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Introduction

Communiquer dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle peut être particulièrement difficile pour une personne lorsqu’elle doit s’exprimer au sujet de ses difficultés de santé. Plus particulièrement, des problèmes de santé mentale, d’ouïe ou de démence peuvent complexifier davantage la compréhension et l’expression des personnes qui utilisent des services dans une deuxième langue (Madoc-Jones, 2004; Société santé en français, 2012). L’accès à des services de santé en français est donc, et ce, à juste titre, une priorité exprimée par le gouvernement fédéral (Gouvernement du Canada, 2013). Par ailleurs, une personne vulnérable peut se sentir intimidée si elle doit revendiquer le respect de ses droits linguistiques (Drolet, et collab., 2017), surtout lorsqu’elle sait que les ressources sont déjà limitées (Bouchard, Beaulieu et Desmeules, 2012; Consortium pour la promotion des communautés en santé, 2011). Après plusieurs décennies sans services de santé en français, il peut même se créer chez les personnes en situation linguistique minoritaire une conviction qu’il est impossible d’en recevoir (Société santé en français, 2007). Le concept de l’offre active devient donc un enjeu central afin d’assurer l’accessibilité à des services en français. Selon Bouchard, Beaulieu et Desmeules, « l’offre active peut être considérée comme une invitation, verbale ou écrite, à s’exprimer dans la langue officielle de son choix. L’offre de parler dans sa langue officielle doit précéder la demande de services » (Bouchard, Beaulieu et Desmeules, 2012, p. 46). Cette offre de services en français peut se réaliser dans des organismes bilingues ou des organismes dédiés spécifiquement à la clientèle francophone ou, encore, par des actions prises pour afficher et augmenter la disponibilité de services en français dans les établissements majoritairement anglophones.

Le manque de professionnelles et professionnels de la santé et des services sociaux pouvant s’exprimer en français dans plusieurs communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) est donc un défi à relever afin d’améliorer l’offre de services en français dans ces communautés (Beaulieu, 2010; Savard, et collab., 2017). Toutefois, même le personnel francophone ou bilingue qui pratique dans ces communautés est souvent peu outillé pour reconnaître les enjeux liés à l’offre de services en français et pour poser des gestes concrets afin d’améliorer la situation (Bouchard, Vézina et Savoie, 2010). Dans plusieurs cas, même lorsqu’embauché en raison de son bilinguisme, ce personnel reçoit peu de soutien de la part de l’employeur afin d’offrir des services en français (Savard, et collab., 2017). Il rencontre des obstacles à l’offre active de services en français comme celui de maintenir sa compétence linguistique en français lorsque la langue de travail est l’anglais, ce qui peut mener à une insécurité linguistique. À cet obstacle s’ajoutent : le fait de devoir composer avec une clientèle diversifiée sur les plans de la langue et de la culture; le peu d’outils d’évaluation, de traitement et d’information/éducation disponibles en français ou le peu de connaissances des ressources existantes. De plus, les ressources existantes ne sont pas toujours adaptées aux besoins spécifiques des CFSM. Ainsi, les intervenantes et intervenants pouvant s’exprimer en français doivent souvent adapter certaines de leurs ressources (Bouchard, Vézina et Savoie, 2010). Elles ou ils sont aussi souvent sollicités par leurs collègues, entre autres, pour effectuer de la traduction ou agir en tant qu’interprètes, ce qui peut mener à une surcharge de travail (Bouchard et Vézina, 2009; Drolet, et collab., 2014). Enfin, certains membres du personnel francophone ou bilingue ont de la difficulté à affronter des jugements négatifs de leurs collègues lorsqu’ils s’expriment en français. Ainsi, certaines personnes choisissent de ne pas afficher leur connaissance de la langue française (Bouchard, Vézina et Savoie, 2010; Bouchard et Vézina, 2009). Savard, et collab. (2013) proposent que la capacité des services sociosanitaires à répondre adéquatement aux besoins des francophones en situation minoritaire repose en partie sur la possibilité de développer un réseau par des liens étroits et personnalisés entre les principaux fournisseurs de services en français. Ainsi, nous retenons que, pour développer ses compétences à oeuvrer auprès des CFSM, il faut améliorer : sa sécurité envers sa compétence linguistique en contexte de soins de santé, ses connaissances de la diversité des CFSM et des ressources existantes en français, sa capacité de réseauter avec d’autres professionnelles et professionnels et organismes francophones en contexte minoritaire, ainsi que sa capacité d’échanger et de se ressourcer pour éviter l’épuisement.

Les étudiantes et étudiants qui choisissent de se diriger vers une carrière en santé tiennent compte de plusieurs éléments lorsque vient le temps de choisir un programme d’études (proximité du domicile, lieu d’étude ou de travail pour soi et pour la ou le partenaire, conditions d’admission des divers programmes, possibilité d’aide financière offerte par les diverses universités). Ainsi, les étudiantes et étudiants francophones ou francophiles qui sont bilingues ne choisissent pas nécessairement de poursuivre leurs études en français. De ce fait, au cours de leurs études, il est possible qu’ils acquièrent peu de connaissances du vocabulaire français dans leur domaine professionnel et des ressources existantes en français, puisqu’ils ont peu d’occasions de réseauter avec d’autres professionnelles et professionnels et organismes francophones en contexte minoritaire. De plus, de leur côté, les programmes anglophones de formation en santé ont une faible connaissance des ressources francophones en santé existant dans leur province. De même, les petits organismes francophones de services communautaires en santé n’ont pas toujours nécessairement la connaissance du fonctionnement des programmes universitaires en santé, des possibilités de stages et des exigences de ceux-ci.

Entre 2014 et 2017, grâce à un financement obtenu de Santé Canada dans le cadre du Programme de contribution pour les langues officielles en santé, un projet a été mis en place pour offrir des stages en français à des étudiantes et étudiants parlant français inscrits à des programmes de formation en santé dans des universités anglophones au Canada. Cet article présente d’abord le déroulement du projet, puis il décrit les résultats de l’évaluation de programme qui a été réalisée et les activités de diffusion des connaissances entreprises à la fin du projet afin de proposer, au sein des milieux de soins qui offrent des services en français dans les CFSM, des outils pour les aider à créer des stages cliniques à l’intention des étudiantes et étudiants francophones ou bilingues. Nous espérons que ces outils pourront aider à créer des ponts entre les deux groupes de partenaires que sont les milieux cliniques des CFSM et les universités anglophones, afin de faciliter la mise en oeuvre de stratégies pour offrir dans les CFSM des stages en français dans des milieux qui n’en offraient pas auparavant.

