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Au Canada, le salaire des élus municipaux – salaire déterminé par le conseil de chaque municipalité – fait débat. Trois exemples illustrent les controverses actuelles. Premièrement, à l’échelle du Canada, la hauteur de la rémunération de certains maires est souvent pointée du doigt : en 2017, un article de presse titrait ainsi « Edmonton Mayor’s Salary Could Be among Highest in Canada under New Proposal », comparant le salaire du maire d’Edmonton à celui de maires d’autres villes (Calgary, Toronto, Winnipeg et Vancouver par exemple[2]) (Stolte 2017). Deuxièmement, au sein des provinces, la diversité de la rémunération des maires, souvent mise en parallèle avec la taille de la municipalité, génère de l’incompréhension. Au Québec, en 2019, le salaire de la mairesse de Longueuil, ville de 430 724 habitants, est mis sous les projecteurs : avec un salaire annuel de 242 213 $, celle-ci dispose d’un salaire plus élevé que celui de la mairesse de Montréal (188 623 $/an), ville de 1,8 million d’habitants (Lévesque 2020a ; 2020b). Troisièmement, certains édiles manifestent leur malaise à l’idée de fixer leur propre traitement (McElroy 2019), tandis que d’autres considèrent que leur rémunération ne reflète pas le temps consacré à l’exercice de la fonction (Doll 2019). De même, de fortes augmentations de la rémunération des édiles sont souvent mal perçues par l’opinion publique (Schobel 2014). Ces différents exemples, plus ou moins accusateurs, invitent à rendre compte plus précisément de la réalité de la rémunération des maires au Canada.

Parmi les écrits, si plusieurs analyses, notamment en Europe, focalisent leur attention sur l’impact de la rémunération des élus sur la compétitivité de la scène politique, d’une part, et sur l’importance de la rémunération dans la professionnalisation des élus et dans la définition de leur fonction (Steyvers et Verhelst 2012), d’autre part, « on sait très peu de choses sur les rétributions monétaires des élus » (Michon et Ollion 2018). Ce constat est également valable au Canada : la rémunération des élus municipaux a fait l’objet de rares travaux à l’échelle de certaines provinces (Schobel 2014 ; Sancton 2015), mais il n’existe pas – à notre connaissance – un portrait de cette réalité à l’échelle pancanadienne.

Plusieurs raisons expliquent cette lacune. Le Canada réunit treize systèmes municipaux distincts (dix provinces et trois territoires), rendant difficile une appréhension globale du phénomène (Rivard et Collin 2006 ; Sancton et Young 2009). De plus, si la publicisation des données de rémunération des édiles est de plus en plus fréquente, soit à travers la presse soit sur le site des municipalités, les données de rémunération ne sont pas centralisées (ni au sein des provinces, ni à l’échelle du pays) : il faut donc chercher ces informations une à une au sein de chacune des 3560 municipalités du pays, ce qui constitue un défi pour la recherche. Par ailleurs, de telles données sont souvent lacunaires : certaines données sont manquantes et, surtout, elles ne permettent pas de comprendre la réalité de la fonction exercée (le temps consacré à cette fonction, par exemple, si la personne détient un autre emploi, etc.). Cette perception n’est d’ailleurs pas mise en relation avec le revenu de la personne avant qu’elle entre en fonction. La rémunération associée à la fonction élective n’est pas non plus comparée avec celle de municipalités comparables. De tels renseignements permettraient pourtant de brosser un portrait plus fin de cette réalité.

Dans ce contexte, l’objectif de ce texte est triple. Il s’agit tout d’abord de produire un premier portrait de la rémunération des maires au sein des différentes provinces canadiennes. Celui-ci permet de constater la pertinence de comparer la rémunération des édiles entre les villes canadiennes. C’est également un moyen de saisir l’éventuelle diversité des traitements au sein de chacune des provinces, eu égard notamment à la taille de la municipalité. Ensuite, il s’agit de mettre en évidence le temps que consacrent les édiles à l’exercice de leur fonction. Enfin, il est question de saisir la façon dont les élus municipaux perçoivent leur rémunération actuelle, en fonction de leurs revenus antérieurs, mais également en comparaison avec celle que reçoivent leurs homologues dans des municipalités comparables.

L’ambition de ce texte est avant tout exploratoire. Il s’agit de commencer le portrait d’une réalité encore peu documentée. Dans la première partie, nous revenons sur les écrits qui abordent la rémunération des élus. Après avoir montré la façon dont la rémunération des élus est susceptible de modifier les dynamiques de la scène politique, nous abordons les différentes conceptions de la fonction élective qui découlent de cette rémunération. La deuxième partie explique notre démarche méthodologique. Nous y rappelons les spécificités du contexte canadien et exposons les principaux éléments d’une vaste enquête documentaire et d’un sondage menés en 2020 auprès de l’ensemble des élus de 430 municipalités comptant plus de 9000 habitants au Canada. Puis, dans la troisième partie, nous détaillons les réponses obtenues au sondage, ce qui nous permet dans un dernier temps de réfléchir à la façon dont la rémunération participe à la définition de la fonction élective et caractérise la scène municipale au Canada. Plus précisément, nos résultats montrent les difficultés que posent la comparaison de la rémunération des maires entre différentes provinces et la nécessité de prendre en compte plusieurs variables, dont celle du temps consacré à l’exercice de la fonction. L’existence de maires à temps partiel et de maires à temps plein, si elle influence la rémunération de ces édiles, interroge plus globalement les conditions d’exercice de la fonction, l’entrée en politique, le degré de professionnalisation des élus et la compétitivité limitée de la scène politique municipale.

