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Introduction

Chaque année, 75 000 enfants sont adoptés dans le monde (Chicoine, 2001). Selon le Secrétariat à l’adoption internationale (SAI; 2014), 8127 enfants adoptés ont fait leur entrée au Québec entre 2000 et 2014, toutes nationalités confondues. Le nombre d’enfants adoptés de l’international a diminué ces dernières années, l’âge à l’adoption est passé en moyenne de 2 à 3 ans et la santé physique de ces enfants est souvent plus précaire (SAI, 2010). Plusieurs auteurs se sont intéressés au phénomène de l’adoption internationale et ont étudié, notamment, l’impact des conditions de vie en institution, le rattrapage développemental de l’enfant en pays d’accueil, les défis liés à l’attachement et la surreprésentation des enfants adoptés dans les services spécialisés.

Le rattrapage développemental, c’est-à-dire la récupération par l’enfant de certains retards développementaux après son placement en adoption, a fait l’objet de plusieurs études. Il se caractérise par sa rapidité et par son ampleur (Champnella, 2003; van IJzendoorn et Juffer, 2006), bien qu’il puisse être incomplet et variable. La première étape du rattrapage est sans contredit celle du développement physique et moteur (Park et al., 2011; Pomerleau et al., 2005; van IJzendoorn et Juffer, 2006). En ce qui a trait aux capacités cognitives et langagières, les enfants adoptés profitent largement de l’environnement stimulant offert par leurs nouvelles familles et peuvent généralement avoir par la suite le même potentiel que les autres enfants au plan de la réussite scolaire (van IJzendoorn et Juffer, 2005; van IJzendoorn, Juffer et Poelhuis, 2005).

Plusieurs facteurs expliquent que le rattrapage puisse être plus ou moins complet, comme l’état de santé de la mère biologique durant la grossesse, la négligence ou la maltraitance, les conditions de vie en institution, l’âge à l’adoption, les conditions médicales et nutritionnelles de l’enfant à l’arrivée et le pays d’origine (Pomerleau et al., 2005; van IJzendoorn et Juffer, 2006). Ainsi, des difficultés peuvent perdurer. Par exemple, Glennen et Masters (2002) estiment la prévalence de troubles de langage entre 35% et 50% chez les enfants d’âge préscolaire adoptés de l’international. Des déficits d’intégration sensorielle peuvent aussi être observés, même 3 à 5 ans après l’adoption (Lin, Cermak, Coster et Miller, 2005). D’autres études ont porté sur la régulation des fonctions de base de ces enfants. Tirella et Miller (2011) rapportent que plus de 35% des enfants de leur échantillon présentent au moins un problème lié à l’alimentation, les plus communs étant le dégoût pour certaines textures d’aliments et un appétit insatiable. Les difficultés liées au sommeil sont également parmi les problèmes les plus fréquemment soulevés par les parents. Tirella et Miller (2011) rapportent que 48% des enfants de leur échantillon ont des problèmes de sommeil, les plus communs étant les réveils fréquents, les cauchemars et les terreurs nocturnes. D’autres problèmes liés à l’adaptation, à l’attention, à la mémoire ou aux fonctions exécutives peuvent être observés chez les enfants adoptés (Kreppner et al., 2007; Roy, Rutter et Pickles, 2004).

La relation d’attachement fait partie des dimensions les plus souvent étudiées dans le domaine de l’adoption internationale. Pour les enfants de l’adoption, on trouve une prévalence élevée de trouble réactif de l’attachement (Zeanah et al., 2004) et plus d’attachements de types insécure et désorganisé (Zeanah, Smyke, Koga et Carlson, 2005). Toutefois, van Londen, Juffer et van IJzendoorn (2007) avancent que même si l’attachement désorganisé est deux fois plus fréquent chez les enfants adoptés que chez leurs pairs du pays d’accueil, ils sont capables d’un attachement sécure dans la même proportion que la population normale (64%) lorsqu’ils sont adoptés au cours de leurs 12 premiers mois. Au-delà des troubles de l’attachement à proprement parler, les défis liés à l’attachement de l’enfant à sa nouvelle famille, puis à d’autres personnes significatives, ont fait l’objet de nombreux écrits.

Les premières années de vie de l’enfant adopté de l’étranger suivent donc une trajectoire particulière. Bien que tous les enfants adoptés ne présentent pas de problème majeur et que le développement d’un enfant biologique puisse lui aussi être entravé par une situation le mettant à risque, l’enfant adopté de l’étranger vit, en plus, avec la blessure de l’abandon, la rupture dans la continuité des soins et l’expérience de l’institutionnalisation, situations qui ont pu le fragiliser, modifier son rapport de confiance au monde extérieur et affecter sa capacité à établir des relations stables et saines (Rygaard, 2005). Une reconnaissance de la différence est donc essentielle dans la recherche d’une intervention adéquate auprès de cette clientèle, dans le but d’offrir des services de soutien adéquats aux parents adoptifs et des soins personnalisés aux enfants (Ouellette et Belleau, 1999).

Le milieu de garde est un environnement de soutien important dans le développement de la plupart des enfants. Pour les enfants adoptés, l’ajustement à ce milieu est une étape cruciale compte tenu de leurs expériences antérieures. Plusieurs auteurs ont fait ressortir les caractéristiques importantes du milieu de garde, qu’il s’agisse d’enfants adoptés ou non. On parle de qualité de la relation entre le parent et l’éducatrice, de l’échange de renseignements au sujet de l’enfant, d’un niveau de formation élevé pour l’éducatrice, ainsi que d’une reconnaissance des facteurs pré et postadoption (Clarke-Stewart, Vandell, Burchinal, O’Brien et McCartney, 2002; Loeb, Fuller, Kagan et Carrol, 2004; Loman, Wiik, Frenn, Pollak, et Gunnar, 2009; Reedy et McGrath, 2010; van IJzendoorn, Tavecchio, Stams, Verhoeven et Reiling, 1998). Une formation spécialisée en petite enfance, de niveau collégial ou universitaire, est un élément primordial permettant d’offrir des soins de qualité dans les services de garde préscolaires. L’éducatrice ayant reçu une formation est plus susceptible d’interagir de façon chaleureuse et de créer un climat affectif positif avec les enfants (Barnett, 2004; Burchinal, Cryer et Clifford, 2002; Rhodes et Hennessy, 2000), d’inclure des enfants à défis particuliers (Essa et al., 2008) et d’assurer une progression du développement cognitif et social des enfants de son groupe (Loeb et al., 2004).

Dans une étude sur le développement des enfants ayant vécu en institution, Loman et al. (2009) recommandent que les intervenants tiennent compte des multiples facteurs pré et postadoption lorsqu’ils interviennent auprès d’un enfant adopté. Tan (2009) est également d’avis que l’intervention adaptée aux enfants de l’adoption internationale devrait faire l’objet d’une formation continue pour tous les intervenants de première ligne. Des organismes comme le National Board of Health and Welfare (2007) en Suède émettent également des recommandations spécifiques pour favoriser l’intégration de l’enfant à la garderie ou à la crèche, dont s’assurer que l’éducatrice soit toujours la même.

Toutefois, bien que l’on reconnaisse l’apport considérable de l’éducatrice dans l’intégration réussie de l’enfant adopté en milieu de garde, aucun étude n’a examiné cette question jusqu’à maintenant. La consultation des références portant sur l’adoption internationale à partir des bases de données de PsycInfo confirme l’absence d’étude dans le domaine. Par conséquent, les conditions favorisant la réussite de ce moment de transition majeur dans la vie de l’enfant sont encore peu connues et les interventions sont encore basées sur des expériences cliniques qui ne sont pas toujours fondées empiriquement.