Description du projet de stages

Le projet visait à faciliter l’intégration, dans les CFSM, de professionnelles et professionnels de la santé qui parlent français mais étudient leur profession en anglais, en les préparant mieux à offrir des services de santé en français dans ces communautés. À cette fin, nous avons élaboré et mis en oeuvre un modèle de formation clinique en milieu francophone ciblant les besoins spécifiques des personnes qui étudient leur future profession en anglais. Ainsi, les stages offerts devaient permettre aux étudiantes et étudiants d’atteindre les objectifs suivants :

  • diminuer le sentiment d’insécurité linguistique en ayant une occasion d’apprendre et de pratiquer le vocabulaire professionnel en français au cours d’un stage;

  • augmenter leurs connaissances quant aux ressources existantes en français et faciliter l’adaptation de ces ressources dans une CFSM;

  • amorcer la création d’un réseau de contacts professionnels francophones oeuvrant en CFSM, réseau auquel ils pourront se référer une fois sur le marché du travail, à la fois comme soutien professionnel (échange sur les ressources relatives à leur offre de soins) et comme soutien personnel (partage sur les difficultés rencontrées, soutien entre pairs).

Le projet s’est déroulé à la Clinique interprofessionnelle de réadaptation de l’Université d’Ottawa, une clinique mise en place pour augmenter l’offre de stages pour les étudiantes et étudiants du domaine de la santé de l’Université d’Ottawa. Tout en offrant des soins de santé à la population francophone en situation minoritaire d’Ottawa, en complémentarité des services de santé déjà existants, cette clinique crée un milieu de formation dans lequel toutes les actions sont orientées de façon à créer des occasions d’apprentissage et afin de développer à la fois des compétences dans le domaine d’études et des compétences nécessaires à la collaboration interprofessionnelle. Si le nombre de professions représentées au sein de la clinique a varié au cours des ans en raison de contraintes budgétaires, au moment de l’étude, il subsistait quatre professions : l’audiologie, l’ergothérapie, l’orthophonie et la physiothérapie. De plus, le nombre d’employées ou employés professionnels en poste ne permettait de répondre qu’aux besoins de formation clinique des étudiantes et étudiants de l’Université d’Ottawa. La subvention reçue a permis l’ajout de personnel de façon à ce que des stagiaires d’autres universités puissent profiter de ce milieu de formation. Les membres du personnel professionnel de la clinique, toutes des femmes au moment de l’étude, sont appelées éducatrices-cliniciennes. Elles ont la double responsabilité d’agir comme superviseure de stage auprès des étudiantes et étudiants et d’assurer la qualité des services offerts à la population qui fréquente la clinique. Durant chaque période de stage, chaque éducatrice-clinicienne supervise habituellement deux étudiantes ou étudiants provenant du même programme d’études.

Le projet s’est déroulé en trois phases : la première visait à préciser les besoins et à opérationnaliser les offres de stages; la seconde, à offrir les stages et à recueillir des données auprès des participantes et participants; la troisième, à évaluer le projet et à produire du matériel de transfert de connaissances.

Phase 1 : Préciser les besoins et opérationnaliser les offres de stages en français

En octobre et novembre 2014, les quarante-deux directrices ou directeurs et responsables de la formation clinique en réadaptation de neuf universités canadiennes ont été contactés afin de leur présenter le projet et de prendre connaissance des périodes auxquelles leurs étudiantes et étudiants ont à faire des stages. Un calendrier des besoins de stages de chaque université a été produit. Une étude des ressources humaines disponibles pour la supervision des stages (ajout au personnel déjà en place à la Clinique) a été réalisée. Les offres de stages ont été faites après conciliation des calendriers de stages des diverses universités avec les dates où des ressources de supervision étaient disponibles. Des offres de stages ont été diffusées aux programmes offerts en anglais à l’exception de l’Université McGill au Québec, soit cinq universités offrant le programme d’orthophonie, neuf universités offrant le programme de physiothérapie, huit universités offrant le programme d’ergothérapie et trois universités offrant le programme d’audiologie.

Les critères d’admissibilité des participantes et participants ont été définis. Nous avons opté pour accepter les étudiantes et étudiants qui pouvaient soutenir une conversation en français, sans nécessairement posséder une connaissance du vocabulaire en français dans leur domaine d’études. Des questionnaires de dépistage des connaissances du français permettaient aux responsables de la formation clinique d’identifier les étudiantes et étudiants bilingues et francophiles au sein de leur programme de formation. Une entrevue téléphonique avec la coordonnatrice du projet confirmait la capacité des aspirantes et aspirants stagiaires à soutenir une conversation en français.

La collaboration entre la coordonnatrice du projet (SBG) et les responsables de la formation clinique des universités était essentielle pour l’organisation des stages. Ces partenaires universitaires pouvaient :

  1. identifier les candidates et candidats potentiels;

  2. partager les offres de stages avec leurs étudiantes et étudiants;

  3. faciliter les échanges entre la coordonnatrice du projet et les étudiantes et étudiants sélectionnés;

  4. s’assurer de conclure une entente de stage (document définissant les obligations légales de chaque partenaire) qui répond à la fois aux exigences de l’Université d’Ottawa et à celles de leur université;

  5. puisque les stages se déroulaient à l’Université d’Ottawa, vérifier que les exigences de l’Université d’Ottawa relatives à l’immunisation, aux vérifications du casier judiciaire et aux formations en santé et sécurité au travail sont complètes pour chaque stagiaire provenant de son université d’attache.

Phase 2 : Réaliser les stages et recueillir des données auprès des participantes et participants

Pendant cette phase, la Clinique interprofessionnelle de réadaptation a accueilli dix-huit stagiaires provenant de douze programmes de formation différents, offerts dans huit universités anglophones. Ces stagiaires étaient supervisés par une éducatrice-clinicienne de leur profession et devaient développer les habiletés cliniques de leur profession, comme c’est le cas dans les stages de leur formation, en plus d’acquérir certaines connaissances pratiques au sujet du travail auprès d’une CFSM.

L’introduction au stage comportait une courte formation sur les défis de l’offre de services en français et le concept de l’offre active. Des outils (applications, sites Internet, dictionnaires médicaux en français, Antidote, etc.) ont également été partagés avec les stagiaires. Les stages étaient d’une durée de quatre à douze semaines, selon les besoins de la ou du stagiaire et les politiques de stage de son université. Les stagiaires qui acceptaient de participer à l’évaluation de programme remplissaient les questionnaires d’évaluation pendant cette période.

Phase 3 : Évaluer le projet et produire du matériel de transfert de connaissances

Cette étape d’évaluation du projet est davantage décrite dans la suite du présent article. Les objectifs de l’évaluation étaient les suivants :

  1. évaluer le modèle de formation clinique et le bonifier en fonction des résultats de l’évaluation;

  2. diffuser ce modèle afin d’offrir, aux milieux de soins qui offrent des services en français dans les CFSM, des outils pour les aider à créer des stages cliniques à l’intention des étudiantes et étudiants francophones ou bilingues.