La rémunération des édiles : entre compétition et professionnalisation politiques

Si les écrits sur la rémunération des élus municipaux sont somme toute peu nombreux, ceux-ci se divisent en deux catégories. La première catégorie vise à découvrir les déterminants de la rémunération et l’impact de la rémunération sur les candidats potentiels et les dynamiques politiques en général. Ces analyses s’inscrivent le plus souvent dans le cadre de recherches quantitatives. La deuxième catégorie questionne les caractéristiques de la fonction élective et le profil des élus, et s’inscrit au sein d’analyses d’ordre majoritairement qualitatif, bien que des analyses quantitatives soient également réalisées. Malgré une approche différente du phénomène, ces deux catégories comportent de nombreux points communs, notamment en abordant la question des impacts potentiels d’une hausse de salaire des élus sur les dynamiques politiques en général.

La rémunération des élus et ses conséquences sur la scène politique

Dans son article sur la rémunération des élus, Timothy Besley (2004, 198) pose deux questions principales : « What determines politicians’ wages? And, do they affect the behavior of politicians or change the composition of the pool of potential politicians? » Alors que peu d’études se sont intéressées à la première question, de nombreuses analyses se sont concentrées sur la seconde à partir de modèles de la « political agency » (Besley 2004) ou du citoyen-candidat (Osborne et Slivinski 1996), détaillant les impacts de la rémunération sur 1) le comportement des élus ; 2) l’offre électorale ; 3) la sélection des candidats. En d’autres termes, la rémunération est conçue comme un élément susceptible de caractériser la scène politique et plus exactement le degré de compétitivité de celle-ci. Ces études partent du postulat que l’électeur ou l’élu est une personne qui dispose de l’information nécessaire pour faire des choix éclairés. De telles analyses concernent tant l’échelle nationale que l’échelle municipale et abordent la question de l’impact d’une hausse de salaire sur les trois dimensions citées plus haut. En d’autres termes, ces analyses établissent un lien entre le salaire des élus et la nature du gouvernement, comme l’expriment Nicholas Carnes et Eric R. Hansen (2016, 700) : « how much we pay our political leaders seems to affect the kind of government we get in return ».

Certaines analyses font ressortir l’impact du salaire sur l’exercice de la fonction élective et plus spécifiquement sur le comportement des élus. Besley (2004) souligne par exemple qu’une des motivations des élus est la réélection. Ainsi, selon lui, plus le salaire des élus est élevé, plus ils sont susceptibles d’adopter des politiques conformes aux voeux des citoyens. En outre, l’augmentation du salaire des élus limiterait les risques de corruption, bien que ce constat ait été nuancé par d’autres dans certains contextes (Benito et al. 2018). Des auteurs ont par ailleurs examiné si l’augmentation du salaire contribuait à limiter l’absentéisme (Braendle 2015) et à instaurer une certaine discipline. Certains ont également montré qu’un plus haut salaire tendait à réduire la taille du conseil municipal grâce à une organisation municipale plus efficace (Gagliarducci et Nannicini 2013).

D’autres encore révèlent que le salaire influence le vivier de candidats potentiels aux postes électifs, comme ce peut être le cas dans d’autres professions. Kurt Schobel (2014, 147) remarque, dans son analyse des rapports concernant la rémunération des édiles de 22 municipalités au Canada : « The first [element] was the desire to use remuneration to attract the largest possible group of candidates. In total, fifty-five per cent of the municipalities explicitly felt that higher remuneration would increase the pool of candidates. » Le salaire serait effectivement susceptible d’influencer la réélection d’un candidat ou plus encore d’agir sur la compétitivité de l’élection. Dans le contexte québécois et majoritairement non partisan, Jérôme Couture (2015, 121) par exemple affirme que « la rémunération affecte fortement la probabilité d’être élu sans opposition. En effet, l’augmentation du salaire des élus exprimés de façon logarithmique diminue la probabilité d’être élu sans opposition par rapport à celui de faire face à de la compétition [sic]. » La compétitivité d’une élection pourrait donc être affectée par la rémunération des élus.

Dans un même ordre d’idées, d’autres questionnent l’impact du salaire sur le type de candidats qui concourent aux postes électifs. De façon générale, cette relation ne fait pas consensus chez les chercheurs (Braendle 2015 ; Fedele et Giannoccolo 2020). Les habiletés des candidats sont souvent, dans ce type de modèle, appréhendées par un certain nombre de variables telles que le niveau de scolarité, la profession exercée auparavant et l’expérience politique. Si, pour Thomas Braendle (2015), une hausse de salaire n’affecte pas la qualité des candidats en lice, d’autres comme Peverill Squire (1992) ont montré que plus les salaires sont élevés, plus la représentativité des élus tend à être grande. Carnes et Hansen (2016) ont cependant vérifié si une augmentation du salaire des élus se traduirait par une diversité économique plus grande des candidats, concluant que ce n’est pas le cas. Néanmoins, ce sont généralement les partis politiques qui, à certaines échelles du moins, assurent un recrutement des candidats, limitant de fait la relation qui peut être esquissée entre le salaire et le type de candidats. Par ailleurs, comme Timothy Besley (2004) le mentionne, la plupart des candidats n’ont pas connaissance du salaire avant de s’engager, ce qui est d’ailleurs confirmé par Anne Mévellec et Manon Tremblay (2016) dans leur analyse des élus québécois. Ces constats invitent à creuser les motivations à la base d’un tel engagement politique.