Le but de la présente étude est de contribuer à l’avancement des connaissances sur les pratiques en milieu de garde lorsqu’il s’agit d’accueillir un enfant de l’adoption internationale. Compte tenu de la spécificité de la situation adoptive et de l’apport considérable des éducatrices, il est important de connaître leur vision et les moyens concrets qu’elles emploient afin de faciliter l’épanouissement de l’enfant en garderie. Il est également important de comparer les perceptions des parents et des éducatrices à cet égard pour examiner si des divergences émergent.

Afin d’explorer les points de vue respectifs de parents adoptifs et d’éducatrices d’enfants adoptés de l’international, une méthode de recherche qualitative est employée dans cette étude. Ce devis est utilisé afin d’explorer les conditions liées à l’intégration en milieu de garde, compte tenu que les connaissances à ce sujet sont encore très limitées, voire inexistantes.

Méthode

Participants

Pour prendre part à l’étude, les parents doivent avoir adopté un enfant d’un pays étranger depuis au moins un an. L’enfant doit être âgé entre 2 et 6 ans. Douze familles (9 mères, 1 père et 2 couples père-mère) ainsi que les 12 éducatrices de leurs enfants participent à l’étude. Les 12 enfants (9 filles et 3 garçons) sont tous d’origine asiatique : chinoise (9), sud-coréenne (1), thaïlandaise (1) et vietnamienne (1). L’âge d’arrivée dans la famille varie entre 8 et 24 mois (M = 14, ÉT = 5,66) et leur âge au moment de la collecte de données est en moyenne de 44 mois (ÉT = 11,58). Tous les enfants résident actuellement avec leurs deux parents adoptifs. Le profil socio-économique des parents est assez homogène : 83,4% d’entre eux ont un niveau de scolarité universitaire; ils occupent un emploi à temps plein dans une proportion de 92% pour les pères et de 50% pour les mères. En ce qui concerne la situation géographique des répondants, 9 familles sur 12 proviennent de Montréal et Québec, alors que trois familles habitent en région.

Pour deux tiers des enfants, la fréquentation de la garderie a commencé moins d’un an après leur arrivée (entre 2 et 9 mois), tandis que pour l’autre tiers, ils ont attendu en moyenne un an et quatre mois (entre 12 et 30 mois). Le type de milieu de garde privilégié est le centre de la petite enfance (CPE) pour sept familles, le milieu familial affilié à un CPE pour quatre familles et une famille a choisi une garderie privée subventionnée. Le temps passé au service de garde est de cinq jours/semaine pour 66% des enfants alors que les autres le fréquentent entre 3 et 4 jours par semaine. Pour 42% des enfants, il s’agit d’une première expérience de garde, débutée entre six semaines et six mois au moment de l’entrevue. Les autres enfants fréquentent le même service de garde depuis un an et demi à trois ans et demi. Tous les enfants ont bénéficié d’une entrée progressive.

Parmi les douze éducatrices qui participent à l’étude, six des sept en CPE ont un diplôme d’études collégiales en éducation à l’enfance. L’expérience des éducatrices est variable, près de la moitié ont plus de dix ans d’expérience. En ce qui concerne la formation continue, 11 éducatrices sur 12 ont suivi un atelier dans la dernière année. Une seule éducatrice a une formation spécifique à l’adoption; cette éducatrice est aussi mère d’un enfant adopté à l’international.

Recrutement

De façon à optimiser la participation à l’étude, plusieurs stratégies de recrutement sont utilisées. Six familles sont recrutées par l’intermédiaire des associations québécoises de parents adoptants : l’Association des familles Québec-Asie et le Regroupement de parents d’adoption internationale de l’est du Québec. Les parents sont invités à participer à l’étude par internet, par l’entremise d’une annonce insérée dans le bulletin mensuel envoyé aux parents membres ou par courriel. Une famille est recrutée grâce à une annonce publiée dans le journal Montréal pour enfants. Une autre famille est recrutée dans un CPE par contact direct avec la direction de l’établissement. Finalement, quatre familles sont recrutées après avoir lu un blogue sur l’adoption internationale tenu par une participante à la recherche.

Devis de recherche

Étant donné que l’objectif de recherche vise la compréhension et la description d’un phénomène en profondeur, un devis qualitatif est privilégié. En l’absence d’études empiriques sur l’objet de recherche, la visée est exploratoire et descriptive. Le devis qualitatif vise à donner la parole aux individus au centre du phénomène (Patton, 2002). Un échantillon de convenance non probabiliste est employé dans cette étude, c’est-à-dire que les premières personnes qui acceptent de participer sont sélectionnées. La taille de l’échantillon est déterminée par ce qu’on appelle la saturation théorique, lorsque l’ajout de nouveaux cas ne permet plus d’enrichir la compréhension du phénomène. Selon Glaser et Strauss (1967), la saturation théorique est atteinte avec un échantillon de 5 à 15 entrevues. Dans la présente étude, le processus itératif d’analyse des données, dont la description figure dans la section sur l’analyse des données, permet de situer la saturation théorique à 12 dyades (cas) ou 24 entrevues.

Déroulement

Dès le contact établi entre la chercheuse et les parents, un rendez-vous est proposé à la convenance du parent et dans le lieu de son choix. Huit parents sont rencontrés à domicile, un au CPE, un au département de psychologie de l’Université de Montréal; dans deux cas, l’entrevue est effectuée par téléphone étant donné l’éloignement géographique. Les entrevues avec les parents débutent par une brève période de prise de contact où ceux-ci parlent librement de leur enfant et souvent du voyage d’adoption. La chercheuse effectue ensuite un retour sur l’objectif de la recherche et rappelle au parent la confidentialité de ses réponses face à l’éducatrice et au milieu de garde. À la suite de la signature du formulaire de consentement, le parent remplit un questionnaire sociodémographique. Il participe ensuite à une entrevue semi-dirigée d’une durée de 45 minutes environ.

L’éducatrice est rencontrée le même jour que les parents. Ayant un contact quotidien avec l’éducatrice, les parents fixent eux-mêmes ce rendez-vous avec la chercheuse. À part les éducatrices qui proviennent de région plus éloignées, toutes les autres sont rencontrées sur les lieux de leur travail. Avant de faire l’entrevue, la chercheuse rappelle à l’éducatrice la confidentialité de ses données et cette dernière signe un formulaire de consentement. Tous les participants acceptent que l’entrevue soit enregistrée sur bande audio.

Instruments de mesure

Les parents remplissent d’abord un questionnaire pour connaître leur profil socio-économique et pour documenter la fréquentation du service de garde. Ils participent ensuite à une entrevue semi-dirigée comportant des questions ouvertes. Cette entrevue sert à explorer l’historique de garde de l’enfant depuis son arrivée au Québec, de même que l’opinion des parents sur divers sujets. Les questions de l’entrevue portent plus spécifiquement sur le processus d’intégration de l’enfant en milieu de garde, les appréhensions des parents, les interventions à privilégier, les succès et les défis liés au rattrapage développemental, le traitement différentiel ou pas des enfants adoptés, le point de vue des parents sur la formation nécessaire à l’intégration d’un enfant de l’adoption internationale à son milieu de garde et les éléments de satisfaction et d’insatisfaction des parents quant aux services reçus. Ces outils sont élaborés par la chercheuse en partie à l’aide du questionnaire utilisé pour l’étude « L’adoption internationale au Québec de 1985 à 2002 » (Tessier et al., 2003). Cinq familles adoptives participent à un pré-test pour réviser au besoin la formulation, l’ordre et la pertinence des questions, de même que la durée de l’entrevue et du questionnaire.