Méthodologie

Cette étude se situe dans une perspective d’évaluation de programme de type qualitative. Elle présente les rétroactions de plusieurs parties prenantes dont :

  1. les rétroactions des stagiaires quant à leur expérience en général pendant le stage et aux compétences que le stage leur a permis de développer;

  2. les rétroactions des responsables de la formation clinique quant aux éléments qui ont facilité les stages et aux difficultés dans la mise en place de ces stages, ainsi qu’à leur utilité;

  3. les rétroactions des éducatrices-cliniciennes quant aux éléments qui ont facilité les stages et aux difficultés dans la mise en place de ces stages;

  4. les rétroactions de partenaires de milieux francophones sur les outils de transfert de connaissances élaborés à la fin du projet.

Dans la présente section, nous décrivons les participantes et participants et les méthodes de collecte de données pour l’obtention de chacune de ces rétroactions, de même que les modes d’analyse des données.

Expérience des stagiaires

Participantes et participants

Les participantes et participants à l’évaluation étaient constitués de seize stagiaires qui ont été accueillis dans le cadre du projet entre 2015 et 2017 et qui ont accepté de fournir des données d’évaluation.

Collecte de données

La collecte de données a été réalisée par la coordonnatrice du projet au moyen des éléments suivants :

  1. Questionnaire de données démographiques;

  2. Questionnaire pré-stage (connaissance de l’offre active et des CFSM);

  3. Questionnaire de réflexion personnelle sur l’apprentissage;

  4. Questionnaire sur l’évaluation de la situation d’apprentissage interprofessionnelle;

  5. Questionnaire de fin de stage (connaissance de l’offre active et des CFSM);

  6. Entrevue de fin de stage dans le but de voir si les stagiaires sentaient qu’ils avaient atteint leurs objectifs et de discuter de leur expérience.

Le questionnaire de données démographiques et celui de connaissance de l’offre active et des CFSM ont été développés spécifiquement pour ce projet. Le questionnaire de réflexion personnelle sur l’apprentissage (Guitard, et collab., 2010), auquel nous avons ajouté deux questions sur les apprentissages réalisés quant aux besoins des CFSM et aux ressources permettant de répondre à ces besoins, a été utilisé pour obtenir de la rétroaction des stagiaires de la Clinique interprofessionnelle de réadaptation. De façon similaire, le questionnaire sur l’évaluation de la situation d’apprentissage interprofessionnelle est inspiré de celui développé par l’équipe de Casimiro et collab. (2009) et par MacDonald et collab. (2010). Un guide d’entrevue a été élaboré par notre équipe pour les entrevues post-stage. Ces entrevues, d’une durée d’environ trente à quarante-cinq minutes, étaient enregistrées sur bande sonore et transcrites de façon intégrale. Certaines entrevues pouvaient osciller entre le français et l’anglais, selon le confort des stagiaires.

Des entrevues post-stage (environ un an après le stage), d’une durée d’environ vingt à trente minutes par téléphone, étaient aussi prévues dans le but de documenter si les stagiaires se sentaient encore confiants d’offrir des services en français, soit lors de leurs prochains stages, soit dans leur milieu de travail s’ils avaient déjà obtenu un emploi. Étant donné le faible taux de participation à ces entrevues, elles ne sont pas considérées dans les résultats : certains stagiaires ne voulaient pas être recontactés après le stage, et d’autres n’ont pas pu être joints, soit parce qu’ils avaient décidé de voyager après leurs études, soit parce qu’ils avaient déménagé et, enfin, pour quelques-uns, la période d’un an post-stage ne s’était pas encore écoulée.

Analyse des données 

Les données des entrevues et des questionnaires de réflexion ont été analysées de manière qualitative. Une analyse de contenu a été réalisée avec l’aide du logiciel NVIVO10. Une première codification a été réalisée par une associée de recherche à partir de 50 % des transcriptions; cette codification a été révisée et validée par les chercheures principales du projet. La codification du reste des données a été faite selon la liste de thèmes identifiés par l’équipe, tout en laissant place à l’émergence de nouveaux thèmes. L’analyse des données a fait ressortir six thèmes sur lesquels les étudiantes et étudiants ont partagé leur expérience. L’analyse des questionnaires de connaissances et des questionnaires de satisfaction des stagiaires a été faite de manière quantitative (moyennes et fréquences) dans un fichier Excel.

Rétroactions des responsables de la formation clinique

Au total, douze responsables de la formation clinique provenant de huit universités ont fourni de la rétroaction sur le projet. Ces partenaires universitaires recevaient par courriel un questionnaire de rétroaction après chaque stage pour qu’ils fassent connaître : les raisons les ayant encouragés à collaborer au projet, leur expérience dans l’organisation du stage et leurs commentaires sur les points facilitants et les aspects à améliorer. L’analyse de ces questionnaires a aussi été faite de manière quantitative (moyennes et fréquences) dans un fichier Excel.

Rétroactions des éducatrices-cliniciennes

Les sept éducatrices-cliniciennes qui ont supervisé les stagiaires de ce projet ainsi que la directrice adjointe de la clinique ont fourni une rétroaction continue sur le déroulement du projet en maintenant une communication constante et ouverte avec les chercheures tout au long du projet. Cette rétroaction a permis des ajustements en cours de projet afin de faciliter le processus de réalisation des stages.

Outils de transfert de connaissances

Deux guides visant à présenter les éléments à considérer pour offrir des stages en français dans les CFSM ont été créés à partir des résultats obtenus aux étapes précédentes. Les versions préliminaires des deux guides ont été soumises à l’évaluation des partenaires externes en vue de l’obtention de rétroactions sur leur utilité et leur clarté. Les commentaires recueillis ont été intégrés à la version finale des guides. Ces partenaires comprenaient deux personnes des organismes de planification de services en français dans le sud de l’Ontario, deux coordonnatrices de formation clinique, une gestionnaire du Consortium national de formation en santé volet Université d’Ottawa et une gestionnaire de l’Hôpital Montfort.

Résultats

Dans cette section, nous décrivons d’abord les expériences des stagiaires, puis nous présentons les rétroactions obtenues auprès des responsables de la formation clinique ainsi que des éducatrices-cliniciennes qui ont supervisé les stagiaires. Enfin, nous décrivons les outils de transfert de connaissances qui ont été produits à la fin du projet.

Expérience des stagiaires

En ce qui concerne l’expérience des stagiaires, les résultats des questionnaires pré-stage et post-stage sur les connaissances de l’offre active et des CFSM ont montré une amélioration des connaissances sur les services de santé en français entre le début du stage et la fin du stage. Une amélioration est surtout apparente par rapport à la connaissance des ressources et des outils en français. Les résultats du questionnaire d’évaluation de la situation d’apprentissage interprofessionnelle, qui portait principalement sur la satisfaction des stagiaires, montrent que la majorité des stagiaires étaient très satisfaits de leur expérience de stage (moyenne de 6,6 sur 7). La capacité d’accueil des installations physiques du milieu de stage a représenté un défi à certains moments puisque le nombre de stagiaires de l’Université d’Ottawa et des autres universités était plus élevé qu’à l’habitude. Certains stagiaires ont rapporté un manque de stations de travail pour écrire des rapports et faire leurs projets.