Derrière ces différents modèles est mise en évidence l’idée que la rémunération n’est qu’un critère parmi d’autres qui entrent en ligne de compte dans la compétitivité de la scène politique. Se poser la question d’une hausse de salaires des élus invite ainsi à prendre en considération une multitude de facteurs : « Politicians’ salaries are associated with whether they hold outside jobs, how productive they are in our legislatures, how in-step they are with their constituents, and whether they run for re-election. These are all important features of our political process that we have to consider and balance when answering questions about whether politicians should get a pay raise. » (Carnes et Hansen 2016, 709) Enfin, Besley (2004) souligne que les tâches reliées à la fonction élective sont nombreuses et diverses. C’est notamment cet aspect qu’essaie de détailler le second type d’écrits portant sur la rémunération des élus.

La professionnalisation politique et le métier d’élu

Occuper une fonction élective, est-ce une profession ? Sans revenir sur les différentes définitions de la profession politique et de la professionnalisation bien décrites par Sébastien Michon et Étienne Ollion (2018) dans le contexte français, rappelons que les écrits tendent à catégoriser la carrière politique municipale en deux grandes figures : la figure de l’amateur d’une part et celle du professionnel en politique d’autre part. Ces deux figures ou idéaux-types, souvent appliqués à la fonction de conseiller municipal, suscitent un certain nombre de présupposés : « political professionalization in local government potentially evokes controversy. After all, local politics is often regarded as the arena of amateurism. » (Aars, Offerdal et Rysavy 2012, 66) La figure de l’amateur relève d’un idéal, celui qui exerce cette fonction sur son temps de loisirs, en parallèle d’une autre profession non politique (Steyvers et Verhelst 2012), qu’Andrew Sancton (2015, n.p.) décrit ainsi dans le cas canadien : « The notion of the “lay-amateur” in municipal government is appealing : public-spirited citizens from diverse walks of life offer themselves for election; successful candidates carry on with their normal daily activities, adding to their routines the relatively limited workload that comes with being a municipal councilor. » Selon Kristof Steyvers et Tom Verhelst, « les professionnels […] vont davantage l’exercer, soit à temps partiel en même temps qu’une autre fonction (compatible ou en lien avec la sphère politique), soit à temps plein » (2012, 5 ; notre traduction). Cette notion du « profane » en politique n’est pas sans lien avec le modèle du citoyen-candidat exposé plus haut : tout citoyen qui satisfait les critères d’éligibilité devrait pouvoir être éligible en tant que candidat à une fonction politique (Steyvers et Verhelst 2012). Au Québec, la façon dont peuvent se décliner le profil du profane et celui du professionnel pour certains conseillers municipaux est précisée par Mévellec (2018).

Dans ces définitions, si les questions de rémunération sont rarement abordées alors même qu’elles sont centrales à la définition de la profession, celle du temps passé à exercer ladite fonction est souvent détaillée. Le temps imparti à la fonction, temps partiel ou temps plein, s’il ne permet pas de fournir une distinction claire entre le profane et le professionnel, fournit une indication de la rémunération. Ce qui entoure la rémunération et son seuil pose d’autant plus question que la définition de l’ampleur de la tâche est également délicate, comme le soulignent Michon et Ollion (2018) dans le cas français. Les auteurs remarquent toutefois l’augmentation du nombre de professionnels politiques. Au Canada, Royce Koop (2016), dans une enquête auprès de 529 conseillers municipaux de grandes villes, observe que ceux-ci passent en moyenne 29 heures par semaine à la tâche.

Certaines analyses, généralement qualitatives, rejoignent les travaux présentés ci-dessus, en abordant plus directement la question de la rémunération et son impact sur le bassin potentiel de candidats. Dans le cas canadien, Sancton (2015) signale que certains « professionnels » de la politique pourraient refuser de considérer les postes électifs à l’échelle municipale parce que la rémunération est trop faible. Cela l’invite par la suite à se demander ce qui pousse les « amateurs » à se présenter à nouveau, étant donné que l’incitatif financier est faible. Pour y répondre, Andrew Sancton s’appuie sur l’étude de J. Eric Oliver, Shang E. Ha et Zachary Callen (2012) : il s’agit principalement pour ces personnes de servir leur communauté. Cela rejoint donc la motivation et la conception de la fonction élective, mais évoque également la « qualité » des candidats, comme nous l’avons mentionné en première partie : « Sometimes there is concern about candidate “quality,” but such worries invariably come from those with a nostalgic attachment to the “lay amateur.” In any event, almost everyone acknowledges that the problem if it exists, could well be made worse by raising salaries and expecting all councilors to give up their regular employment or professional practice. » (Sancton, 2015, n.p.)

D’autres analyses, en contexte européen, montrent que la taille de la municipalité tend à influencer la professionnalisation des élus – notamment celle des maires – (Dodeigne, Krukowska et Lazauskiene 2018), et probablement leur rémunération : « The recruitment process in small municipalities is very selective […] Nevertheless it is important to mention that local councilors in these municipalities are less often highly educated. Political recruitment in the biggest municipalities is more democratized in terms of gender and ethnic roots on the one hand, but more professionalised on the other. Furthermore, councilors from these bigger municipalities often tend to have local roots as well. » (Reynaert 2012, 33) Ces éléments plus sociodémographiques constituent un autre pan des recherches sur la professionnalisation et visent à dresser le profil des élus, leur carrière politique, etc. (Heinelt et al. 2018). En Europe, on apprend ainsi que « the local level political decision makers are predominantly male, middle-aged high in professional status and well-educated » (Reynaert 2012, 20). Dans le cas canadien, Sancton (2015) explique que l’on ignore la durée des carrières et le niveau de scolarité des élus.