Les éducatrices remplissent également un questionnaire sociodémo-graphique. Le canevas d’entrevue avec les éducatrices porte sur leur perception de l’enfant, leur sensibilisation à sa situation d’adopté, la perception de leurs interventions auprès de lui et leurs besoins en tant qu’intervenantes. Le canevas est élaboré à partir de la routine usuelle des éducatrices en garderie soit les moments clés qui balisent leur journée comme l’arrivée des enfants, le diner, la sieste, etc. Lors d’un pré-test, deux éducatrices ayant déjà eu des enfants de l’adoption internationale dans leurs groupes suggèrent des améliorations qui sont apportées au canevas d’entrevue et au questionnaire.

Stratégie d’analyse des données

Selon Paillé (1996), l’analyse qualitative vise à former une synthèse des renseignements recueillis au sujet d’un phénomène. Dans cette optique, l’approche analytique préconisée pour cette étude est la théorisation ancrée (Glaser et Strauss, 1967; Paillé, 1994). L’analyse par théorisation ancrée est une démarche itérative de théorisation progressive d’un phénomène, qui consiste en une suite d’opérations de codification, de catégorisation et de développement de thèmes (Paillé, 1994).

Dans un premier temps, les données sont organisées. Chaque entrevue est transcrite intégralement par une assistante de recherche. Les verbatim reçoivent un code selon qu’il s’agit du parent ou de l’éducatrice. Dans le but de s’imprégner des données, une relecture méticuleuse de chaque verbatim est effectuée, en écoutant simultanément l’enregistrement audio correspondant pour s’assurer de la fidélité de la transcription, une étape jugée essentielle par plusieurs auteurs (Paillé et Mucchielli, 2008; Yin, 2001). Des corrections sont apportées lorsque nécessaire. Les verbatim sont ensuite exportés dans le logiciel d’analyse de données qualitatives QDA Miner.

La première phase de déstructuration des données consiste en un découpage de l’ensemble des entrevues appelé « codification » et « catégorisation » en théorisation ancrée (Paillé, 1994). La codification vise à déterminer, à l’aide d’une arborescence de codes, les données considérées comme plus significatives (Yin, 2001). Puisque la stratégie sous-jacente à une démarche inductive et exploratoire consiste à repérer, à travers le discours des participants, l’information qui semble centrale ou importante à leurs yeux et non de la définir d’avance (Patton, 2002), aucune grille de codification n’est établie préalablement à l’analyse. Les codes, une courte expression ou un mot (p. ex. « intégration progressive » ou « demande spéciale ») sont puisés à même le vocabulaire utilisé par les participants, ils émergent des données et sont formulés au fur et à mesure que se poursuit l’analyse. Ainsi, chaque transcription est découpée en unité de sens et codée. L’unité de sens réfère à une idée qui peut parfois être composée de quelques mots ou de quelques phrases (p. ex. « intégration progressive » : « …Moi, j’ai fait de l’intégration avec elle pendant 3 mois… »). Toutefois, chaque unité de sens doit fournir de l’information utile à la recherche et être révélatrice en soi, même hors contexte (Lincoln et Guba, 1985). Chaque idée se voit accorder un code approprié, en marquant le texte d’un hyperlien lié au code inscrit en marge.

Tout au long de la progression de l’analyse, les codes sont continuellement relus, regroupés et comparés entre eux afin d’en déterminer les similarités et les différences. Ce processus nommé comparaison constante en théorisation ancrée permet de fusionner ou d’éliminer certains codes, moins pertinents pour l’objet de recherche (p. ex. caractéristiques : « il est un peu timide parfois »). Les entrevues des parents et des éducatrices sont découpées selon une arborescence de codes similaires puisque leurs canevas d’entrevue respectifs traitent des mêmes sujets. Toutefois, l’ajout de certains codes réservés aux parents (« satisfait ») ou aux éducatrices (« compétence parentale ») s’avère nécessaire, afin de refléter les idées nouvelles apportées par chaque catégorie de participants. Dans la présente étude, 1822 codes sont attribués à l’ensemble du corpus.

Simultanément à la codification des unités de sens, s’effectue une catégorisation où, selon Paillé (1994), les aspects les plus importants du phénomène à l’étude commencent à être nommés. Celle-ci vise à organiser les codes entre eux, en les regroupant dans une catégorie plus large et de niveau conceptuel supérieur en ce qui a trait à l’arborescence de codes. Reliées au but de la recherche, les catégories doivent être exhaustives, mutuellement exclusives et précises quant à la nature du matériel inclus (Yin, 2001). Par exemple, pour la présente étude, les codes « comme les autres » et « pas comme les autres » sont regroupés sous la catégorie « spécificité de l’enfant adopté ». L’ajustement constant des codes et le développement des catégories impliquent une relecture des segments de verbatim se rattachant à une même catégorie afin de s’assurer qu’elle reflète de façon juste le propos des participants. Ainsi, au fil des nombreuses relectures, le sous-code « ethnicité », visant à préciser le code « pas comme les autres », s’est ajouté à la catégorie « perception de l’enfant adopté ». Selon Paillé (1994), les catégories sont ainsi soumises à l’épreuve des phénomènes dont elles sont la description. Pour soutenir ce processus, le logiciel QDA Miner permet un remaniement de l’arborescence en cours d’analyse, les verbatim déjà codés sont automatiquement recodés d’après les éléments ajoutés ou supprimés. Pour plusieurs auteurs (Paillé, 1994; Tesch, 1990), plus une idée est récurrente, plus la catégorie qui la représente peut être considérée fiable. C’est ici qu’intervient la saturation théorique (Glaser et Strauss, 1964) où les idées déjà véhiculées, codées et catégorisées sont suffisamment documentées pour expliquer le phénomène à l’étude et mettre un terme à l’analyse d’entrevues supplémentaires.

Résultats

Cette section présente une synthèse des entrevues réalisées auprès des parents et des éducatrices. Elle est divisée en douze sections issues des grands thèmes abordés par les participants tel qu’extraits par l’analyse des données : (1) le contexte antérieur à l’arrivée de l’enfant dans le groupe, (2) les appréhensions des parents face à l’inscription en garderie de leur enfant, (3) les premiers contacts entre les parents et l’éducatrice, (4) les demandes spéciales des parents, (5) les moments de vie à la garderie, (6) le développement de l’enfant, (7) la spécificité de l’enfant adopté, (8) les comportements particuliers de l’enfant adopté, (9) l’intervention auprès de l’enfant en crise, (10) les besoins de formation de l’éducatrice, (11) les éléments de satisfaction des parents et (12) les éléments d’insatisfaction des parents. Chacune de ces sections est appuyée par des citations extraites du discours des parents et des éducatrices.

1. Contexte antérieur à l’arrivée de l’enfant en milieu de garde

Pour 11 éducatrices sur 12, l’arrivée d’un enfant adopté de l’international représente une première expérience. Avant d’intégrer l’enfant dans leur groupe, trois éducatrices rapportent qu’elles ne connaissent rien de l’adoption. Pour six d’entre elles, leurs connaissances se limitent à des données factuelles sur les différents pays impliqués dans l’adoption et sur les conditions de vie en orphelinat.