Les données qualitatives appuient ces résultats. Nous les présentons selon les six thèmes ressortis de l’analyse : le bagage de connaissances et d’expériences antérieur à ce stage, les défis rencontrés, les prises de conscience qu’ils ont faites durant leur stage, les stratégies qu’ils ont développées en cours de stage et l’importance d’un milieu de confiance, menant à un intérêt accru à travailler en français et à pouvoir offrir des services en français.

Bagage de connaissances et d’expériences

Les étudiantes et étudiants arrivaient en stage avec des vécus linguistiques variés : certains avaient le français comme première langue, mais faisaient leurs études en anglais et n’avaient pas parlé français depuis un certain temps. D’autres étaient des étudiantes et étudiants anglophones qui comprenaient et parlaient le français. Tous les stagiaires avaient un certain niveau d’insécurité linguistique, certains plus que d’autres, soit en matière de communication générale et surtout en ce qui concerne la terminologie spécifique à leur domaine professionnel en français. Une stagiaire s’est exprimée ainsi :

« J’ai jamais pratiqué en français, alors je [ne] savais même pas qu’un fauteuil roulant, qu’un wheelchair était un fauteuil roulant, alors j’ai tellement appris pendant les huit semaines. »

SCP02

Les stagiaires avaient aussi des connaissances professionnelles antérieures. Par exemple, ils connaissaient le principe de l’empathie envers les personnes et reconnaissaient l’importance de l’approche centrée sur la personne dans l’offre de services. Certains avaient déjà fait des stages et avaient déjà fait l’expérience de l’offre de services, sans toutefois connaître les enjeux des barrières linguistiques. Les stagiaires avaient cependant peu de connaissances des outils d’évaluation en français. La plupart n’étaient pas au courant qu’il existait des outils traduits et validés en français. D’autres n’étaient pas conscients du manque d’outils en français et du fait que, parfois, il fallait faire des traductions maison d’outils ou de ressources, augmentant ainsi la charge de travail. Deux stagiaires ont fait les remarques suivantes :

« J’pense que c’était vraiment les évaluations françaises, je n’savais pas vraiment qu’ils existaient avant. Alors, quand je travaille avec des personnes francophones, c’est quelque chose que je vais essayer d’utiliser. Premièrement, c’est important d’évaluer dans une langue qu’ils comprennent. Pour que les résultats [soient] justes. »

SCP02

« C’est bon à savoir qu’il y a des outils comme des évaluations et des interventions qui sont aussi offerts en français, mais j’ai aussi su qu’il en reste aussi beaucoup qui n’ont pas déjà été traduits. Alors, je dirais que ce serait comme 50-50. Les évaluations et les interventions que j’ai utilisées pendant ce stage, il y en avait qui étaient déjà développées en français, mais les autres, j’avais besoin de faire la traduction pour que je puisse les expliquer aux «clients» avec lesquels on travaillait […] Il y avait une couple de recherches que j’avais faites pour des articles. Je faisais des recherches [pour savoir] si les versions française et anglaise ont les mêmes résultats pour certaines évaluations, alors j’ai appris des choses à propos de ça. »

SCP10

Les stagiaires ont montré beaucoup de courage à vouloir faire un stage dans une langue qui n’était pas la leur ou qui n’était pas celle de leurs études et ont fait preuve d’une grande curiosité envers l’offre de services en français pour mieux servir les membres des communautés de langues officielles en situation minoritaire du Canada.

Défis rencontrés

Plusieurs stagiaires rencontraient des défis de communication en français, tant sur le plan de l’écriture (rédaction de rapports, prise de notes, préparation d’interventions) que sur le plan de l’expression orale (trouver le bon vocabulaire et la bonne terminologie du domaine, présenter le cas d’une personne qui utilise leurs services durant une réunion d’équipe) et le plan de la lecture (comprendre un dossier, un article, les descriptions d’un outil d’évaluation en français). Une stagiaire a dit :

« La communication écrite et verbale en français représentait un plus grand défi que [celui auquel] je m’attendais, surtout pour exprimer les termes spécifiques à la profession. »

SCP14

Des stagiaires prenaient plus de temps pour se préparer et pour rédiger les rapports et les notes d’évolution, en raison de la langue. Certains d’entre eux trouvaient que c’était un double défi de travailler à la fois sur la langue ainsi que sur les compétences professionnelles de leur domaine.

« C’était certainement difficile au début parce que… Tu n’es pas habitué de le parler. Je pense que c’est plus une chose de confiance et d’être inconfortable parce que tu sais que tu as un accent et tu sais que tu vas dire les mauvaises choses et que tu vas paraître comme si tu ne sais pas comment parler français, mais… C’est définitivement un défi au début et, ensuite, il y a un défi de plus d’apprendre la profession, essentiellement. Comment faire des entrevues avec les «clients» et comment administrer des évaluations et avoir les deux. Ces deux choses en même temps étaient définitivement un défi. Mais je pense que c’était un défi important parce que c’est comme ça que tu grandis et que tu apprends comment faire ces choses. Donc, c’était une occasion d’apprentissage double. »

SCP07, notre traduction

Plusieurs stagiaires ont mentionné que leur expérience de stage en français leur a permis de développer leur confiance à s’exprimer et à travailler en français et qu’ils ont pu relever le défi. Deux stagiaires ont expliqué l’évolution de leur apprentissage comme suit :

« Pour la revue littéraire, tous les articles étaient en anglais, donc ça m’a vraiment forcée à être capable de traduire ce que je lisais en français. Au début, c’était vraiment mot pour mot, phrase pour phrase, mais, au fur et à mesure que j’étais plus confortable, j’étais capable de lire une page et de juste donner l’idée-clé dans mes propres mots en français. Dans mes rapports et mes notes d’évolution, j’ai vu aussi un gros changement. Je n’utilise plus Google Translate. Je suis capable de formuler mes idées en français et je ne fais plus mes notes en anglais. Je les fais toutes du début à la fin en français, et ça va beaucoup plus vite. Ça prend moins de temps. Quand je discute les cas avec l’équipe, je suis vraiment confortable d’entrer dans la discussion si j’ai une idée et de vraiment dire mon opinion en français. Ma confiance en moi est beaucoup plus élevée qu’elle l’était avant. »

SCP12

« Je mentirais si je dirais que c’était vraiment facile, parce que c’était pas. Parce que j’ai besoin de penser dans une autre langue, et essayer de communiquer dans une autre langue, ce qui n’est pas vraiment simple à faire. Alors, c’est vraiment dur. C’est comme épuisant, mais c’est quelque chose que j’ai fait juste pour huit semaines, mais c’est quelque chose qui m’a appris comment pratiquer dans un milieu français, et je sais que je serais capable de le faire dans le futur. Alors, c’est ce que j’apprécie le plus, je dirais. Comme quand je suis venue ici, j’étais un peu, j’étais tellement nerveuse d’écrire en français, de pratiquer en français, comme vous l’savez, et maintenant je l’ai fait et comme c’était, c’est faisable! »

SCP02

En dépit des défis de communication qu’ils rencontraient au début de leur stage, la plupart des stagiaires ont noté une amélioration de leur compétence en français et, à la fin du stage, ils montraient une fierté et un sentiment d’accomplissement.