La question de la taille de la municipalité est également intéressante, car elle est souvent associée à la rémunération. L’analyse de Schobel (2014) montre clairement par ailleurs que plusieurs villes considèrent que la démographie ne devrait pas être l’unique critère utilisé, mais que ce critère demeure pertinent pour comparer la rémunération entre municipalités. Dans le cas canadien, Sancton (2015) précise que les fusions municipales qu’a connues le pays ont réduit le nombre d’élus et donc augmenté la charge de travail des élus restants, conduisant à la professionnalisation de la fonction.

Au terme de cette rapide revue des écrits, plusieurs points peuvent être mis en évidence. Premièrement, notre revue a permis de voir que le temps consacré à la fonction, la taille de la municipalité, le profil sociodémographique de l’édile, sont autant de variables qui font partie des éléments qui doivent être analysés pour mieux comprendre la rémunération des élus municipaux et ses éventuels impacts, notamment sur la scène politique. Deuxièmement, au Canada, en dehors des travaux de Kurt Schobel (2014), Andrew Sancton (2015), Royce Koop (2016), et Anne Mévellec et Manon Tremblay (2016), on constate que la rémunération des édiles est une thématique encore peu explorée. En effet, bien que pertinentes, ces études abordent souvent la rémunération à travers un autre thème, si bien que la question de la rémunération en elle-même est rarement traitée autrement qu’en termes de baisse ou de hausse. Troisièmement, un regard global sur la réalité de la rémunération des maires canadiens n’a selon nous jamais été posé ainsi. Enfin, en dehors de rapports d’associations de municipalités en Ontario (Association of Municipal Managers, Clerks and Treasurers of Ontario [AMCTO] 2018) et au Québec (Fédération québécoise des municipalités [FQM] 2018), rares sont les enquêtes canadiennes qui interrogent les élus sur ce qu’ils pensent de leur rémunération, entre autres par rapport à d’autres élus qui occupent des postes dans des municipalités de taille semblable, mais également en comparaison avec leurs revenus avant leur entrée en fonction.

Démarche méthodologique

Avant de détailler la démarche méthodologique, nous décrirons tout d’abord le contexte municipal canadien, puis nous reviendrons sur la nature de l’enquête menée, les indicateurs retenus, la définition de notre échantillon et les outils de collecte de l’information.

Contexte canadien

Le Canada se compose de dix provinces et de trois territoires. Il n’existe pas de système municipal unique, mais plutôt un système municipal par province, même si des similitudes sont perceptibles entre les provinces. Les municipalités dépendent toutes du gouvernement provincial. Si cela a longtemps jeté une forme de discrédit sur le gouvernement municipal, les différentes initiatives prises au cours des dernières années ont permis de renforcer la position des municipalités (Sancton 2015). Par ailleurs, les provinces ne regroupent pas le même nombre de municipalités : la province de Québec comporte ainsi un nombre de municipalités très élevé (1131) en comparaison avec les autres provinces (par exemple 63 dans la province de l’Île-du-Prince-Édouard). Les modes d’élection (par l’ensemble de la population, par district ou mixte) et le nombre d’élus au conseil peuvent ainsi grandement varier d’une province à l’autre. Concernant l’élection des maires, remarquons seulement que « dans la plupart des cas, le maire est élu au suffrage universel sur le territoire de la ville » (Rivard et Collin 2006, 13). Nous ne détaillerons pas ici l’ensemble de ces caractéristiques et renvoyons plutôt les lecteurs à l’ouvrage d’Andrew Sancton et Robert Young (2009) qui présente bien les spécificités de chacune des provinces (voir l’annexe 1 pour la répartition par province/territoire du nombre de municipalités retenues dans l’échantillon).

Le paysage municipal canadien se caractérise également par la taille de ses municipalités. À l’échelle du Canada, selon les données du recensement de 2016, seules trois villes ont plus d’un million d’habitants (Toronto, Montréal et Calgary), suivies d’une cinquantaine de villes dont la population se situe entre 100 000 et 500 000 habitants (Statistique Canada 2017a). Certaines provinces, comme le Québec, se distinguent par ailleurs par la présence de très petites municipalités sur leur territoire : sur les 1131 municipalités que compte la province, 711 ont moins de 2000 habitants. Celles-ci représentent 6,9 % de la population de la province (Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation 2020). En d’autres termes, la taille de la municipalité est une caractéristique à considérer dans l’exercice de la fonction des édiles, car elle colore grandement la nature de celle-ci. En sociologie électorale, la taille de la municipalité est d’ailleurs souvent présentée comme une variable déterminante de l’offre et de la participation électorales (Couture, Breux et Bherer, 2014) et de la professionnalisation des édiles (Dodeigne, Krukowska et Lazauskiene 2018).

Il convient également de mentionner qu’il n’y a pas de parti politique à l’échelle municipale dans la majorité des provinces. Si le Québec et la Colombie-Britannique sont deux provinces qui disposent d’une loi encadrant la formation de partis politiques municipaux (Couture, Breux et Bherer, 2018), ceux-ci sont peu nombreux au regard, notamment, du nombre de municipalités. Ces partis politiques municipaux, lorsqu’ils existent, n’ont pas de lien officiel avec les partis politiques provinciaux ou fédéraux. Peu d’élus, à l’échelle municipale, passent donc par un processus de sélection des partis.

En termes de rémunération, si chacune des provinces dispose de sa propre législation, l’esprit demeure semblable et peut être résumé ainsi : chaque municipalité décide du traitement de ses élus. Toutes les lois indiquent qu’il est nécessaire que la municipalité se dote d’un règlement pour fixer la rémunération adéquate, mais aucune ne donne de précisions sur les seuils ou les critères à prendre en considération. On observe cependant des formulations différentes :

Le conseil d’une municipalité fixe, par règlement, la rémunération de son maire ou de son préfet et de ses autres membres.