« Ce que moi j’avais entendu à la télé, c’est que c’était beaucoup d’enfants qui restaient beaucoup dans les bassinettes, pis qui restaient là toute la journée, pis ils pouvaient pleurer, pis qui avait pas beaucoup d’adultes pour beaucoup d’enfants, pis que c’était beaucoup les petites filles qui se faisaient adopter parce que c’est eux autres qui peuplaient en fin de compte la Chine, pis que c’était très très difficile d’adopter un p’tit garçon »

Annie, éducatrice

Malgré tout, la plupart ne sentent pas le besoin d’une préparation spécifique à la venue de l’enfant dans leur groupe et la majorité affirme n’avoir aucune appréhension par rapport à la venue de l’enfant dans leur groupe.

Trois éducatrices sur 12 ont un vécu personnel de l’adoption. En plus de leur expérience, par le biais de formations spécialisées et de documents lus sur l’adoption, elles possèdent des connaissances étendues ainsi qu’une sensibilité à la dimension affective du vécu des enfants adoptés, qui leurs permettent d’ajuster leurs interventions en fonction de celui-ci.

« Alors au début, je m’assoyais comme plus souvent, j’étais à côté, je la rassurais parce que le moment du repas était inquiétant pour elle, alors c’est des petits aménagements qu’on peut faire en fonction de leurs particularités »

Martine, éducatrice

2. Appréhensions face à l’entrée de l’enfant en garderie

La majorité des éducatrices (9 sur 12) affirme n’avoir aucune appréhension par rapport à la venue d’un enfant de l’adoption internationale dans leur groupe, principalement parce qu’elles connaissent déjà l’enfant ou la famille, par exemple pour l’avoir vu dans un autre groupe auparavant.

« On la connaissait bien, elle a passé un an l’année dernière avec nous là (dans un autre groupe), donc, c’est une enfant que j’ai côtoyée l’année dernière toute l’année-là  »

Johanne, éducatrice

D’autres éducatrices ont réfléchi aux implications de l’expérience de vie de l’enfant adopté et considèrent sa situation particulière. Sans appréhender nécessairement sa venue dans le groupe, elles l’accueillent avec précaution.

« Quand quelque chose est inconnu, on ne sait pas comment ça se passe un enfant qui se fait adopter, qui arrive dans sa nouvelle famille. Ça peut aller super bien, comme ça peut être super difficile. Ils ont beaucoup de changements, oui, le climat, c’est un enfant qui n’a jamais connu la neige. Pour ce qui est du point de vue santé, juste l’adaptation de changer de pays, au niveau physique, c’est quelque chose. Émotionnellement, c’est beaucoup, toutes ces choses-là. Pis moi, bien c’est vraiment d’accueillir un enfant chez moi, pis d’avoir à vivre avec son quotidien qui est toute une nouveauté pour lui, donc une nouveauté pour moi aussi  »

Andrée, éducatrice

Les parents semblent avoir plus d’appréhensions que les éducatrices quant à l’intégration de leur enfant au milieu de garde. Leurs inquiétudes portent notamment sur la rotation du personnel éducateur et son aptitude à être sensible aux besoins spéciaux des enfants, de même que sur leur difficulté à laisser leur enfant aux soins de quelqu’un d’autre. L’instabilité du personnel est un enjeu majeur pour tous ceux qui ont inscrit leur enfant en CPE. Ils désapprouvent les changements fréquents d’éducatrices et le manque de stabilité dans les soins.

« Tu sais, si tu arrives le lundi, ce n’est pas la même (éducatrice) que le mercredi. Mais si le lundi ce n’est pas la même, là on ajoute une autre personne. Puis mercredi, jeudi, si l’éducatrice a besoin de faire d’autre chose, c’est d’autre monde. Mais je trouve que pour l’enfant c’est une intégration qui demande beaucoup, beaucoup, beaucoup de capacité d’adaptation »

Carmen, parent

3. Choix du milieu de garde et attentes des parents

En ce qui concerne la décision quant au choix du type de milieu de garde, 7 familles sur 12 familles ont fait le choix du CPE principalement en raison de la possibilité d’avoir accès à des activités structurées et de l’accent mis sur le contenu éducatif. Les autres parents optent plutôt pour le milieu familial, pour éviter de placer leur enfant dans un milieu qui lui rappellerait l’orphelinat. Le nombre restreint d’enfants, la régularité du personnel éducateur et l’ambiance familiale font partie des critères recherchés par ces parents lors du choix d’un milieu de garde. Fait intéressant, la formation de l’éducatrice ne semble pas avoir d’impact sur la décision des parents.

« Moi j’étais vraiment contente qu’elle soit dans un milieu familial parce que c’est un enfant adopté. Parce que pour moi un CPE, ça ressemblait beaucoup plus à une institution. Je voulais éviter qu’elle ait le sentiment qu’on la replaçait dans quelque chose d’institutionnel, même si on allait aller la chercher le matin et le soir. En milieu familial, c’était plus petit, ce n’était pas la même ambiance »

Katie, parent

Dès les premiers contacts avec l’éducatrice, les parents spécifient l’adoption de leur enfant et offrent de l’information spécifique sur son vécu antérieur, dans le but de mettre en contexte les réactions possibles de leur enfant. Ils leurs proposent également de l’information sur les attitudes à adopter devant certaines réactions de leur enfant. Quatre parents ont même remis un protocole d’intégration de l’enfant adopté en garderie, préparé par le CLSC Saint-Louis-du-Parc. Certains parents parlent également de formations qu’ils ont eux-mêmes suivies pour être en mesure de renseigner leur éducatrice. Les éducatrices confirment avoir reçu cette documentation, mais aucune ne mentionne l’avoir utilisée.

4. Demandes spéciales des parents

De toutes les demandes spéciales faites par les parents lors de l’inscription de leur enfant en garderie, l’intégration progressive est certainement la plus populaire. Dans tous les cas, les éducatrices respectent la demande des parents. Cette demande est fréquente pour la plupart des enfants, adoptés ou non, lors du premier contact avec l’environnement de garde. Les éducatrices ont reçu une formation à ce sujet et elles sont à l’aise avec un contact progressif pour tous les enfants. Toutefois, les parents et les éducatrices considèrent qu’une intégration trop longue ne répond pas nécessairement aux besoins de l’enfant d’une part et, d’autre part, peut aussi déranger la routine du groupe. De façon générale, il est fréquent que les éducatrices perçoivent que les parents tendent à allonger l’intégration progressive devant les pleurs ou l’inconfort de leur enfant à la garderie.

« Je vois qu’il y a encore de la gêne, puis c’est sûr que si elle venait cinq jours semaine, et plus longtemps, ce serait déjà réglé je pense. Mais, comme elle vient 2-3 jours semaine, et seulement deux heures, oui, elle n’a pas le temps de créer vraiment de liens et c’est espacé. Elle aussi elle le voit mais, ce qu’on lui a conseillé, c’est d’y aller vraiment graduellement. Moi je trouve que c’est un peu long là, l’intégration. Ça fait deux mois »

Suzanne, éducatrice

Les autres demandes spéciales varient en fonction des besoins de chaque enfant et peuvent être précises. Elles incluent notamment des demandes liées à l’alimentation (donner plus de temps pour manger) ou à la sécurité (surveiller l’accès aux marches). Le parent peut aussi demander que l’éducatrice l’appelle si l’enfant pleure beaucoup, que l’enfant puisse faire sa sieste dans un local à part ou qu’il garde son toutou préféré plus longtemps. D’autres parents demandent à l’éducatrice de leur fournir un compte-rendu de la journée. Enfin, certains peuvent demander à l’éducatrice d’aider l’enfant à rattraper un retard de langage en collaborant aux exercices suggérés par l’orthophoniste.

