité, elle aussi réglementée, perd tout le corporel et l’instinctif que la guerre favorisait, au grand dam du héros richardien. La «vraie discipline», celle que possédait Noiraud, est faite de liberté et se retrouve sous les bombes et dans les tranchées, alors que la «fausse», c’est «l’intransigeance de la milice […] C’est de l’apparat. Des avalanches d’édits, de réformes [qui] passent à travers les rangs venant de la plus haute caste» (316). C’est pourquoi, il ne faut pas s’étonner que dans le dernier chapitre sur l’occupation, lorsque la guerre est terminée, ce militarisme l’emporte et provoque la discorde entre Noiraud et Frisé. Alors l’armée devient «une maladie. Une névrose qui porte à tuer son semblable. Ou à l’annuler si on ne parvient pas à le tuer» (342). La médiation interne où les doubles entrent en conflit pour la possession du pouvoir (mimésis d’appropriation), relation propre à la société individualiste moderne, se substitue ainsi au mimétisme guerrier rassembleur où la violence était dirigée contre l’autre, le différent, l’ennemi (mimésis d’antagonisme). (Tremblay 1991 : 32-33).

Et le Québec dans tout ça?

Si l’institution littéraire du Québec a jusqu’à présent négligé Neuf Jours de haine, c’est peut-être en raison de l’universalisme de l’oeuvre et de ses liens mythiques millénaires que la précédente lecture semble démontrer. Plutôt que de décrire les misères et les souffrances de Canadiens français au front, ce qui aurait permis aux lecteurs du Québec de s’identifier à eux, Jean-Jules Richard s’intéresse d’abord au phénomène guerrier dans sa quotidienneté sans trop insister sur les conflits idéologiques qui en sont responsables sinon pour les dénoncer, ni sans d’ailleurs s’attarder beaucoup sur la vie personnelle des soldats avant la guerre. C’est sans doute pourquoi lors de la sortie du livre, on parlait d’une oeuvre universelle qui saurait atteindre les publics étrangers, enthousiasme qui ne se concrétisa pas (cf. Tranquille). La guerre, telle que présentée, est le phénomène masculin par excellence de tous les lieux et de toutes les époques, et c’est ce qui explique que l’on retrouve intensément dans ce roman les jeux machistes, homosociaux et sexistes d’une communauté où la vie civile ne joue plus qu’une place très marginale. Ainsi femmes, enfants, famille, religion, professions ou métiers, politique et bureaucratie, groupements sociaux et culturels, n’ont aucune raison d’être. Ne reste plus qu’une vérité, qu’une réalité : «Tuer ou l’être» (210, 274) et son corollaire héroïque : «être un homme ou non».

Une deuxième cause qui a peut-être contribué à l’effacement de cette oeuvre importante, c’est qu’elle a été écrite par un autodidacte timide et un anti-intellectuel marginal pour qui les règles d’écriture, comme le cléricalisme et même le nationalisme traditionnel horripilaient. Rien qui puisse attirer la sympathie petite-bourgeoise de l’élite canadienne-française de l’époque. Ainsi, par exemple, le style très lapidaire et saccadé, abondamment imagé, surréaliste même, ressemblait très peu aux productions d’alors. Et que dire du recours aux cinq sens que l’écrivain utilise constamment avec une intensité poétique fascinante, célébrant l’animalité humaine aux dépens de tout ce qui est intellectualisation, celle-ci étant en effet dénigrée sans relâche et associée à la bêtise, à ce qu’il appelle «le mal européen», leitmotiv qu’il relie à tous les fanatismes producteurs de haine et de guerre (cf. 119-20, 220-21). Cette sensualité n’allait-elle pas à l’encontre de l’éducation religieuse reçue où le spirituel l’emportait toujours contre les horreurs de la chair? Religion que l’écrivain n’épargne pas en l’attaquant avec sarcasmes à maints endroits[3].