Québec, 2020, art. 2

If a local government makes any payments to its mayor and councillors, it shall make a by-law that specifies (a) the amounts paid in annual salaries or other remuneration, and (b) any amounts paid as allowances for expenses resulting from the discharge of their duties including for attendance at meetings. 49(2)A by-law made under subsection (1) requires a majority of the members of council who are voting to vote in favour of making the by-law.

Nouveau-Brunswick, 2017, art. 49

Each member of council is to be paid any remuneration and benefits and any reimbursement or allowances for expenses that may be fixed by the council.

Saskatchewan, 2002, art. 56

D’autres différences existent certes (adoption des salaires à la majorité des deux tiers du conseil, obligation de reddition de compte aux citoyens, indemnité plutôt que salaire, etc.). Certaines municipalités doivent nommer une commission indépendante pour les aider dans la détermination d’une rémunération adéquate (Tank 2018). Des municipalités ont également décidé de plafonner la rémunération de base de leur maire (Ville de Montréal 2019). Toutes les municipalités ont par ailleurs dû faire face récemment à la décision du gouvernement fédéral de prélever un impôt sur leur allocation de dépenses (allocation qui peut venir s’ajouter à la rémunération de base). Dans la plupart des cas, les conseils municipaux ont voté une hausse salariale, permettant aux édiles de ne pas subir de pertes de rémunération (Tank 2018 ; Goudreault 2019).

Échantillon et outils de collecte de l’information

La recherche s’inscrit dans le cadre d’une enquête pancanadienne intitulée le Baromètre municipal du Canada[3], sondage annuel mené auprès des élus municipaux de toutes les municipalités canadiennes de plus de 9000 habitants. Cette enquête se base sur un échantillon de 430 municipalités, réparties dans les dix provinces et deux des trois territoires du Canada (voir annexe 1). Les 430 municipalités représentent près de 80 % de la population canadienne. Des invitations auprès de 3622 conseillers municipaux et maires ont été envoyées à partir du 6 janvier 2020. Le 28 février 2020, le sondage a été clôturé ; 799 personnes ont répondu, soit un taux de réponse de 22 %, taux qui reste satisfaisant au regard de la longueur de l’enquête (29 minutes), bien qu’un peu plus bas que celui d’enquêtes portant sur les conseillers municipaux uniquement (Koop 2016[4]).

Afin de documenter de plus près la rémunération des élus municipaux, nous avons tout d’abord réalisé une vaste enquête documentaire visant à déterminer les rémunérations des élus municipaux au sein des municipalités constitutives de l’échantillon. Cette recherche a été réalisée sur les sites des municipalités et parfois dans la presse, lorsque l’information n’était pas disponible autrement. L’objectif de cette observation documentaire était de recenser les salaires actuels des édiles en poste afin de saisir à quoi ressemble la rémunération des maires à travers le Canada.

Puis, nous avons exploité certaines données issues du Baromètre municipal du Canada. Ce sondage abordait de nombreuses thématiques parmi lesquelles on peut citer : les priorités en matière de politiques publiques municipales, l’innovation dans le domaine des politiques publiques municipales, les relations intergouvernementales municipales, ainsi que la rémunération et la carrière des élus municipaux. C’est cette dernière partie qui nous intéresse ici. Aux fins du présent article, nous aborderons donc les thématiques listées au tableau 1, sélectionnées en lien avec la revue des écrits présentée plus haut.

Concernant l’occupation d’une autre profession, nous regarderons – dans le cadre de cette enquête – si l’élu détient une autre profession, mais n’examinerons pas la nature de celle-ci. Par ailleurs, nous avons sélectionné quelques informations biographiques : le niveau de scolarité, l’âge, les années d’expérience en politique municipale, l’origine ethnoculturelle déclarée et le genre déclaré. Sur l’ensemble des répondants, nous avons retenu 119 maires (voir tableau 2). Bien que le sondage ait récolté davantage de répondants (125 maires), nous en avons retiré certains afin de conserver leur anonymat, dans les provinces ou les territoires où le nombre de municipalités retenu au sein de l’échantillon est trop faible et permettrait une reconnaissance indirecte des répondants. Ainsi, notre échantillon ne contient pas de représentant de villes de plus de 500 000 habitants, car celles-ci sont trop facilement identifiables. Par ailleurs, les données présentées ne sont pas pondérées et reflètent les réponses fournies aux questions posées.

Tableau 1

Thématiques et questions du sondage analysées

Thématiques et questions du sondage analysées
Source : Baromètre municipal du Canada 2020

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Tableau 2

Répartition des répondants par taille de municipalité

Répartition des répondants par taille de municipalité
Source : Baromètre municipal du Canada, 2020

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Les données du sondage fournissent de l’information tout à fait originale sur la question. Elles permettent de brosser, pour la première fois, un certain portrait de l’enjeu. Comme nous le démontrerons, ce travail exploratoire appelle d’autres recherches qui gagneraient à adopter un protocole plus qualitatif. Parler d’argent et de salaire est cependant délicat. Certains observateurs le soulignent : « Quant à savoir si les maires et, plus largement, les conseils municipaux sont en conflit d’intérêts lorsqu’ils s’attribuent des hausses de rémunération […] C’est ça, la vraie question. » (Lévesque 2019) En ce sens, le sondage constitue un outil intéressant pour aborder ces thématiques de façon plus générale.

Être maire : une perte de salaire ?