Prise de conscience

L’expérience de stage en français a permis aux stagiaires de faire des prises de conscience par rapport à eux-mêmes, aux personnes qui utilisent les services et à leur relation thérapeutique. Plusieurs stagiaires (surtout les anglophones bilingues) ont souligné qu’ils trouvaient difficile de s’exprimer en français pendant leur offre de services et ont pris conscience de la grande difficulté que les personnes utilisant les services pouvaient éprouver à s’exprimer sur leurs maux dans une autre langue. D’autres stagiaires (surtout les francophones bilingues) se sont questionnés sur leurs propres comportements en tant que personnes pouvant potentiellement utiliser des services, à savoir s’ils demanderaient des services en français lorsque possible. Une stagiaire a fait la remarque suivante :

« C’était intéressant parce qu’on parlait beaucoup avant pour les personnes qui ne peuvent pas parler l’anglais très bien, et c’est frustrant pour eux, mais, pour moi, c’est comme l’envers. J’pensais que ça, c’était intéressant aussi, mais je pense que, comme thérapeute, c’est différent parce que ce n’est pas, on n’est pas au même niveau de stress qu’un client aurait. Alors, j’étais déjà frustrée, mais, je peux imaginer, les « clients » devraient être plus frustrés quand ils ne peuvent pas parler le, la langue. »

SCP03

Ces stagiaires ont ainsi pris conscience de l’importance de l’offre active. Ils ont noté qu’il leur revient, en tant que professionnelles et professionnels, d’offrir le service dans les deux langues officielles afin que la personne puisse choisir la langue qu’elle préfère. Les stagiaires se sont aussi rendu compte que la relation entre le professionnel ou la professionnelle et la personne qui utilise les services est meilleure lorsque la langue parlée est celle choisie par la personne et qu’ainsi, elle se sent plus à l’aise et communique davantage avec le professionnel ou la professionnelle. Deux stagiaires ont fait les observations suivantes :

« C’est juste que c’est plus facile pour moi de faire des changements que pour une personne avec des troubles de la communication de faire des changements, alors c’est vraiment […] la charge est à moi de faire ces changements pour que ce soit plus facile pour eux. Maintenant, je ne devrais pas m’attendre à ce qu’ils fassent ces changements parce qu’ils ne viennent pas de la même place que moi. »

SCP04, notre traduction

« Alors, je trouve que qu’est-ce qu’on fait, c’est normalement, habituellement […] la charge est sur le client de demander pour les services en français, mais je pense que… J’ai pensé beaucoup que c’est plus notre responsabilité comme professionnels, comme centre de services, d’offrir les services en français, comme enlever la responsabilité de demander et de la mettre plus du côté du professionnel. »

SCP06

Avant ce stage, les étudiantes et étudiants n’avaient peut-être pas constaté à quel point la langue et la communication sont des facteurs importants pour la qualité des soins et la sécurité des personnes qui utilisent des services, particulièrement en contexte linguistique minoritaire. Ces étudiantes et étudiants ont été interpellés par le rôle crucial qu’elles et ils ont à jouer en tant que professionnelles et professionnels de la santé pour assurer l’offre active de services dans les deux langues officielles.

Stratégies

Au cours de leur stage, certains stagiaires ont développé trois types de stratégies pour gérer leur travail auprès de la clientèle francophone. Ces stratégies concernent la communication, les ressources et la construction d’un réseau professionnel.

Les stratégies de communication sont de deux types. Premièrement, il semblait plus facile de s’exprimer dans un langage commun, au lieu d’employer une terminologie professionnelle complexe, ce qui était un avantage pour les personnes qui utilisent les services, comme l’a expliqué cette stagiaire :

« J’pensais plutôt de comme vulgariser aux «patients». J’trouve que c’est quelque chose que j’ai de la difficulté à faire en anglais parce que j’utilise tous les termes anglais de [domaine], mais, en français, j’trouvais ça assez facile parce que je les connais pas [rires]. Alors, c’est juste comme j’ai parlé dans une manière que, eux, ils comprenaient, qui était vraiment simple. Qui était comme, alors c’est comme un win-win pour tout l’monde parce que, eux, ils ont compris puis, moi, je n’ai pas vraiment utilisé le jargon [du domaine]; alors, c’était vraiment des simples mots qu’ils pouvaient comprendre. »

SCP02

Deuxièmement, les stagiaires ont eu recours à l’équipe de travail (éducatrices-cliniciennes, autres stagiaires) ou à la personne qui utilise les services pour obtenir un mot en français, comme l’a exprimé cette stagiaire :

« Quand j’explique au «client», j’utilise des mots simples, et le «client» comprend ça. Mais, des fois, je ne peux pas trouver le mot simple en français et je dois utiliser le mot en anglais. Mais les « clients » bilingues comprenaient les mots simples en anglais. Par exemple, si j’oubliais le mot genou et que je disais knee, ils comprenaient. Mais j’évite le jargon. »

SCP14

Les stagiaires se sont également entraidés en partageant leurs ressources. Par exemple, certains stagiaires ont travaillé à créer des lexiques de vocabulaire ou des trousses de matériel en français. Ils ont également appris à faire des adaptations afin d’obtenir et d’offrir du matériel en français, soit des traductions ou encore la création de leur propre matériel, etc. Une stagiaire a parlé d’un document qu’elle a créé avec une autre étudiante :

« Je me suis aussi créé un Google Document avec l’autre étudiante. Il est quand même assez gros. On a fait un sommaire de tout ce qu’on a appris, toutes les évaluations et tout ce qui s’appliquait dans notre domaine […] Je l’avais initié, parce que c’est tellement occupé d’une journée à l’autre que c’est mieux à la fin de la journée de tout mettre sur papier, comme ça je n’oublie rien et je ne vais pas faire répéter ma superviseure plusieurs fois. En parlant avec l’autre étudiante, [j’ai appris que c’était] quelque chose qu’elle aussi faisait, donc on l’a amalgamé ensemble sur les Google Docs, et ça a créé un document vraiment complet. »

SCP12

Les stagiaires ont également eu l’occasion de commencer à développer un réseau professionnel francophone avec les éducatrices-cliniciennes et les autres stagiaires dans leur milieu. Ce réseau pourra leur être utile lorsqu’ils seront sur le marché du travail; ils pourront communiquer avec ces personnes pour obtenir des informations sur les services en français, sur des ressources ou des outils en français, etc.

