Recensions

Le promoteur, la banque et le rentier. Fondements et évolution du logement capitaliste, de Louis Gaudreau, Montréal, Lux, 2020, 445 p.[Record]

  • Frédéric Mercure-Jolette

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Satisfaire ses besoins en encaissant du même coup une plus-value, voilà ce que promet le marché immobilier contemporain. Si les vêtements que l’on porte perdent inévitablement de la valeur à l’usage, le logement, lui, nous dit-on, peut protéger des intempéries et offrir un espace d’intimité, de confort et de repos, tout en gagnant simultanément en valeur. Le logement est ainsi un des seuls biens – voire le seul – qui satisfait à la fois une nécessité vitale et représente un investissement lucratif. Trop beau pour être vrai ? Comme le souligne d’entrée de jeu la préface de Christian Topalov, « l’immobilier est un pays de mirages », ce que vise précisément à démontrer Le promoteur, la banque et le rentier de Louis Gaudreau. Puisant à la fois dans la théorie marxiste et dans la théorie de la régulation, Gaudreau analyse le processus historique qui a mené à la forme financiarisée du marché de l’immobilier et ses effets pervers sur l’accès au logement. S’appuyant sur une vaste recherche historique et sociologique concentrée sur les cas canadien et états-unien, Gaudreau expose les fondements et l’histoire du marché de l’habitation. Dans un premier temps, il rappelle que la transformation du logement (un bien immobile) en marchandise (une valeur qui circule) ne va pas de soi. Tablant sur les idées de David Harvey, Gaudreau montre que la fixité de la propriété immobilière est à la fois une condition de possibilité et un obstacle à la circulation du capital. Ainsi, à chaque étape de l’évolution du marché de l’immobilier, il a fallu mettre en place des stratégies de liquéfaction du bien fixe qu’est le logement ; la titrisation des hypothèques permettant leur revente sur un marché secondaire étant la plus récente innovation qui favorise la marchandisation du logement. Après avoir présenté ce cadre conceptuel, Gaudreau analyse chacune des « étapes » du marché de l’immobilier, soit la consommation, la production et le financement. Se dégagent alors trois phases historiques marquées par des logiques propres : l’industrialisation, l’organisation fordiste et la financiarisation néolibérale. L’intérêt de cette perspective historique est d’arriver à une compréhension plus fine de la situation actuelle. D’aucuns se surprendront d’apprendre que l’État canadien joue un rôle clé dans l’évolution du marché immobilier. Dans un premier temps, en ayant favorisé l’accès à la propriété et stimulé la construction de masse grâce à un ensemble de régulations et de programmes d’aide à la construction durant la période fordiste (1930-1980) et, dans un deuxième temps, en s’étant porté garant des prêts hypothécaires et en ayant encouragé les institutions financières à prêter davantage en investissant lui-même, au moyen de la Fiducie du Canada pour l’habitation, dans le marché (secondaire) des titres hypothécaires. En uniformisant et en faisant croître la demande, le fordisme a aussi favorisé l’émergence de la grande entreprise de construction. Pourtant, Gaudreau nous apprend que l’intégration des multiples fonctions dans une même entreprise fut une parenthèse de la période fordiste. Les grands promoteurs d’aujourd’hui, comme les rentiers d’autrefois, ont largement recours à la sous-traitance. Au nom de la flexibilité, les promoteurs ne conservent habituellement que les tâches stratégiques de direction et de financement (soit la gestion des partenariats avec les fonds d’investissement). La construction, l’élaboration des plans, les études juridiques, les ventes et le marketing sont maintenant sous-traités par des entreprises où l’emploi est dès lors d’autant plus précaire. Magnanime, la promotion immobilière offre toutefois une solution de rechange à la précarisation du salariat : le prêt hypothécaire. Gaudreau montre en effet comment, dans la période néolibérale, l’investissement immobilier fait office de succédané pour les travailleurs et travailleuses qui ne peuvent plus, comme …