Des rémunérations variables selon la taille des municipalités[5]

Notre premier objectif était de documenter la rémunération des maires à travers les différentes provinces du Canada, afin notamment de voir 1) si la rémunération est comparable entre municipalités de différentes provinces ; 2) si la diversité de rémunération dénoncée par les journaux est réelle ; 3) si la taille de la municipalité est un élément à prendre en considération.

Notre recherche documentaire a rencontré plusieurs limites. Comme nous le mentionnions d’entrée de jeu, il n’a pas toujours été possible de trouver l’information sur les données de rémunération pour les villes de notre échantillon dans quelques provinces, confirmant les propos d’un bureau d’enquête de journalistes québécois : « il peut être difficile d’avoir accès à l’information et de comprendre la rémunération des élus locaux. Bien que les villes soient maintenant obligées d’afficher les salaires cumulatifs des élus sur leur site Web, il est parfois ardu d’y dénicher les données, quand elles ne sont pas carrément absentes. » (Lefebvre, Langlois et Valeria 2019) Par ailleurs, si la majorité des données datent de 2019 et de 2018, quelquefois de 2017, nous avons dû dans certains cas retirer des municipalités car les données trouvées étaient trop anciennes (2015, parfois 2012). Finalement, nous avons obtenu de l’information pour 354 municipalités sur 430, soit 82,3 % des cas.

Le tableau 3 présente les salaires annuels moyens en dollars des élus pour chacune des provinces par taille de municipalité. Ce tableau n’a pas pour vocation d’établir une comparaison entre les provinces, puisqu’il ne prend pas en compte le contexte spécifique de celles-ci (la réalité économique par exemple). Le tableau est plus intéressant sur ce qu’il peut dire de la diversité de la rémunération des maires au sein de chacune des provinces. De façon générale, plus la taille de la municipalité est importante, plus le salaire du maire tend à être élevé : des exceptions interviennent cependant, surtout dans les deux premières catégories de municipalités. Ainsi, en Nouvelle-Écosse, le salaire moyen du maire tend à être sensiblement identique entre les municipalités de moins de 15 000 habitants et celles situées entre 15 000 et 24 999 habitants. Au Nouveau-Brunswick, le salaire moyen des maires des municipalités de 15 000 à 24 999 $ est plus faible que celui des municipalités de moins de 15 000 habitants. De telles différences peuvent s’expliquer par le statut des maires au sein de ces municipalités, certains édiles étant à temps partiel. Autant d’éléments que les réponses au sondage vont permettre de préciser.

Tableau 3

Salaire moyen des élus par province et par taille de municipalité*

Salaire moyen des élus par province et par taille de municipalité*

* L’abréviation anglophone des provinces a été choisie pour des raisons graphiques et parce que les provinces sont souvent désignées ainsi. AB : Alberta, BC : Colombie-Britannique, ONT : Ontario, QC : Québec, SAS : Saskatchewan, NS : Nouvelle-Écosse (Nova Scotia), MB : Manitoba, NB : Nouveau-Brunswick, NL : Terre-Neuve-et-Labrador (Newfoundland), PEI : Île-du-Prince-Édouard.

Conception : S. Breux, à partir des sites des municipalités et de la presse [2017-2020]

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Devenir maire signifie-t-il perdre des revenus ?

Les réponses fournies au sondage permettent de réaliser un portrait plus fin de cette réalité. Parmi les 119 répondants, 23 sont des maires à temps partiel (tableau 4). Nous présenterons donc les résultats aux différentes questions en suivant cette distinction temps partiel/temps plein.

Tableau 4

Répartition des répondants par taille de municipalité et par temps de travail déclaré (temps plein ou temps partiel)

Répartition des répondants par taille de municipalité et par temps de travail déclaré (temps plein ou temps partiel)

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Le nombre moyen d’heures déclarées passées à l’exercice de la fonction varie : de 47 heures par semaine à 54 heures pour le temps plein ; de 25 heures à 35 heures pour le temps partiel. La moyenne pour l’ensemble des provinces se situe à 50,5 heures par semaine pour le temps plein, et à 30,5 heures par semaine pour le temps partiel[6].

À la question de savoir où se situent les revenus des maires actuellement par rapport à la situation qu’ils connaissaient avant leur entrée en fonction (voir annexe 2), de façon générale et d’un point de vue pancanadien, les maires à temps plein considèrent que leurs revenus actuels sont plus faibles que ce qu’ils avaient avant leur entrée en fonction. Plus précisément, par province, la moitié des répondants considèrent que leurs revenus sont « beaucoup plus bas qu’auparavant » ou « plus bas », et ce, au sein des catégories de municipalités allant jusqu’à 24 999 habitants. Concernant le salaire lié à la fonction, si l’on retrouve globalement des tranches de salaires comparables aux salaires moyens relevés dans notre recherche documentaire, les salaires déclarés par les répondants ont tendance à être plus élevés (une catégorie supérieure) : cela s’explique, d’une part, parce qu’on leur demandait de comptabiliser l’ensemble de leurs rémunérations (allocation et remboursement de dépenses) et, d’autre part, parce que le tableau présente des moyennes. Néanmoins, on perçoit de nettes différences entre les salaires moyens et les salaires déclarés. En Ontario, où le salaire moyen pour les municipalités de moins de 15 000 habitants est de 31 140 $, les répondants ont plutôt déclaré un salaire entre 60 000 et 79 999 $ (voir annexe 4). Cela s’explique, selon nous, par la forte présence d’édiles à temps partiel dans cette province (AMCTO 2018). L’analyse des répondants à temps partiel que nous effectuerons dans un second temps permettra de détailler cet aspect.