« Elle n’avait pas d’éducateur assis à sa table donc, nous on a demandé qu’il y ait au moins une supervision pour qu’elle mange, parce que de son plein gré elle ne mangeait pas toute seule »

Nathalie, parent

« J’avais un livre que je voulais qu’elle remplisse à tous les jours. Je voulais savoir c’est quoi qu’elle faisait dans sa journée »

Thérèse, parent

« Fait que je l’avais juste demandé pour pas qui arrive d’accidents. Donc, les éducatrices ont tendance à rester à côté d’elle quand a descend. »

Carmen, parent

5. Les moments de vie à la garderie

Selon les éducatrices et les parents, l’arrivée le matin est un moment positif pour environ la moitié des enfants. Les éducatrices formées connaissent l’importance du rituel pour tous les enfants et peuvent même l’instaurer ou le suggérer à l’enfant ou aux parents. Malgré tout, la séparation peut s’avérer éprouvante pour certains enfants et pour leurs parents.

« Au tout tout début là, ça ne la dérangeait pas que je parte, que j’arrive et après, tout à coup oups, elle a comme réagi et là, elle ne voulait plus que je parte, elle pleurait et on se séparait tranquillement et tout ça. Là les autres nous disent : « Bon bien, fais-toi en pas, c’est des choses qui arrivent », mais je savais qu’il y avait l’adoption à considérer en arrière »

Louise, parent

En ce qui concerne les repas, huit dyades parents-éducatrices font état d’un problème alimentaire.

« Sa maman me l’a dit, tu sais elle me dit : « Il a souffert de la faim! ». Alors, Lucas faut faire attention parce que des fois il s’empiffre encore. Des fois il s’en met tellement qu’il s’étouffe et je lui dis : « Regarde Lucas, il en reste encore et je vais t’en donner encore. Tu as une petite bouche, on met des petites quantités dans ta bouche »

Mélanie, éducatrice

Selon les parents et les éducatrices, la sieste est un moment difficile pour les enfants et les parents. Pendant la période d’intégration, c’est un moment névralgique que les parents repoussent le plus longtemps possible en récupérant l’enfant avant la sieste. Lorsqu’ils y parviennent finalement, c’est un moment qui se passe généralement bien. Une dyade parent-éducatrice a parlé de terreurs nocturnes alors que seulement deux autres dyades ont parlé de difficultés récurrentes à s’endormir.

« Ça va mieux, ça a été un peu difficile au début qu’elle m’a dit : « Elle a pleuré un peu », mais elle m’a dit : « Ah! Je suis restée assise à côté d’elle ». Parce que je lui avais expliqué, j’ai dit : « Tu sais, le sommeil, les enfants adoptés, c’est une forme d’abandon, tu sais de s’abandonner à quelqu’un », fait que je lui avais expliqué un peu, fait qu’elle m’avait dit : « Ah! Ok ». Fait qu’elle a dit : « je suis restée à côté d’elle, je l’ai flattée et je lui ai dit qu’elle était correcte, qu’elle était en sécurité ». Parce que je lui avais dit comme les espèces de termes à dire tu sais : « Tu es en sécurité, Nicole est là », fait qu’elle a répété ça. »

Claire, parent

Enfin, en ce qui concerne le départ en fin de journée, la plupart des parents et des éducatrices (75%) sont d’accord pour dire que cette transition se passe habituellement bien.

6. Le développement de l’enfant

La perception des parents et des éducatrices quant au développement cognitif des enfants est tout à fait favorable et tous parlent d’enfants intelligents, éveillés et ayant des capacités égales ou supérieures à leurs pairs. En ce qui concerne les compétences sociales, les parents et les éducatrices s’entendent pour dire que l’enfant est bien intégré et a des amis ou, au contraire, qu’il a du mal à interagir et à apprécier la compagnie des enfants du groupe.

« C’est encore difficile pour elle socialement. Alors, elle a de la difficulté à créer des liens avec les autres, à accepter les contacts des autres. Une belle amélioration par exemple, ça s’améliore vraiment  »

Louise, éducatrice

En ce qui a trait à la dimension affective, les parents et certaines éducatrices formées à l’adoption internationale ont cerné des comportements où l’enfant insécure teste l’adulte, n’accepte pas le contact physique ou a du mal à gérer et réguler ses émotions.

« Et c’est sûr qu’un besoin particulier, c’est comment on fait pour Lucas pour vraiment que la sécurité émotive, émotionnelle, soit bien ancré en lui pour qu’il n’y ait plus de petite anxiété comme ça, parce que ça fait beaucoup partie. Je me dis, il a réagi comme un autre enfant, il n’est pas content, il réagit. Mais tu sais, je sens des fois qu’il se retire complètement là, complètement. Des fois il se retire, puis il passe à autre chose, mais des fois il se retire et il ne passe pas à autre chose. Et là, tu sais, il est où le malaise? »

Mélanie, éducatrice

Enfin, la dimension langagière est celle qui, sans contredit, pose le plus de problème aux parents et aux éducatrices. En effet, 9 enfants sur 12 ont une difficulté de langage diagnostiquée par un professionnel. Il est question de problèmes de prononciation et de développement du langage, parfois associés à une fente labio-palatine. Quatre d’entre eux sont également suivis en orthophonie, dont deux reçoivent en plus des services à la garderie.

« Elle a eu aussi quelques difficultés au niveau de son langage, alors on l’a référée en orthophonie, elle est suivie maintenant en orthophonie et puis il y a une belle amélioration »

Martine, éducatrice

7. La spécificité de l’enfant adopté

L’enfant adopté de l’international présente-t-il des besoins particuliers parce qu’il est adopté? La réponse à cette question de la part des parents et des éducatrices est complexe. On peut distinguer cinq points de vue majeurs présentés ci-dessous. Les éducatrices qui partagent l’opinion de la différence ont toutes une expérience personnelle de l’adoption. Conscientes des effets de l’institutionnalisation, elles sont prêtes à modifier et à remettre en question leurs interventions pour mieux répondre aux besoins de l’enfant.

Il n’est pas différent des autres.

« C’est pas différent des autres, c’est ça! C’est vraiment pareil qu’avec les autres, non pour moi c’était un enfant comme un autre là, si j’avais vu quelque chose, j’en aurais sûrement parlé avec les parents mais je trouvais qu’elle était autant normale que les autres, je ne voyais pas qu’elle avait des besoins plus particuliers que les autres. »

Annie, éducatrice

Il est possible qu’il soit différent mais il doit être traité comme les autres.

« Bien, d’être plus patient, c’est sûr que tu ne peux pas arriver et dire, du jour au lendemain : « Bon tu as 3 ans, tu dois agir de telle façon ». Sauf que tu les amènes vers l’autonomie, les activités, tu commences un petit peu plus bas de l’échelle, mais tu remontes »

Sylvie, éducatrice

La différence existe et on ne peut l’ignorer.

« Oui, de donner quand même certains privilèges si on veut, en tout cas, de répondre à des besoins qui ne rentrent pas en conflit. Comme son toutou, on a été beaucoup plus tolérants pour elle que pour un autre enfant, parce qu’on sentait comment c’était important pour elle, que c’était rassurant  »

Martine, éducatrice

Tous les enfants sont différents.

« Moi je pense qu’il ne faut pas être traité différemment et de toute façon, que ce soit un enfant bio ou un enfant adopté, il y en a qui ont des choses particulières »

Thérèse, parent

La différence se résume à une affaire de langue et d’ethnie.

