Les plateformes de travail numériques. Polygraphie d’un nouveau modèle organisationnel. (sous la dir. de Mircea Vultur). Québec : Presses de l’Université Laval, coll. Sociologie contemporaine, 2023, 340p.[Record]

  • Fabien Brugière

…more information

  • Fabien Brugière
    Maître de conférences en sociologie (Associate Professor), Université de Strasbourg, Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (UMR7363)

Cet ouvrage collectif, dirigé par Mircea Vultur, tient lieu d’actes d’un colloque international sur les plateformes numériques de travail, organisé à Québec les 28 et 29 avril 2022 par l’Institut national de la recherche scientifique, l’Association internationale des sociologues de langue française et le Groupe de recherche et d’intervention sur le rapport au travail et ses transformations subjectives et sociales de l’Université Laval. Prenant acte de l’essor que ces entreprises ont connu lors des quinze dernières années, dont le modèle organisationnel se fonde sur l’intermédiation dématérialisée du travail sous des modalités variées – allant du crowdsourcing de microtâches à la prestation de services au niveau local, l’ouvrage tente d’établir un bilan de cette évolution productive par la mise en regard de diverses études de cas. Pour ce faire, il se structure autour de trois parties thématiques. La première partie interroge le sens à attribuer au phénomène de plateformisation – innovation « disruptive » ou transformation incrémentale – et ses effets sur les marchés et les institutions du travail. À travers une approche d’économie évolutionniste, Valenduc et Vendramin (chapitre 1) le resituent au coeur d’un processus de transition numérique entre deux paradigmes technico-économiques, entamé au tournant du siècle et arrivant désormais à maturité, ce qui légitime à présent l’intervention régulatrice de l’État. Dujarier (chapitre 2) relativise également, mais avec un regard de sociologue du travail, le caractère disruptif de l’économie des plateformes, qu’elle définit comme des places de marché dans la continuité des processus de tertiarisation et de dualisation du marché du travail favorisés par des politiques néolibérales, mais qui ne représente pas un modèle homogène et rentable en mesure de se substituer au salariat et aux intermédiaires commerciaux. Devant le contournement et l’affaiblissement des institutions du travail – en l’occurrence le système wagnérien nord-américain – par les plateformes, Bernier et Garneau (chapitre 3) explorent, à travers l’examen de la loi ontarienne de 2022 et des régimes particuliers au Québec, des pistes de régulation permettant d’étendre les droits et protections des travailleurs au-delà du cadre salarial. Busso, Fernandez Massi et Longo (chapitre 4), par la comparaison d’activités de livraison et de design graphique dans un pays du Sud, l’Argentine, mettent en évidence la reproduction d’inégalités structurelles sur le marché du travail par la plateformisation qui offre ainsi des perspectives de carrière et d’autonomie aux travailleurs plus qualifiés à la faveur d’une ouverture internationale, mais seulement une activité transitoire et risquée, bien que formalisée aux moins qualifiés. La seconde partie resserre le propos pour analyser les variations de développement des plateformes selon les contextes nationaux en se focalisant sur le cas de l’emblématique Uber. Dans un premier temps, Hashemi, Motaghi, Ntakirutimana et Tremblay (chapitre 5) établissent une cartographie des divers segments de l’« écosystème montréalais des mobilités numériques » (autopartage, « covoiturage » et vélopartage) accompagnée des prises de position par les diverses parties prenantes (plateformes, autorités publiques, associations) face à ses évolutions. Par la suite, Jamil (chapitre 6) et Enel (chapitre 7) livrent une analyse fine des logiques de mobilisation, sinon de production de consentement au travail générées par la gestion algorithmique chez les chauffeurs Uber québécois. À l’aide d’un cadre d’analyse goffmanien, Jamil détaille la manière dont le système d’évaluation par le client parvient à prescrire dans le cadre des interactions de la relation de service, des normes de présentation de soi à des travailleurs – le plus souvent immigrés – en quête de reconnaissance professionnelle et sociale. Enel montre de son côté comment l’emploi indépendant, le système d’incitations sélectives et la digitalisation produisent de l’isolement et de l’individualisme au travail, qui constituent en retour des obstacles à l’émergence de …