La comparaison de leur salaire avec celui de leurs homologues dans des municipalités comparables dégage à l’échelle du Canada un consensus. L’analyse factorielle[7] représentée à la figure 1 montre que les maires dont la rémunération se situe entre 20 000 et 39 000 $ et entre 40 000 et 59 000 $ (20-39 $ et 40-59 $) considèrent que leur salaire est un peu plus bas (un peu moins) que les autres. Les maires dont la rémunération est comprise entre 60 000 et 79 000 $ (60-79 $) et entre 100 000 et 119 000 $ (110-119º$) considèrent avoir un salaire dans la moyenne (moyenne) ou ne le savent pas (lettre « b »). La plupart des répondants se situent dans la moyenne ou ne le savent pas. On constate que les hommes (lettre « H ») considèrent leurs revenus plus proches de la moyenne que les femmes (lettre « F »). À l’annexe 4, une même analyse a été reproduite avec l’ajout des provinces, permettant de souligner que les répondants de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec considèrent leur salaire plus proche de la moyenne que les répondants des autres provinces.

Figure 1

Portrait de la rémunération réelle et comparée des maires à temps plein

Portrait de la rémunération réelle et comparée des maires à temps plein

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Du côté des maires à temps partiel, le constat est inverse. Les répondants considèrent en majorité que leurs revenus sont supérieurs à ceux qu’ils avaient auparavant (annexe 3). Il convient de préciser que ces maires exercent une autre profession en parallèle dans 65 % des cas (15/23). Il s’agit donc d’un second revenu. L’analyse factorielle de la figure 2 montre que les maires considèrent en majorité que leur salaire est inférieur à la moyenne. Celui-ci se situe majoritairement entre 20 000 et 39 999 $ (20-39 $). Les femmes (« F ») considèrent cependant que leur rémunération est plus proche de la moyenne que les hommes (« H »). L’analyse factorielle (annexe 5) permet de situer les différentes provinces les unes par rapport aux autres.

Figure 2

Portrait de la rémunération réelle et comparée des maires à temps partiel

Portrait de la rémunération réelle et comparée des maires à temps partiel

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Pour terminer ce rapide portrait, qui sont ces élus ? Les maires à temps plein sont majoritairement des hommes (68/96 sont des hommes, 14/96 sont des femmes[8]). Cela fait une dizaine d’années qu’ils sont élus à l’échelle municipale. Ils ont en moyenne 58 ans. Ils détiennent en majorité un diplôme universitaire (baccalauréat, maîtrise, diplôme technique ou doctorat) et 25 % d’entre eux détiennent un baccalauréat. Ils se déclarent « blanc » à 91 %[9]. Si l’on compare avec la population qu’ils représentent (selon le Profil des communautés publié par Statistique Canada 2017b), 71,3 % de la population n’appartient pas à une minorité visible, et 15,5 % détient un baccalauréat. Les maires à temps plein présentent donc un profil spécifique par rapport à la population qu’ils représentent.

Le profil des élus à temps partiel est semblable : ce sont majoritairement des hommes (4 femmes sur 23, 1 sans réponse). Cela fait également une dizaine d’années qu’ils sont élus à l’échelle municipale. Ils sont âgés en moyenne de 62 ans, sont donc plus âgés que les élus à temps plein. Ils détiennent en majorité un diplôme universitaire (26 % d’entre eux ont un baccalauréat), mais la proportion de personnes ayant une formation secondaire est plus élevée que celle des élus à temps plein (annexe 6). Ils se déclarent « blanc » à 86,9 % et 8,6 % d’entre eux ont choisi de ne pas répondre à cette question[10]. Si l’on compare avec la population qu’ils représentent (selon le recensement publié par Statistique Canada 2017b), 95,3 % de la population n’appartient pas à une minorité visible, et 11% détient un baccalauréat. Ce portrait nous permet de dresser le profil majoritaire du tableau 5, qui ne s’applique bien entendu qu’à notre échantillon et non à l’ensemble des maires du pays.

Tableau 5

Profil majoritaire des maires

Profil majoritaire des maires

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La rémunération des maires : reflets des caractéristiques de la scène municipale canadienne

Cette recherche exploratoire avait pour but 1) de dresser un portrait de la rémunération des maires au Canada, afin notamment de voir si une comparaison interprovinciale était pertinente et si la diversité de rémunération entre édiles était réelle ; 2) de mettre en évidence le temps que consacrent les élus municipaux à l’exercice de leur fonction ; 3) de saisir la façon dont les élus municipaux perçoivent leur rémunération actuelle, en fonction de leurs revenus antérieurs, mais également par rapport à la rémunération de leurs homologues dans des municipalités comparables. Au terme de cette analyse, plusieurs constats émergent et permettent d’évoquer plusieurs pistes de recherche à approfondir.

Premièrement, notre enquête laisse penser que la comparaison des salaires des maires entre provinces demeure une entreprise complexe : pour être bien comprise, la rémunération doit être remise dans le contexte de chacune des provinces, mise en lien avec la catégorie de taille de la municipalité, mais également avec le nombre d’heures passées à l’exercice de la fonction. Notre observation documentaire a montré qu’il existe tout de même des écarts entre les différentes provinces. Le Manitoba et l’Ontario semblent avoir des rémunérations plus faibles, ce qui explique probablement un nombre plus élevé d’élus à temps partiel. Des différences entre provinces, particulièrement au sein des municipalités de taille plus petite, apparaissent également. Le Québec, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse semblent cependant avoir des rémunérations comparables entre elles plus qu’avec d’autres provinces.