« C’était un enfant qui avait juste besoin d’apprendre à parler français!  »

Sylvie,éducatrice

8. Comportements particuliers

Les parents et les éducatrices rapportent certains comportements particuliers chez les enfants, qui s’apparentent à des comportements de contrôle, à de fortes réactions au changement, à des crises de colère, au conformisme, à une grande autonomie ainsi qu’à un rôle d’observateur plutôt qu’à un rôle d’initiateur.

« Comme à table, on ne sait pas pourquoi, nous avant les repas on leur met un peu d’eau et elle a fait toute une histoire parce qu’elle en voulait vraiment très peu d’eau, et quand on lui donne très peu d’eau, elle va en redemander 2 ou 3 fois, mais elle tient à en avoir juste un peu. Alors, si elle arrive à la table et qu’il y avait juste ça, un petit peu trop d’eau, ça provoquait une colère épouvantable parce qu’elle disait : « Moi j’en veux juste un peu! ». C’est une sorte de contrôle »

Martine, éducatrice

Bien que tous les enfants ne présentent pas la totalité de ces comportements, plusieurs d’entre eux en manifestent au moins un. Ces comportements peuvent être interprétés différemment par les parents et les éducatrices. Par exemple, si le conformisme est vu positivement par certaines éducatrices, pour les parents il peut s’agir d’une peur d’être rejeté.

« Caroline est très sensible aux remarques, au rejet. Si on lui dit : « Caroline ne touche pas à ça, c’est dangereux », elle est extrêmement sensible. Elle, ce qu’elle entend c’est : « Je n’ai pas fait correct ». Elle est très performante, elle a un gros sentiment de performance. Il faut faire attention, elle veut être la meilleure dans tout pour mériter cet amour-là  »

Nathalie, parent

9. Intervenir auprès de l’enfant en crise

La majorité des éducatrices ne modifient pas leurs interventions pour l’enfant adopté. Les parents et les éducatrices formées en adoption ont toutefois un autre regard en ce qui concerne l’utilisation du retrait (time out) comme intervention pour punir un enfant. Ils sont d’avis qu’il faut éviter ce type d’intervention auprès des enfants adoptés, pour éviter de leur faire vivre une expérience d’abandon. Ils proposent plutôt de retirer l’enfant de l’activité tout en demeurant près de lui.

« Et ce qu’il n’accepte vraiment pas, je l’ai mis une fois en retrait, il a vraiment mal réagi. Il s’est mis à crier, il s’est, j’ai dit : « Non! Lucas, Mélanie veut que tu restes assis ». Il ne voulait pas, il pleurait, il suçait son pouce, il ne voulait pas, il ne voulait pas du tout, du tout, du tout. Ah! Je me dis : « Est-ce qu’il faut que je me pose toujours la question, à savoir, si je l’insécurise plus qu’un autre enfant en faisant telle intervention? ». Ça, ce soir-là, quand j’ai vu sa réaction je me disais : « Ah non! Là c’est sûr que mon intervention n’était pas du tout appropriée pour lui  »

Mélanie, éducatrice

10. Besoins de formation pour l’éducatrice

À la suite de ce premier contact avec un enfant de l’adoption internationale dans leur groupe, la majorité des éducatrices (67%) ne souhaite pas s’informer davantage, ni suivre de formation spécifique à l’intervention auprès des enfants adoptés. Le fait que les enfants se soient à leur avis bien ajustés aux exigences de la garderie en est la raison principale. Les éducatrices qui se sont dites intéressées par une formation spécifique en éducation auprès de l’enfant adopté ont toutes déjà des connaissances élargies sur le sujet par des lectures ou par une expérience personnelle de l’adoption.

« Non, non, parce que l’enfant va bien. Donc je n’ai pas besoin de comprendre, tu sais, de chercher à comprendre ou d’analyser des choses, ça va bien  »

Johanne, éducatrice

Contrairement aux éducatrices, les parents sont d’avis que ces dernières ont besoin d’être formées ou sensibilisées aux besoins, aux réactions possibles, à la réalité ainsi qu’aux défis de développement chez les enfants de l’adoption internationale en garderie. Selon plusieurs parents, cette formation est importante pour le bien-être des enfants et doit être obligatoire.

« Oui, oui! Il y a sûrement quelque chose à faire, mais je sais que ce serait mieux si ces gens-là savaient un peu plus le cas, quoique le cas de Marie ce n’était pas si compliqué. Mais s’il y a un problème, je pense qu’ils ne sont pas outillés pour faire face à ça. C’est souhaitable qu’elle en sache plus, oui  »

Louise, parent

11. Éléments de satisfaction des parents

Les parents se disent totalement satisfaits du milieu de garde de leur enfant dans 11 cas sur 12. Ils font confiance au milieu de garde parce qu’ils le connaissent déjà, y ayant placé un autre enfant ou parce que la responsable du service de garde est une connaissance personnelle. Ils apprécient également le fait qu’on y reconnaisse les besoins spécifiques des enfants et des parents de l’adoption internationale.

« Mais en fait ma fille était déjà allée donc, on était en terrain connu. On connaissait les éducateurs, l’équipe, et puis il avait sa place réservée depuis trois ans!  »

Maryse, parent

« Mélanie c’est une personne très sensible, en particulier à l’enfant adopté. Elle a des connaissances que normalement une personne n’aurait pas. (…) elle sait des choses que d’autres éducatrices ne savent pas. Elle va réagir, elle va analyser les réactions de Lucas par rapport à son adoption et non par rapport à l’ambiance générale! Ça, c’est extraordinaire pour moi. Parce que moi je ne suis pas un bon échantillon, dans le sens où mon éducatrice elle est extraordinaire, elle est hors normes »

Carole, parent

12. Éléments d’insatisfaction des parents

Bien que la satisfaction des parents soit en général très élevée, ils s’entendent pour dire que tout n’est pas parfait. Selon eux, les éducatrices saisissent parfois mal les enjeux d’intégrer un enfant adopté en garderie. Le manque de stabilité du personnel dans le cas des CPE et le manque de formation spécifique à l’adoption viennent aussi justifier l’opinion parfois peu favorable des parents.

« Elle insistait beaucoup pour qu’on mette Sophie propre et je me disais : « Elle ne veut rien savoir, on peut attendre un peu plus tard ». Et je trouvais qu’elle nous mettait un peu de pression par rapport à ça. C’est peut-être la seule fois où que j’ai moins senti qu’elle comprenait le fait que Sophie avait été un enfant adopté »

Katie, parent

« J’ai voulu présenter le protocole, en me disant : « Bon, moi j’aimerais appliquer cette entrée » et tout de suite, ce qui a été dit, c’est : « Nous autres là, protocole pas protocole, enfant adopté pas adopté, c’est du pareil au même »

Carmen, parent

Discussion

Cette étude avait pour but de contribuer à l’avancement des connaissances sur les pratiques en milieu de garde lorsqu’on accueille un enfant de l’adoption internationale. Il s’agit de la première étude sur cette question. Son originalité réside aussi dans l’emploi d’une méthode qualitative ayant pour objectif de donner la parole aux parents et aux éducatrices, premiers responsables de cette transition. La discussion présente une synthèse des résultats, les limites de l’étude, de même que des pistes de recherche.

Synthèse des principaux résultats

Les résultats montrent que les parents et les éducatrices s’entendent en général sur les conditions favorisant une bonne intégration de l’enfant adopté. Par exemple, ils s’entendent sur l’importance d’une intégration progressive et sur l’importance d’une bonne communication entre les parents et l’éducatrice. Ce dernier élément est d’ailleurs identifié dans les écrits comme une condition essentielle à l’intégration en garderie (Reedy et McGrath, 2010; Shpancer, 1999; van IJzendoorn et al., 1998; Xu, 2006).