En fait, bien que Richard dans son microcosme guerrier androcentrique se préoccupe assez peu du Québec, il s’y réfère tout de même à quelques reprises et trois de ses personnages sont des Canadiens français[4]. Il importe donc de s’attarder à la représentation qu’il en fait. Il y a d’abord le capitaine Lernel, personnage secondaire, qui avec son rêve de devenir major et son insistance à suivre les règlements et la discipline, caractérise au plus haut point le militarisme tant détesté par le héros et le narrateur. Cet officier, dont le nom suggère l’intellectualisme (learn) et même la féminité (-el/le), a une «réputation molle» parce que la peur l’avait amené «à prier dans sa tranchée [… alors que l]a divinité n’est sûrement pas sur le champ de bataille. Personne ne l’a jamais sentie là. La divinité a peur de venir se battre avec nous» (165-66). Lernel finira d’ailleurs de façon ignoble : «les tympans défoncés [, il est] momentanément fou […ou] le restera si on ne le sort pas de cet enfer»; on le retrouve «étendu sur le dos, un paquet de médailles religieuses dans une main […] Il sourit et il rit. Quand il n’est pas secoué de frissons qui lui tordent la face» (172-73). Les brancardiers le découvriront deux jours plus tard délirant et secoué de spasmes (190). Si on regrette qu’il n’ait «pu être évacué à temps» (193), par contre on ne dit nulle part qu’il meurt, et Noiraud le place à la fin parmi les vivants dont il se souvient (360). Avec ce personnage, dont la voix de grenouille à maintes fois signalée rappelle sa nationalité (de frog), nous assistons à une accusation de la petite-bourgeoisie cléricale canadienne-française : «C’est un obscurantiste du Québec qui prétend couper les ailes de Noiraud», dira de lui le caporal Kouska (74). Son idéologie, suggère-t-on, est teintée d’ignorance et de folie.

L’on peut dire, d’une certaine façon, que Jean Manier, personnage plus important que Lernel, prend la relève du capitaine, puisque ce simple soldat apparaît après la disparition de l’autre. Lorsque Frisé devient caporal, c’est lui qui va prendre sa place auprès de Noiraud, devenant son ombre, son double, son ami. Ce «provincial québécois» (230), qui s’est enrôlé afin d’obtenir l’argent nécessaire pour épouser sa blonde représente, au contraire de Lernel, le peuple miséreux, mais comme Lernel il a été soumis au nationalisme clérical. Orphelin démuni comme le Tit-Coq de Gélinas et comme le sera Joseph Latour dans Un simple soldat de Dubé, il réussit à surmonter sa condition d’infériorisé grâce à l’influence de ses camarades de combat. Il ressent de «l’hostilité envers ses souvenirs de jeunesse» (cf. 261-62), mais auprès de ces soldats la «sourde révolte dont il a toujours eu honte se transforme en consolation» (230). Son nom suggère qu’il peut être manié, qu’il n’est pas rigide comme Lernel: lorsqu’on lui conseille d’apprendre l’anglais «contre le gré des obscurantistes» de sa province, il va «s’y donn[er] comme un bambin qui commence à parler». Il refuse même de rejoindre un régiment de langue française parce qu’il «en avait assez de leçons et de sermons». Dans son nouvel entourage «cosmopolite» venant des diverses provinces canadiennes, «la vie lui apparaissait sans ses menottes et ses brides». (232) Ce soldat «dévoué, solide et prudent» «s’assimile» à Noiraud, et ce dernier à lui : Jean «tempère la témérité» de son ami (233). Bientôt, Manier comprend l’anglais (devenant ainsi “a man”, un homme) et, écoutant les autres, «il doute de la politique de sa province. Il en doute de plus en plus» (271). Au cours d’une manoeuvre, il est blessé au dos (295, 305) et il doit être évacué, en même temps que le sera le troisième Québécois du roman, Robert Nanger. Plus tard, Noiraud se rappellera les «rangs de cadavres [qui] se pressent derrière lui. […] Puis les vivants, Manier, les reins épais. Un “Y” dans le dos, creusé par deux balles. Manier qui a fait le “Y” à Robert Nanger au moment où Nanger se le faisait à luimême» (359). Précisons que dans le carnet de Nanger, qui est le commis de la compagnie «C», les Y représentaient les blessés et les X ceux qui ont été «tués à l’action» (190, 214).

Ce dernier personnage, à cause de son rôle d’administrateur, est le Canadien français le plus important du roman : «Le commis est un homme puissant dans la compagnie. Il est comme le lien entre les hommes et les gradés de l’administration» (232). Noiraud considère Nanger comme «l’âme de la compagnie» (359) à cause de sa fonction intermédiaire entre les officiers et les soldats et aussi parce qu’il s’occupe du courrier, autre charge médiatrice. C’est lui qui est responsable dans son carnet non seulement de l’identité de chacun, mais aussi de ce qui différencie les vivants, des morts et des blessés. Son nom qui rappelle le terme ange a sûrement été choisi à cause de ces devoirs : un ange n’est-il pas un messager, un intermédiaire entre Dieu et les humains? Cet «étudiant du Québec[, à] la poursuite d’un idéal bridé par les dictateurs de la pensée» (36), va cependant s’émanciper grâce à Kouska, un mécanicien d’automobiles de Vancouver, qui souvent pérore de politique. Ce dernier prêche contre «le régionalisme. Le régionalisme est une infection. Le pays est indivisible malgré des frontières pouvant paraître naturelles entre certaines provinces. Si le pays se donne au régionalisme, il est perdu. Le Canada aura le mal d’Europe, insinue Kouska» (220). Le seul remède à l’ambition impérialiste de tous ces peuples qui se dupent, ajoute-t-il en pensant au Canada, est un «gouvernement central». Il en convainc Robert Nanger qui proclame :

