Notes critiques autour de la Révolution tranquille

Sur la représentation de la Révolution tranquille comme un « bloc »Martin Pâquet et Stéphane Savard, Brève histoire de la Révolution tranquille, Les Éditions du Boréal, 2021, 280 p.[Record]

  • Dominique Morin

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Pâquet et Savard nous invitent dans cet ouvrage à penser la Révolution tranquille comme un bloc composite, dont la matière serait « l’action des hommes et des femmes ayant vécu ensemble dans une situation donnée, le Québec entre 1959 et 1983 » (Pâquet et Savard, 2021, p. 257). Cette idée est empruntée à Clémenceau, parlant de la Révolution française à l’Assemblée nationale française en 1891 et déclarant qu’elle « est un bloc, un bloc dont on ne peut rien distraire, parce que la vérité historique ne le permet pas » (cité dans Pâquet et Savard, 2021, p. 257). Au-delà d’une définition de la Révolution tranquille par une telle matière et par l’indivisibilité d’un bloc (idée qui apparaît nécessaire à leur soin de la vérité historique), les auteurs de la Brève histoire de la Révolution tranquille jugent aussi que leur objet d’histoire présente une forme qu’on peut caractériser par ces cinq propositions : Les auteurs déclarent ne vouloir « ni juger, ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre » (Pâquet et Savard, 2021, p. 258). Je peux en dire à peu près autant de l’esprit dans lequel j’ai développé ce commentaire, en m’efforçant de comprendre leur représentation de la Révolution tranquille comme un bloc. Cet effort a commencé dès ma première lecture de l’introduction, et je voyais alors mal si l’objet de leur ouvrage était la Révolution tranquille identifiée à un consensus, ou la période allant de 1959 à 1983, ou les deux confondus. D’autres perspectives d’analystes et de témoins de la Révolution tranquille, que je trouve au moins aussi éclairantes que la leur, m’ont habitué à penser la Révolution tranquille comme processus et le Québec comme situation d’action collective de différentes manières, toutes incompatibles avec les cinq propositions énumérées plus haut. Je consacre la première partie de mon commentaire à rappeler quelques apports de ces autres perspectives, qu’il faudrait exclure de la discussion si nous devions nous en tenir au respect des propositions a, b, et c distinguées plus haut. Ce que j’en retiens met en question la véracité des représentations d’un consensus sur l’orientation des développements de l’État provincial dans les années 1960, et en particulier d’une représentation qui réduirait le processus de la Révolution tranquille à de l’action dans une logique progressiste, ainsi que de l’idée qu’elle s’amorcerait dans ce qui serait la situation du Québec pour ses acteurs. Dans la première moitié des années 1960, les définitions de la situation dans laquelle s’organise l’action au Québec sont encore assez inégalement alignées sur la chose nommée « le Québec », que des protagonistes de la démocratie québécoise amènent à faire l’objet et le lieu privilégié du débat sur la situation et sur l’avenir. Puis, au fil de mes relectures de la Brève histoire de la Révolution tranquille, ayant l’impression de mieux cerner dans le récit le bloc que Pâquet et Savard ont voulu nous rendre représentable, j’en suis venu à penser que les cinq propositions énoncées plus haut étreignent mal ce bloc. Leur récit situe et relate surtout l’histoire des luttes d’un « bloc » d’acteurs qui expriment la représentation d’un consensus autour de la logique progressiste (proposition d), que Pâquet et Savard disent friable et cassant, et même déjà fissuré avant la mi-temps de leur période (au coeur du deuxième temps de la proposition e). La composition de ce bloc d’acteurs se renouvelle au fil du récit, qui devient finalement celui d’une lutte où sont évoquées « les réalisations de cette période […] qui traduisent la victoire d’une conception singulière du vivre-ensemble en Amérique du Nord » et des ruptures …

Appendices