Toutefois, l’analyse des entrevues a permis de faire ressortir que la perception des parents ne correspond pas toujours à celle des éducatrices, notamment en ce qui concerne la spécificité de l’enfant adopté de l’international. Les parents préconisent pour la plupart la reconnaissance des besoins spécifiques de l’enfant adopté, alors que les éducatrices ont plutôt tendance à considérer qu’il s’agit d’un enfant comme les autres. Ces divergences de perceptions ont un impact direct sur les interventions. Par exemple, la majorité des éducatrices disent utiliser les mêmes stratégies d’intervention avec l’enfant adopté qu’avec les autres, comme le retrait, alors que les parents désapprouvent en général cette méthode, craignant notamment de raviver les blessures liées à l’abandon. Certaines éducatrices insistent pour que tous les enfants suivent une même routine, par exemple en ce qui concerne les repas, les siestes ou l’entraînement à la propreté pour éviter d’accorder des « passe-droits » à un enfant en particulier. Les parents s’attendent quant à eux à certains aménagements, compte tenu de la connaissance qu’ils ont des besoins de leur enfant, insécurisé par son passé.

Connaissances et besoins de formation

Ces différences de visions sont probablement associées en partie aux différences quant aux connaissances. Les éducatrices ont en général peu de connaissances sur les enfants qui présentent des défis particuliers, incluant les enfants adoptés. Pour devenir éducatrice au Québec, une formation de niveau collégial est offerte, mais elle n’est pas obligatoire, car les CPE et les garderies privées peuvent embaucher un certain pourcentage d’éducatrices n’ayant reçu aucune formation. De plus, chez celles qui ont reçu une formation, les heures de cours spécifiques aux enfants à besoins particuliers sont minimes, voire inexistantes. La formation des éducatrices québécoises ne correspond pas aux normes suggérées par certains chercheurs lorsqu’il s’agit de travailler auprès d’une clientèle à besoins spéciaux comme les enfants de l’adoption internationale (Loman et al., 2009; Tan, 2009).

Les parents adoptants ont souvent l’occasion d’acquérir des connaissances grâce à des formations organisées par les organismes agréés d’adoption, les associations adoptives, les CLSC ou les groupes de formation afin de se préparer à accueillir un enfant à défis particuliers. Leur vécu personnel de l’adoption avec leur enfant leur permet également d’observer certains phénomènes spécifiques à ces enfants. Il est intéressant de noter à cet égard que les éducatrices qui ont une expérience personnelle liée à l’adoption ont une connaissance des défis qui ressemble à celle des parents. Ceci pourrait suggérer que la différence d’opinion sur la spécificité de l’enfant adopté de l’international n’est pas nécessairement liée au statut de parent ou d’éducatrice de l’enfant, mais plutôt à l’état des connaissances de l’individu.

Pourtant, les éducatrices ne semblent pas manifester de besoins de formation. Elles se disent en général assez confiantes quant à leur capacité à intégrer un enfant adopté. Elles n’ont pas d’appréhension particulière et ne ressentent pas le besoin de suivre une formation pour intervenir auprès de ces enfants. Les parents souhaitent quant à eux que les éducatrices soient mieux formées. Ils souhaiteraient plus de sensibilité à l’égard des besoins spécifiques de leur enfant. Certains ont donné de l’information aux éducatrices, par exemple, des dépliants préparés par le CLSC St-Louis-du-Parc. Toutefois, les éducatrices n’utilisent pas ces ressources. Il est possible qu’elles sous-estiment la pertinence de ces renseignements comme soutien à l’intégration des enfants sous leur responsabilité.

Perception des demandes des parents

Il se peut que les éducatrices considèrent certaines demandes des parents comme exagérées, par exemple en ce qui concerne la durée de l’intégration progressive, ou encore qu’elles jugent les parents surprotecteurs. Dans la présente étude, deux éducatrices de CPE et une mère ont mentionné que les parents adoptifs étaient peut être plus anxieux ou surprotecteurs.

Selon Brodzinsky (2011), les parents d’enfants adoptés seraient plus enclins à penser que leur enfant est à risque de développer des problèmes, possiblement en raison de leurs caractéristiques sociodémographiques et leur accès plus facile aux services de santé. Hoopes (1982) avait déjà suggéré que les parents adoptifs pourraient surprotéger leur enfant étant donné leurs propres blessures et leurs deuils antérieurs, les multiples démarches avant d’avoir pu adopter ce dernier et l’histoire de l’enfant lui-même, incluant ses expériences de négligence et de rupture. Il faut aussi ajouter que pour les parents, l’intégration à la garderie représente en quelque sorte un premier test pour vérifier si l’enfant est « guéri » de son abandon et maintenant apte à entrer en relation avec les autres. Des difficultés à cet égard pourraient amener le parent à se questionner sur sa propre capacité à sécuriser l’enfant et à guérir ses blessures antérieures. Par ailleurs, au moment où l’enfant arrive en situation de garde, parfois seulement deux ou trois mois après son arrivée au pays, il n’a pas toujours eu le temps de consolider l’attachement à ses parents. L’attachement à une nouvelle figure qu’est l’éducatrice représente un nouveau défi qui s’ajoute un premier, pas toujours résolu avec succès. Ce moment peut être une source de stress importante pour l’enfant et le parent. Par ailleurs, il est possible que l’enfant s’adapte particulièrement bien à la garderie et se plie aux exigences de ce milieu, habitué à se conformer aux exigences d’une institution, ce qui ne l’empêcherait pas de souffrir en silence. Il pourrait également manifester des comportements problématiques à la maison, avec ses parents; l’attachement insécurisé pourrait se révéler à la maison tandis que l’éducatrice n’observerait aucun problème. Les écarts de perception entre le parent et l’éducatrice pourraient donc s’expliquer en partie par une différence de comportement de l’enfant adopté dans ses deux milieux de vie.

Différent ou comme les autres?

Un résultat important de cette étude concerne la perception de l’enfant adopté comme étant différent ou pas des autres. Le point de vue des parents semble alterner entre deux positions : nier la différence ou la reconnaître. La première position est celle des parents et des éducatrices qui n’admettent aucune différence entre l’enfant adopté de l’étranger et l’enfant biologique. Dans le cas des éducatrices, il est probable qu’une lacune au niveau des connaissances spécifiques sur les défis de développement, le contexte institutionnel des premières années de l’enfant et l’ajustement à la famille adoptive soit à l’origine du manque de reconnaissance de ses besoins spécifiques. Par ailleurs, le désir des éducatrices d’accueillir chaque enfant du groupe avec sa propre histoire, ses forces et ses faiblesses et d’insister sur le fait qu’il est comme les autres peut, comme le souligne Lemieux (2013), être une façon de montrer aux parents qu’en banalisant la différence, elles ne stigmatisent pas l’enfant à cause de ses origines et de son adoption. Toutefois, cette prise de position des éducatrices va à l’encontre des recommandations sur la nécessité de tenir compte du vécu de l’enfant adopté afin d’ajuster ses interventions (Ladage et Harris, 2012; Loman et al., 2009). En ce qui concerne les parents, leur raisonnement pourrait aussi être issu du désir de normaliser leur situation familiale et d’avoir un enfant qui soit comme les autres. Ce souhait prend parfois le dessus sur la réalité du vécu d’adoption et les amène à nier la différence. Cette prise de position peut donner lieu à des contradictions lorsque certains parents, qui se veulent très clairs quant à la normalité de leur situation, multiplient les demandes spéciales pour leur enfant à la garderie. Pour argument principal, ils estiment que tous les enfants, peu importe qu’ils soient adoptés ou biologiques, arrivent en garderie avec des besoins spécifiques, quelle qu’en soit la source. Du même avis, les éducatrices accèdent aux demandes spéciales des parents en vertu du principe que chaque enfant est unique et non par rapport au fait de l’adoption.