Deuxièmement, notre recherche a mis au jour l’existence de deux réalités : les maires à temps partiel et les maires à temps plein. La déclaration de temps partiel, l’exercice d’une autre profession en parallèle, la hauteur de la rémunération, la taille de la municipalité sont autant d’éléments qui illustrent cette idée, déjà évoquée par d’autres, de la figure de l’élu « profane » ou « amateur », à l’échelle canadienne (Chiasson et Mévellec 2014). Ces caractéristiques remettent en question les conditions d’exercice de la fonction : la fonction, par le temps qui lui est dévolu, est-elle cantonnée dans cette vision idéalisée de l’amateur qui exerce cette fonction sur son temps de loisirs, telle que décrite par Steyvers et Verhelts (2012, 5) : « For laymen, taking up office is a leisure-time activity usually combined with another (non-political) profession » ? Au sein de notre échantillon, les maires à temps partiel déclarent en moyenne passer 30,5 heures par semaine à l’exercice de la fonction, soit plus de la moitié du temps déclaré par les maires à temps plein (50,5 h/semaine). Peut-on encore parler d’une fonction à temps partiel dans ces conditions ? Cela veut-il dire que la fonction de maire est de facto – et ce, même dans les municipalités les plus petites – une fonction à temps plein, en dépit de son affichage à temps partiel ? Cette fonction à temps plein se traduit-elle par une professionnalisation de la fonction pour les maires à temps partiel ? Si le fait que la majorité des élus exercent à temps partiel laisse penser que l’élu municipal reflète la figure de l’amateur, l’exemple des maires à temps partiel invite à considérer que la figure de l’amateur et du professionnel constitue davantage une réalité complexe qui varie fortement à l’échelle individuelle d’une part et en fonction du contexte d’autre part (Steyvers et Verhelst 2012). Ainsi, s’il est probable que les profils de l’amateur et du professionnel se côtoient dans le cas canadien, il est aussi possible que l’entre-deux, la figure du semi-professionnel, existe également. La seule référence aux heures passées à l’exercice de la fonction n’est pas vraiment suffisante pour qualifier la fonction, puisque la réalité peut être différente des attributions de départ. Il faudrait pousser l’analyse et déceler la présence de personnel dédié et la façon dont les élus à temps partiel répartissent leurs heures (Koop 2016 ; Mévellec 2018), mais également comprendre la lourdeur de la tâche.

Les caractéristiques présentées montrent cependant que la fonction, offerte à temps partiel, exclut un nombre de candidats potentiels. Cette fonction a un impact sur l’offre électorale : cela n’est pas sans conséquences, quand on sait qu’à l’échelle municipale au Canada, la présence de candidats sortants est importante et que les élections par acclamation sont également un phénomène réel. L’absence de compétition électorale, en retour, agit sur la participation électorale, dont on sait qu’elle tend à être plus faible aux élections municipales qu’aux autres niveaux de gouvernement (Breux, Couture et Koop, 2017). Dans un tel contexte, la fonction élective à temps partiel participe au maintien de ces caractéristiques. Ce constat est également valable pour les élus à temps plein : occuper un poste électif municipal constitue une perte de revenus, si bien que le salaire n’est pas compétitif. Est-ce dû à un déséquilibre entre les heures passées et le salaire ? Alors que les maires de certaines grandes villes ont plafonné leur salaire – notamment pour que les heures passées sur certains comités ne viennent pas augmenter de façon trop vertigineuse leur salaire et aussi pour rendre celui-ci acceptable aux yeux des électeurs –, il semble qu’il existe d’autres contextes où aux yeux des édiles la rémunération mériterait d’être rehaussée, entre autres au regard du nombre d’heures consacrées à l’exercice de la fonction[11].

Troisièmement, bien que notre enquête ait mis au jour l’existence de deux mondes, relativement poreux, un monde à temps plein et un à temps partiel, elle montre toutefois des profils semblables et surtout une absence d’évolution du profil des élus – du moins au sein de notre échantillon : l’élu municipal est un homme, blanc, d’une cinquantaine d’années, détenant un diplôme universitaire. Ce profil ne nous permet pas de démentir l’affirmation de James Lightbody (2006, 189) : « City politics is a white, middle-class, middle-aged, male sport. » Néanmoins, une analyse fine de la représentativité des élus reste à faire. Ce constat pose également une double question : celle de la rémunération et celle de l’entrée en politique. En effet, si la rémunération actuelle constitue une perte de salaire pour nombre d’élus, est-ce à dire que la fonction attire des profils professionnels spécifiques, habitués à des salaires plus élevés ? Cela n’est pas sans lien avec les réflexions de Sancton (2015, n.p.) sur le niveau de scolarité : « In any event, as far as education levels are related to professional status, we would expect the education received to be directly related to the requirements of the profession itself. » En outre, le profil actuel de l’élu municipal interroge la façon dont se fait l’entrée en politique et remet en perspective une autre caractéristique de la scène municipale canadienne : l’absence de partis politiques. Il est en effet possible de penser que ces formations politiques favorisent le renouvellement de la classe politique et sa diversification : leur absence nuit à la sélection de candidats potentiels (Breux, 2013).

Cette recherche comporte toutefois quelques limites : nous avons fait le choix de décrire grossièrement une réalité, nos explications de celle-ci demeurent donc plutôt spéculatives. Bien qu’il reste de nombreux angles morts – et que de nombreuses données recueillies par le Baromètre municipal canadien restent à traiter –, ce premier portrait permet de poser des balises pour l’analyse de ce phénomène et interroge les caractéristiques de la scène politique municipale. Si, pour Mévellec et Tremblay (2016, 105), « de toute évidence, la rémunération est un enjeu central des conditions matérielles de l’exercice des mandats municipaux », il convient selon nous d’ajouter que la rémunération constitue également un enjeu déterminant des dynamiques de la scène politique municipale, notamment de l’offre et de la participation électorales.