« Ce stage m’a certainement permis de développer un réseau professionnel francophone. J’étais capable de rencontrer et de former des relations avec beaucoup de cliniciennes dans les différentes professions ainsi que les stagiaires qui deviendront les cliniciennes dans le futur. Ça serait très utile dans le futur parce que j’ai beaucoup de références et ressources pour les services en français que je puisse recommander à mes «clients» et que je puisse demander pour l’aide si j’en avais besoin. »

SCP03

La plupart des stagiaires, avec l’appui du milieu et des éducatrices-cliniciennes, ont bien su se débrouiller pour développer des stratégies pouvant faciliter leur offre de services en français. Le partage de ressources en français et la création d’un réseau professionnel francophone sont des acquis qu’ils pourront maintenir après leur entrée sur le marché du travail.

Milieu de confiance

Le climat de confiance établi dans le milieu de stage a été un des aspects-clés rendant l’expérience de stage positive, malgré tous les défis mentionnés. Les stagiaires avaient du temps pour préparer leurs interventions et rédiger leurs rapports. Ils ne se sont jamais sentis jugés ou mal à l’aise, même si leur niveau de français n’était pas optimal. Les éducatrices-cliniciennes et toute l’équipe interprofessionnelle leur donnaient beaucoup d’appui, en leur fournissant des ressources et en les aidant à trouver les bons mots. De leur côté, les personnes qui utilisent les services étaient aussi très compréhensives, ne jugeaient pas les stagiaires sur leur niveau de français et aimaient pouvoir les aider dans leur apprentissage. Aussi, les stagiaires ont constaté les bienfaits du travail d’équipe, particulièrement quant aux échanges interprofessionnels. Ils ont également trouvé bénéfique d’avoir une séance d’orientation avant de commencer le stage, incluant une présentation sur les particularités des CFSM et l’offre active. Deux stagiaires ont noté à quel point elles se sont senties appuyées durant leur stage.

« C’était vraiment le fait que tout le monde ici était au courant que le français n’était pas ma première langue, et ils me donnaient le temps de m’expliquer. Ils n’essayaient pas de me donner les mots. Si je disais un mot qui n’était pas nécessairement le bon, mais que ça suffisait, ils comprenaient. J’ai senti qu’ils comprenaient, qu’ils respectaient mon choix de mots. Ils m’aidaient aussi à raffiner mon choix de mots. Ils ont vraiment bien compris ce que je voulais dire et ils pouvaient m’aider à trouver de meilleurs mots, mais, en même temps, je ne me sentais jamais jugée parce que mon vocabulaire n’était pas aussi étendu que le vôtre. »

SCP11

« On n’était pas vraiment plongées dans l’environnement comme tel. Quand on commençait, on avait beaucoup de temps pour se préparer pour chaque «client». [La superviseure] était là comme ressource. Elle était vraiment disponible pour nous, elle nous supportait au besoin, alors ce n’était pas comme… On était arrivées, puis les formations qu’on a reçues nous ont orientées vers la clinique et comment ça fonctionne ici. Alors, ce n’est pas comme si on était venues le lundi à 8 h le matin : «Ah, tu as cinq «clients» aujourd’hui, voilà les dossiers.» C’était vraiment un beau travail d’équipe pour être accueillies, et juste le montant de soutien qu’on a reçu pendant le stage. Et là, quand [la superviseure] a vu qu’on n’a pas besoin de tout ce soutien, elle a retiré un petit peu, puis on était capables d’aller voir comment compétentes on était. Mais ce n’était pas juste de retirer tout à la fois. »

SCP04

L’appui du milieu de stage est un élément important à considérer lorsqu’on accueille des stagiaires, particulièrement lorsqu’ils pratiquent l’offre de services dans une deuxième langue. Le choix d’une superviseure attentionnée, patiente et dévouée envers la langue française est essentiel afin de favoriser l’expérience et l’apprentissage des stagiaires.

Intérêt à travailler en français

Grâce à leur expérience de stage, plusieurs stagiaires ont développé un intérêt à travailler en français. En effet, ils se sentaient plus à l’aise de travailler auprès de la clientèle francophone et de s’affirmer en tant que professionnelles et professionnels bilingues. Deux stagiaires l’ont expliqué ainsi :

« En fin de compte, j’aimerais poursuivre ma carrière en français. J’ai vraiment aimé l’expérience. Pour l’aspect culturel, pour moi, aussi, ma langue maternelle est le français, même si ça fait douze ans que j’ai perdu mon français parce que j’ai poursuivi toutes mes études et ma carrière en anglais. Je n’ai pas pratiqué ma langue, ça fait douze ans. Pour moi, de la retrouver, j’ai vraiment fait une connexion et je me suis dit que je voulais retourner à ma langue maternelle. »

SCP12

« Oui, c’est pourquoi je voulais faire ce stage parce que [avant] je n’aurais pas été capable de le faire parce que je ne me sentais pas assez à l’aise, surtout en ce qui concerne [le domaine], être capable d’offrir ces services. Donc, définitivement, après avoir complété le stage, je sens que je serais capable de le faire et que je serais à l’aise de dire, tu sais, à mon employeur, mon futur employeur, que je peux offrir ces services [en français]. »

SCP09, notre traduction

En conclusion, les stagiaires qui ont participé au projet pilote ont indiqué qu’à la fin de leur expérience de stage en français, ils étaient plus confiants d’offrir des services en français et de s’afficher comme professionnelles et professionnels pouvant offrir des services dans les deux langues officielles.

Rétroactions des responsables de la formation clinique

Tous les responsables de la formation clinique des établissements d’enseignement qui ont participé au projet ont indiqué être satisfaits de l’expérience. Certains ont mentionné des défis concernant le processus d’entente ou ont fait part des difficultés concernant l’utilisation de la langue française de leurs étudiantes ou étudiants, mais la majorité a dit que les étudiantes et étudiants ont apprécié leur stage. Plusieurs responsables de stages sont conscients du besoin d’un personnel professionnel bilingue dans leur région, surtout ceux du Manitoba et des provinces de l’Atlantique, mais ils rencontrent souvent le défi de trouver des possibilités de stage en français, ou encore ils ne connaissent pas les compétences en français de leurs étudiantes et étudiants. Ce projet les a donc aidés à identifier les étudiantes et étudiants de leur établissement pouvant s’exprimer en français, et ils ont beaucoup apprécié la possibilité de leur offrir un stage en français.

L’une des responsables a noté la difficulté que peuvent rencontrer les étudiantes et étudiants de programmes anglophones à oeuvrer en français et a donc constaté l’importance de leur permettre de pratiquer leur domaine en français lors d’un stage :

« Notre étudiant était très intéressé par la possibilité de compléter un stage en français. J’ai trouvé parfois que les étudiants ont du mal à passer des apprentissages académiques anglais à la pratique en français. Ce stage a offert à notre étudiant l’occasion de faire cette transition dans un environnement propice. Nous avons une population francophone [dans ma province] et nous avons besoin d’ergothérapeutes qui peuvent pratiquer en français. »

RFC01, notre traduction

Une autre responsable a apprécié l’ouverture du milieu de stage en ce qui concerne le niveau de compétence en français des stagiaires.