Satisfaction des parents

Malgré tout, les parents de cette étude rapportent un degré de satisfaction très élevé par rapport au milieu de garde de leur enfant. Des auteurs notent toutefois que les parents ont tendance à surévaluer la qualité d’un milieu de garde comparativement à un professionnel formé à cet effet (Cryer et Burchinal, 1997; Drugli et Undheim, 2012). Dans le contexte du régime québécois de garde à l’enfance, il est aussi possible que les parents réajustent leurs idéaux devant la réalité des places limitées.

Recommandations

Quelles recommandations peuvent émerger de cette étude? La première serait de favoriser une meilleure formation des éducatrices quant aux besoins spécifiques des enfants à défis particuliers en général, et des adoptés de l’international en particulier. Un programme de formation continue, dispensé par les divers regroupements de CPE ou de garderies privées accessible aux éducatrices par le biais de leur employeur, pourrait être envisagé. Mais il faudrait d’abord répondre au défi lié à la motivation des éducatrices à participer à ces formations, car si elles se sentent déjà suffisamment outillées et qu’elles n’en voient pas la pertinence, les meilleurs programmes de formation seront jugés inutiles. Une meilleure communication entre les parents et l’éducatrice quant aux besoins spécifiques de l’enfant adopté serait également souhaitable. Avant l’entrée à la garderie, une rencontre d’information entre les parents, la direction et l’éducatrice pourrait avoir lieu. Elle pourrait porter sur l’histoire d’adoption, afin de mettre en contexte le vécu antérieur à l’entrée en garderie et les particularités développementales de l’enfant comme les défis de langage, de motricité, de propreté et les problèmes alimentaires. Les particularités physiques de l’enfant et ses limitations ainsi que les moyens à prévoir pour les pallier pourraient aussi être abordés. Cette rencontre pourrait également permettre de convenir à l’avance des modalités d’intégration progressive. Enfin, une discussion devrait avoir lieu au sujet de l’organisation du personnel pour favoriser dans la mesure du possible la stabilité de l’éducatrice.

Limites de l’étude et pistes de recherche

Une première limite de l’étude a trait au choix du devis qualitatif, qui ne permet pas la généralisation des résultats à l’ensemble de la population des parents adoptants. D’ailleurs, seuls les parents d’enfants d’origine asiatique (en majorité chinoise) ont participé. Plusieurs études ont montré que les adoptées chinoises constituent un groupe distinct quant à la qualité et l’étendue de leur rattrapage développemental (Cohen et al., 2008; Miller & Hendries, 2000; Pomerleau et al., 2005; van Den Dries, Juffer, van Ijzendoorn & Bakermans-Kranenburg, 2010; Wilson, Weaver, Cradock, Kuebli, 2008). Il serait intéressant de connaître les défis liés à l’intégration à la garderie avec des enfants d’autres pays, par exemple d’Europe de l’est.

Par ailleurs, avec le portrait de l’adoption qui change de plus en plus, avec l’arrivée d’enfants de plus en plus vieux, avec des problèmes de santé importants et des défis très particuliers, on peut croire que l’adaptation à la garderie sera plus difficile. Il faudrait documenter l’adaptation à la garderie de ces enfants à besoins spéciaux. Il faudra également savoir comment le milieu scolaire est outillé pour répondre aux besoins spécifiques de ces enfants, lors de la transition en maternelle en particulier, puisque de plus en plus d’enfants arrivent au Québec à l’âge scolaire.

Une autre limite de cette étude reliée à la stratégie d’échantillonnage a trait aux biais de sélection. Il est possible que les parents qui ont participé à l’étude soient des parents qui ont rencontré des difficultés particulières durant la transition à la garderie et qui ont ressenti le besoin de se confier et d’être écoutés. Au contraire, on peut penser que la relation avec l’éducatrice était bonne, sinon les parents auraient pu être réticents à ce qu’elle participe à l’étude. Il est difficile d’estimer l’apport de ces variables.

Il faut mentionner également le caractère hétérogène de l’échantillon quant à l’expérience de garde. Près de la moitié de l’échantillon est composée de familles dont l’éducatrice est la première éducatrice de l’enfant dans le cadre d’une première expérience en service de garde. Pour l’autre moitié de l’échantillon, l’enfant est en service de garde depuis un an ou plus. Elle n’est donc pas la première éducatrice de l’enfant et ce n’est pas celle qui a vécu les premières expériences d’intégration de l’enfant au service de garde. Or, le vécu d’une dyade dans laquelle l’enfant fréquente le service de garde depuis déjà plus d’un an est probablement très différent de celui d’une dyade dans laquelle l’enfant débute son intégration au service de garde. Il est probable que les parents et l’éducatrice d’un enfant qui fréquente le service de garde depuis plus d’un an n’ont pas les mêmes attentes, les mêmes appréhensions ni les mêmes comportements que lorsque l’enfant fréquente le service de garde depuis un an ou plus. Il serait intéressant à cet égard de vérifier si les éducatrices qui ont l’expérience d’intégrer un enfant adopté de l’international perçoivent plus les défis et le considèrent moins comme un enfant pareil aux autres.

Une question de recherche intéressante concerne le niveau de formation des éducatrices. Nous avons insisté dans cet article sur le besoin de mieux outiller les éducatrices à faire face aux défis de l’enfant adopté. Il faudrait dans un premier temps explorer les différences d’opinion entre les parents et les éducatrices, mieux connaître les obstacles à la formation et enfin tester comment ces formations pourraient favoriser une meilleure intégration des enfants. Par exemple, il serait intéressant de voir si les parents et les éducatrices perçoivent une différence dans l’intégration des enfants quand une formation a été dispensée. Il serait intéressant aussi d’explorer la perception d’éducatrices ayant reçu une formation spécialisée en adoption, mais n’ayant pas une expérience personnelle de l’adoption.

D’autres pistes pourraient également être envisagées, notamment mieux comparer les défis liés à l’attachement en milieu familial et en milieu de garde. Il serait intéressant à cet égard de mieux documenter l’adaptation de l’enfant à sa vie familiale avant son intégration en milieu de garde. Par ailleurs, il serait pertinent pour de futurs travaux de recherche d’utiliser un devis quantitatif afin d’obtenir des données plus représentatives de l’ensemble des problèmes rencontrés par les familles adoptantes. Une étude longitudinale gagnerait à être réalisée avec une cohorte d’enfants qui entrent en garderie pour la première fois. Il serait ainsi possible de répertorier et de quantifier les problèmes de sommeil, d’alimentation, de socialisation ou d’attachement et de vérifier s’ils sont toujours présents à la fin du parcours préscolaire avant l’entrée à l’école. La présence d’un groupe témoin d’enfants biologiques pourrait permettre de mieux comprendre les défis typiques liés à l’adoption. Il serait par ailleurs intéressant de mieux connaître les antécédents des enfants adoptés (âge d’arrivée, type d’institution) et de voir leur impact modérateur ou médiateur sur leur adaptation. Une meilleure compréhension des comportements adaptatifs de l’enfant adopté de l’international en milieu de garde, ceux qui perdurent et ceux qui disparaissent avec les années permettrait aux éducatrices ainsi qu’aux parents non seulement de se préparer adéquatement en vue de l’intégration de l’enfant mais aussi d’intervenir efficacement auprès de lui.