Comptes rendus

Ce que la musique fait à l’hypnose. Une relation spectaculaire au xixe siècle, par Céline Frigau Manning Dijon, Les presses du réel, 2021, 384 pages[Record]

  • Aurore Flamion

Structuré en quatre chapitres, l’ouvrage plonge le lecteur dans autant d’univers : « Soulager, anesthésier, transcender la douleur » (chap. i) met en évidence le rôle thérapeutique que l’on prête à l’hypnose lorsqu’on la convoque, souvent en dernier recours, afin de rétablir l’équilibre dans le corps malade. L’hypnose renouvelle le topos du pharmakon : une exposition prolongée à certains répertoires (ou une exposition à certaines musiques, tout court) est susceptible de produire l’effet inverse de celui escompté, et de redoubler les maux dont souffre le·la patient·e. Ce chapitre est également l’occasion de montrer le déplacement que connaît la question de l’extase – constituant alors un tableau éminemment sensuel – dès lors qu’elle est également envisagée à l’aune de l’hypnose. Le chapitre suivant, « Altération, raison et réalité chez les Aïssaoua » (chap. ii) s’intéresse quant à lui à cette confrérie musulmane dont un certain type de rituel exerce chez les Européen·ne·s du xixe siècle une fascination mêlée d’effroi : absorbés par les rythmes des percussions, les parfums et les chants, les Aïssaoua effectuent des gestes relevant pour leurs spectateur·rice·s occidentaux·ales de la torture volontaire. La question de la contagion émotionnelle – qui doit également, comme le rappelle l’autrice, être lue à l’aune de l’idéologie colonialiste, et qui suscite par ailleurs plusieurs tentatives d’élucidation théorique à la même époque – est alors au coeur des réflexions suscitées par ce spectacle : les Européen·ne·s peuvent-il·elle·s eux·elles aussi basculer dans cet état inhumain ? Frigau Manning montre comment le désir de « démêler le vrai du faux » anime alors nombre d’hommes ; et le·la lecteur·rice est tout autant emporté·e par le suspense des expériences menées par ces enquêteurs et par la diversité des récits explicatifs proposés, qu’ils l’étaient eux-mêmes. Le troisième chapitre, intitulé « Scènes cliniques. Pathologies musicales et sexualité féminine » est l’occasion d’une galerie de portraits féminins ayant tous pour point commun de présenter une « sensibilité nerveuse particulière qui les expose aux effets de l’hypnose autant que de la musique » (p. 176). Si, comme le rappelle l’autrice, la question de l’hystérie au xixe siècle a déjà été abondamment traitée par la littérature scientifique, elle n’avait pas nécessairement fait l’objet d’une étude associant les pathologies concernées et les répertoires mobilisés aux côtés de l’hypnose pour y répondre. Les récits présentés voisinent bien souvent avec le registre fantastique des Contes d’Hoffmann ; manipulées comme des instruments, les femmes hypnotisées font l’objet d’une certaine prédation de la part des hypnotiseurs qui peuvent dès lors verser dans un usage punitif de l’hypnose. Le dernier chapitre de l’ouvrage (« L’art de l’hypnose musicale », chap. iv) est quant à lui l’occasion de rappeler l’omniprésence de la dimension spectaculaire de l’hypnose, qui entend avant tout convaincre et impressionner. Deux femmes, Lina de Ferkel et Magdeleine G., font séparément l’objet d’expériences répétées, menées pour l’une par le colonel Albert de Rochas d’Aiglun, passionné par les phénomènes paranormaux, et pour l’autre par Émile Magnin, docteur en médecine. Tenter de cerner ce qui agit dans l’hypnose musicale est une idée récurrente dans nombre d’écrits analysés par Frigau Manning. Si la question du répertoire joué occupe, pour nous, une place cruciale, il ne faut pas considérer qu’il en aille automatiquement de même au xixe siècle. L’ouvrage, ainsi, circule entre des récits convoquant avant tout la musique sous une forme générique ne retenant ni les noms des oeuvres jouées ni leurs compositeur·rice·s. C’est dans cet esprit d’une « forme d’art jugée transcendante » (p. 16) qu’il s’agit, et qui se décline en pièces musicales avant tout désignées par leur profil rythmique particulier ou …

Appendices