— D’abord, moi, je ne suis pas canadien-français. Mes ancêtres sont au pays depuis plus de trois cents ans. Nous n’avons jamais eu de relation avec eux. Je suis plus canadien que vous tous. Et je suis canadien tout court. (221)

Robert Nanger, en qualité de premier citoyen, propose un toast avec grande solennité au pays de l’avenir. — Au Canada, mon pays. Il fait bon d’habiter tes larges espaces. Nous espérons faire un jour partie du monde. Aujourd’hui, nous ne sommes qu’un réseau de l’empire britannique, mais plus tard, nous deviendrons, non pas un peuple, nous ne serons plus canadiens, ni sujets britanniques, mais humains, tout simplement humains, si comme cela doivent s’appeler les habitants du monde. Aujourd’hui nous avons comme symbole la feuille d’érable.[…] nous espérons un jour avoir comme symbole la mappemonde.[…] Le futur a des ailes de saphir. De l’Atlantique au Pacifique, plus d’abîme. Des Laurentides aux Rocheuses, seulement des prairies fertiles. Du pain pour tout le monde, de l’amour et du bonheur. (223)

Peut-on reconnaître dans cette déclaration qui fait rire tout le monde, la position de l’auteur? Peut-être! sachant que celui-ci fut toujours un idéaliste de gauche, un rêveur de pacifisme et d’internationalisme (cf. l’angélisme de N-Ange-r). Chose certaine, en plus de l’opinion de Robert Nanger, il nous faut aussi considérer celle de Jean Manier, l’autre personnage québécois sympathique, les deux seuls d’ailleurs qui dans le roman conservent leur nom entier. Peut-être est-il révélateur que ce dernier présente certaines caractéristiques de Jean-Jules Richard, dont celle de retourner au front après avoir été blessé (230). Il porte aussi le même prénom : Jean. Enfin, Henri Tranquille, dans une de ses lettres à Richard, l’appelle «Cher solide Manier» (106). L’écrivain serait ainsi un mélange de Robert et de Jean, amalgame donc d’idéalisme et de doute. Il est aussi, je crois, significatif que Nangier soit bilingue et que Manier veuille le devenir. L’auteur n’est-il pas de la même génération que Trudeau, Pelletier et Marchand, qui dans leur opposition à la noirceur duplessiste et cléricale voulaient, selon eux, ouvrir le Québec au Canada (!) avec leur rêve biculturel? Il faut souligner la soif de liberté et de justice de Richard (vs le duplessisme) ainsi que sa prédilection pour l’instinctif contre tout essentialisme et rationalisme (vs l’ultramontanisme) que l’on retrouve dans ses oeuvres, lesquels devaient l’inciter à favoriser le fédéralisme et l’athéisme, deux idéologies incompatibles avec le nationalisme clérical de son époque.

Faut-il voir dans le traître Frisé et dans son frère Paul qui meurt et est accusé de désertion, un désaveu de l’assimilation puisque les deux ne parlent plus qu’anglais bien que leur mère soit canadienne-française? N’estil pas curieux que Neuf Jours de haine qui est écrit en français et qui se veut «cosmopolite» en mettant en scène des gens qui viennent de partout au Canada se passe entièrement en anglais? (232) Le fait que ce roman ne fut jamais traduit en cette langue met quelque frein à l’idéalisme anti-régionaliste qu’il professe. Finalement, ne doit-on pas tenir compte de Noiraud, le véritable héros, celui qui représente la virilité instinctive et libre par excellence? C’est un albertain de parents ukrainiens, qui en plus de n’être qu’anglophone, sera emprisonné pendant deux ans. Que restera-t-il de lui dans son «vertige» de haine lorsqu’il sera remis en liberté? (361) Je doute qu’il sorte révolutionnaire de ce rite de passage inique, car il ne semble ni brillant ni éduqué. Il sera plutôt un criminel ou une loque humaine. Chose sûre, la castration subie lui aura démontré la caducité du système social et il ne pourra survivre qu’à l’extérieur du dogmatisme, devenant peut-être un genre de hobo, comme le fut son auteur. Jean-Jules Richard avec sa vision mondialisante, son antimilitarisme et son anticonformisme exacerbés devançait d’une génération la vague contre-culturelle qui déferlera sur l’Amérique dans les années 1960. Richard publiera d’ailleurs en 1965 Journal d’un hobo, roman qui célèbre merveilleusement bien cette époque de la beat generation.[5]