« Surtout [dans ma province], il faut des ergos bilingues. Les stages en français existants ont lieu dans des pratiques très françaises. Nous avons testé certains étudiants intéressés et, même s’ils ont obtenu leur diplôme de programmes d’immersion en français, ils n’ont pas été jugés suffisamment francophones pour accepter ces stages. Par conséquent, ils sont limités dans l’expansion de leurs compétences en français, et à obtenir un vocabulaire d’ergothérapie en français. Ces stages à Ottawa ont été annoncés comme étant plus ouverts aux étudiants qui voulaient améliorer ces compétences. »

RFC02, notre traduction

Étant donné les retombées positives de ce projet pour leurs étudiantes et étudiants, plusieurs responsables de la formation clinique ont communiqué leur intérêt à continuer cette initiative d’offre de stages en français dans le but d’accroître le nombre de professionnelles et professionnels bilingues dans leur province.

Rétroactions des éducatrices-cliniciennes

Les éducatrices-cliniciennes ont beaucoup apprécié ce projet qui leur a permis de superviser des stagiaires motivés à relever le double défi d’améliorer leurs compétences disciplinaires et leur capacité de travailler en français. Accompagner les stagiaires dans ces démarches a été une expérience très valorisante. Elles ont aussi apprécié l’apport d’échanges disciplinaires avec des stagiaires formés à l’aide d’approches pédagogiques variées. Les forces de certains programmes d’études pouvaient compléter celles d’autres programmes d’études et leur donner des idées d’activités pédagogiques à mettre en place auprès de futurs stagiaires. Elles ont noté que les personnes qui utilisent les services ont apprécié leur participation à cette expérience d’apprentissage des stagiaires. Lorsque les stagiaires s’exprimaient avec hésitation, elles les aidaient à trouver le bon mot en français plutôt que de passer à l’anglais comme cela se fait souvent en milieu minoritaire. Les éducatrices-cliniciennes ont aussi mentionné que les stagiaires du projet s’exprimaient plus souvent en français avec les autres stagiaires, alors que ce n’était pas exigé, par exemple lors des temps de pause.

Elles aussi ont relevé certains défis. Le premier est de soutenir les étudiantes et étudiants dans la rédaction de leurs notes et rapports en français. Lorsque l’équipe a été informée de ce défi, une courte vérification des connaissances du français écrit a été ajoutée au questionnaire de dépistage des étudiantes et étudiants aptes à participer au projet, et l’utilisation d’outils d’aide à la rédaction a été ajoutée à l’orientation des stagiaires.

Un autre défi était lié à l’évaluation de l’acquisition des compétences disciplinaires. Les éducatrices-cliniciennes devaient remplir ces évaluations en anglais afin d’être comprises par les responsables de la formation clinique, alors qu’elles privilégiaient donner la rétroaction en français à leur stagiaire afin d’augmenter leur exposition à cette langue. Cela leur demandait de faire de la traduction, ce qui augmentait un peu leur charge de travail. Elles devaient aussi s’adapter aux méthodes d’évaluation, qui variaient d’une université à l’autre. Pour minimiser ce défi et, lorsque possible, les deux stagiaires supervisés à la même période et par la même éducatrice-clinicienne étaient sélectionnés au sein du même programme d’études.

Outils de transfert de connaissances

Deux guides visant à présenter les éléments à considérer pour offrir des stages en français dans les CFSM ont été créés à partir des résultats obtenus aux étapes précédentes. L’un est destiné aux milieux de soins et services ainsi qu’aux réseaux de services en français des provinces et territoires canadiens, et l’autre s’adresse aux responsables de la formation clinique des établissements d’enseignement postsecondaire. Ils intègrent les leçons apprises du projet à une perspective plus large d’offre de stages en français. En effet, le projet a été réalisé dans le domaine de la réadaptation, auprès de stagiaires provenant d’universités anglophones. Cependant, plusieurs des éléments retenus de cette expérience peuvent aussi s’appliquer à des étudiantes et étudiants poursuivant leur formation dans un programme offert en français et effectuant un stage dans un milieu clinique où le français est minoritaire. De plus, plusieurs éléments peuvent être transposés à d’autres professions de la santé et des services sociaux, incluant certaines formations offertes au niveau collégial.

Le guide pour les milieux de soins et services propose sept étapes à considérer dans la planification d’un stage en français dans une CFSM :

  1. formuler la demande de stage;

  2. établir une entente de stage;

  3. procéder à la sélection du stagiaire;

  4. préparer du matériel à l’appui pour le stagiaire;

  5. accueillir le stagiaire dans votre organisation;

  6. appuyer le travail en français tout au cours du stage;

  7. obtenir de la rétroaction sur le stage.

Quant au guide pour les coordonnatrices et coordonnateurs de la formation clinique des établissements d’enseignement, il propose une démarche en quatre étapes à considérer afin de procéder à la sélection d’une étudiante ou d’un étudiant qui pourrait bénéficier d’un stage en français :

  1. prendre connaissance des organisations qui offrent des services en français dans votre région;

  2. connaître, parmi vos étudiantes et étudiants, ceux qui pourraient offrir des services en français;

  3. sélectionner un stagiaire ou offrir le stage à un autre établissement d’enseignement;

  4. établir une entente de stage.

Les deux guides sont disponibles en français et en anglais sur le site Web du Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et en service social en contexte francophone minoritaire[1].

Discussion

Ce projet pilote, qui a été réalisé à la même époque que le projet Franco Doc (Association des facultés de médecine du Canada, s.d.), compte parmi les premières initiatives ayant pour but de joindre les étudiantes et étudiants qui peuvent s’exprimer en français, mais qui étudient dans des programmes de formation offerts en anglais. Le projet leur offrait de compléter un stage en français auprès d’une communauté francophone en situation minoritaire. Les stagiaires ont certes rencontré des défis au cours de leur stage, particulièrement en ce qui concerne la langue et la terminologie en français, mais, en dépit de ces défis, ils disent avoir apprécié leur expérience et développé leur intérêt et leur confiance à offrir des services en français.

