Comptes rendus

Donald Stewart, L’histoire de Morin-Heights et des villages voisins, Québec, Septentrion, 2021, 522 p.[Record]

  • Michel Filion

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Une bonne partie du livre est consacrée à une mise en contexte historique globale, presque à la manière d’un manuel scolaire, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours en insérant le sujet dans le cadre plus vaste de l’histoire du Canada. La démarche est pertinente puisque l’évolution de ce vaste univers n’est pas sans effet sur l’histoire locale. Car l’ouvrage retrace une double mouvance convergente : celle d’une communauté majoritairement anglophone en provenance d’Argenteuil, d’une part, et celle d’une collectivité majoritairement francophone originaire de la région de Terrebonne, d’autre part. En regroupant une population pionnière essentiellement agricole dont les individus, peu importe leur origine, auraient été également confrontés aux défis de la frontière, le village se serait constitué en un lieu de cohabitation pacifique et constructive. Il s’agit de la thèse principale de l’ouvrage : Morin-Heights serait depuis toujours une collectivité dynamique où règne un « heureux mélange des deux cultures » (p. 26) dans une « parfaite harmonie » (p. 495). Mais la démonstration d’un tel état de fait n’est pas complète. Car il appert que la francisation de Morin-Heights est un phénomène plutôt récent, puisque lié au tourisme et à la suburbanisation des Basses-Laurentides. Sans le dire aussi clairement, l’ouvrage révèle que ce milieu fut longtemps à très nette dominante anglophone, comme en témoigne le nombre élevé d’églises et d’écoles anglo-protestantes, sans oublier le peu de connaissances de la culture francophone québécoise, l’existence d’une loge orangiste semblable à « un club social sans signification religieuse spécifique » (p. 254) et encore bien d’autres éléments du genre. Il s’y serait développé une « double identité » (p. 27), mais cette assertion n’est soutenue que par de très rares témoignages personnels et par l’observation qu’il « n’existe pas de preuves étayant l’existence d’un conflit entre les gens du peuple » (p. 170). Cela est plutôt faible sur le plan méthodologique, d’autant que l’ouvrage n’abonde pas en références à des sources primaires. Le lecteur comprend que Morin-Heights est une collectivité plus anglophone que bilingue bien avant que l’ouvrage ne l’affirme sans ambages à la page 436. S’agit-il donc vraiment d’« un microcosme de ce qu’un pays bilingue pourrait être : ni typiquement québécois ni tout à fait comme le reste du Canada » (quatrième de couverture) et qui aurait traversé sans encombre les insurrections de 1837-1838, la crise de la conscription, le mouvement souverainiste québécois et bien d’autres événements ayant en d’autres lieux divisé la population? Outre cette interprétation dont on pourrait longtemps débattre, l’ouvrage pèche par quelques lacunes dont la responsabilité appartient probablement à la maison d’édition, qui semble avoir fait l’économie d’une lecture finale attentive. Il contient ainsi son lot d’imprécisions et de coquilles, par exemple, celle qui consiste à transformer le prénom du premier ministre francophone du Canada, Sir Wilfrid Laurier, en « Wilfred ». Enfin, une omission de taille : ce vaste panorama souffre de n’offrir aucune véritable carte permettant de situer dans l’espace les nombreux lieux cités, y compris le village de Morin-Heights. Cela dit, l’ouvrage est très instructif et riche par la somme de détails qu’il comporte, sur les plans factuel et anecdotique, car il permet de comprendre ce « ghetto anglophone » (p. 493) qui n’est pas sans rappeler plusieurs autres enclaves anglophones qu’on trouve notamment dans les régions des Cantons de l’Est et de l’Outaouais et dont l’histoire est comparable. Le développement économique, et l’effet marquant du développement des transports, notamment celui du chemin de fer, sont bien cernés et très révélateurs de l’évolution de Morin-Heights et de ses environs. Ce livre saura certainement renseigner sur le peuplement des Basses-Laurentides et pourra susciter l’intérêt …