Le projet pilote a également permis de souligner certaines conditions facilitant l’offre de stages en français dans les CFSM. Ainsi, les stagiaires doivent d’abord se sentir en confiance : ils ne craignent pas de parler dans leur deuxième langue, parce que le milieu appuie leurs efforts et encourage leurs apprentissages et que les superviseures prennent le rôle de mentor. Du matériel d’appui mis à leur disposition, que ce soit des ressources ou des gabarits pour l’écriture de rapports ou la préparation d’interventions, ou des outils d’évaluation en français, soutient le travail des stagiaires. Étant donné que les stagiaires sont dans une situation d’apprentissage, autant de la langue que du domaine professionnel, il est important de leur allouer un temps de travail et de préparation adéquat, de favoriser les occasions de travail interprofessionnel ou interorganisationnel en français, et de fournir des occasions de prendre connaissance des ressources en français et de créer des réseaux professionnels francophones ou bilingues. Ces conditions, décrites plus en détail dans le premier guide produit par le projet Accueillir un stagiaire qui peut servir la clientèle francophone en milieu francophone minoritaire (Savard, Benoît, Breau-Godwin et Dubouloz, 2017b), favoriseront l’expérience du stagiaire et faciliteront son offre active de services en français.

Ce projet a accueilli des étudiantes et étudiants qui ont fait un stage volontairement et étaient motivés à améliorer leur capacité à travailler en français. Il a eu lieu au sein d’une clinique universitaire fonctionnant majoritairement en français, bien que située dans une ville où le français est minoritaire. Dans ce milieu, les personnes qui utilisent les services s’attendent à la présence de stagiaires lors de leurs rencontres d’intervention et elles sont généralement heureuses de pouvoir contribuer à l’atteinte de leurs objectifs de formation. De plus, tout le climat au sein de la clinique portait les étudiantes et étudiants à s’exprimer en français. Nous sommes conscientes que les résultats auraient pu être différents dans un milieu qui n’aurait pas présenté ces conditions favorables.

Ce projet a atteint des résultats très positifs, mais nous avons toutefois rencontré certains défis au cours du processus de recherche et nous avons retenu quelques leçons. D’abord, dans la première phase du projet, il a été difficile de déterminer le nombre exact d’étudiantes et étudiants parlant français. Les responsables de la formation clinique des universités n’ont habituellement pas d’information au sujet des compétences linguistiques de leurs étudiantes et étudiants, à moins que ceux-ci ne s’identifient comme étant bilingues ou qu’ils fassent part de leur intérêt à faire un stage en français. Les questionnaires de dépistage des connaissances du français qui ont été remis aux responsables de stages ont été très utiles pour les aider à repérer les étudiantes et étudiants bilingues et francophiles. Nous avons donc partagé cette ressource dans nos deux guides (pour les milieux et pour les responsables de la formation clinique).

Il y a eu une demande de stages supérieure à ce que le projet permettait. Au moins neuf étudiantes et étudiants ayant démontré un intérêt pour les stages offerts durant le projet ont dû être refusés. Soit que, pour une période donnée, le nombre de stagiaires intéressés dépassait le nombre de stagiaires que le milieu pouvait recevoir, soit que des étudiantes et étudiants souhaitaient faire un stage à des dates pour lesquelles il a été impossible de trouver une superviseure exerçant dans le domaine d’études de l’étudiante ou de l’étudiant. En multipliant les milieux qui participeraient à une initiative similaire, on augmenterait la possibilité de trouver des ressources de supervision à des périodes variées.

Certains stages sont assignés longtemps d’avance, surtout en orthophonie. Il est donc important de diffuser les offres et de confirmer les stages tôt dans ce domaine. Cela pose un défi lorsqu’il faut recruter du personnel de supervision à l’avance. Il peut survenir des événements affectant la situation de ce personnel (maternité, maladie, offre d’emploi permanent ailleurs, etc.), ce qui limite sa disponibilité à participer à notre projet. Tant de notre côté que de celui des responsables de la formation clinique des universités partenaires, il a fallu accepter de vivre avec une certaine part d’incertitude et avoir un plan B, au cas où un stage planifié ne pourrait se réaliser.

La capacité d’accueil des installations physiques du milieu de stage a également été un défi à certains moments puisque le nombre de stagiaires de l’Université d’Ottawa et des autres universités était plus élevé. La créativité a permis de diminuer l’impact de ce défi : des comptes Wi-Fi additionnels ont été obtenus auprès du service d’informatique de l’Université d’Ottawa pour que les stagiaires puissent travailler sur leurs rapports et projets en utilisant leurs ordinateurs personnels. Idéalement, dans un autre projet similaire, il faudrait faire en sorte que la capacité d’accueil des installations physiques du milieu de stage soit adaptée au nombre de stagiaires présents. Par contre, étant donné la réalité de plusieurs milieux de soins, cette exigence limiterait l’offre de stages. Il faut donc prévoir des solutions créatives, comme celle que nous avons trouvée dans ce projet, mais les envisager plus à l’avance.

Pour plusieurs stagiaires, l’écriture en français était un défi important. Vers la fin de notre projet, l’orthophoniste de la Clinique interprofessionnelle de réadaptation a offert une rencontre aux stagiaires afin de leur donner des stratégies et des outils pour les aider dans la rédaction de rapports. Si l’on offre de nouveau ce projet, il serait pertinent de prévoir une formation en début de stage pour fournir des stratégies et des outils d’aide à la rédaction en français, si le stage comporte des exigences de rédaction en français[2].

Au départ, il avait été prévu que toutes les activités du projet se feraient en français. Cependant, offrir aux étudiantes et étudiants la possibilité de faire l’entrevue de fin de stage ainsi que l’entrevue post-stage dans la langue de leur choix a facilité les échanges lors des entrevues.

Ces leçons apprises ont permis de formuler des recommandations pour les organisations qui souhaiteraient offrir de tels stages dans l’avenir, recommandations qui sont incluses dans les deux guides produits à la fin du projet.

Conclusion

Les retombées de ce projet ont été très positives. Les stagiaires ont mentionné avoir une meilleure connaissance des défis rencontrés par les communautés francophones en situation minoritaire dans le domaine de la santé et se sont sentis plus en mesure de faire de l’offre active en français dans ces communautés. Ce projet a permis à la Clinique interprofessionnelle de réadaptation et à ses partenaires d’avoir une meilleure connaissance des défis de l’offre de stages en français à des étudiantes et étudiants de programmes anglophones.

Le premier guide produit à partir des résultats du projet permet aux fournisseurs de soins d’être mieux outillés pour offrir des stages en français. Le second guide permet aux formatrices et formateurs et aux responsables de la formation clinique des établissements d’enseignement anglophones de se sensibiliser aux besoins des CFSM et d’avoir une meilleure connaissance des possibilités d’offres de stages en français pour leurs étudiantes et étudiants bilingues. Nous souhaitons qu’à long terme, cette expérience favorise une augmentation de l’offre de stages en français à des étudiantes et étudiants bilingues inscrits à des programmes de formation anglophones afin d’aider à accroître le nombre de professionnelles et professionnels de la santé pouvant offrir des services en français dans les CFSM, que ce soit au sein d’organismes bilingues ou de milieux anglodominants. Nous espérons que les prises de conscience faites par les stagiaires pendant cette expérience les porteront à s’afficher comme pouvant s’exprimer en français, même s’ils travaillent en milieu anglodominant.