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Comment le processus de production des nouvelles crée-t-il des distorsions entre la réalité et sa représentation dans les médias ? Quelles sont les conséquences de ce qu’on qualifie régulièrement, dans le discours public, d’exagération médiatique ? Ce sont quelques-unes des questions au coeur de l’ouvrage de communication politique From Media Hype to Twitter Storm, paru en 2018 sous la direction du sociologue des médias Peter Vasterman. Cet ouvrage collectif est l’occasion d’approfondir le concept de media hype (qu’on pourrait traduire par « battage médiatique ») mis de l’avant par Vasterman lui-même il y a une quinzaine d’années. Il le définit comme un phénomène trouvant son origine à l’intérieur de la sphère médiatique, qui part d’un événement spécifique primordial donnant lieu à une couverture mur à mur renforcée par le mode de production des médias (p. 20). Le livre s’ouvre avec une préface du spécialiste des communications politiques Hans Mathias Kepplinger, qui souligne que le principal danger d’un media hype est l’ancrage chez le grand public d’une perception erronée de la réalité (p. 13). Dans l’introduction, Vasterman présente ce qui sera une des principales lignes de force de cet ouvrage, soit le rôle démiurgique joué par les médias, qui ne font pas que rapporter les événements, mais créent ou à tout le moins influencent le cours des choses à la suite de l’événement primordial à l’origine du hype (p. 20). Il se réjouit de ce que le phénomène ait généré beaucoup d’études au cours des dernières années, ce dont il fait la démonstration grâce à une éclairante revue de la littérature où sont mentionnés la plupart des collaborateurs du livre collectif. C’est d’ailleurs dans le but de réunir ces auteurs et de mettre en commun leurs différentes approches qu’il a réalisé cet ouvrage (p. 26).

Passé l’introduction, le livre se divise en quatre parties comptant chacune quatre chapitres. La première trace les contours conceptuel et méthodologique des media hypes. Dans le chapitre un, le sociologue Marcello Maneri mobilise le concept foucaldien de « formation discursive » (p. 39) et montre comment des media hypes peuvent mener à l’émergence de paniques morales (p. 44). Au chapitre suivant, Wouter van Atteveldt, Nel Ruigrok, Kasper Welbers et Carina Jacobi étudient l’évolution des « déferlantes de nouvelles » (news waves) à travers l’analyse du contenu d’un journal néerlandais entre 1950 et 2014. Cela leur permet d’identifier un mécanisme récurrent de renforcement de ces vagues, qui procède d’une triple logique : intra-médiatique, inter-médiatique et extra-médiatique (p. 64-65). Dans le chapitre trois, Stefan Geiß observe l’absence de méthode standard pour mesurer l’évolution de la couverture d’un enjeu par un média (p. 83-84) et propose une méthode fondée sur l’analyse de quatre variables et de cinq types d’enjeux. Enfin, dans le chapitre quatre, le philosophe Adam Auch s’intéresse aux science hypes, un dérivé des media hypes, qu’il définit comme la couverture médiatique ratée, bâclée ou sensationnaliste d’une découverte scientifique (p. 117). Auch déplore que les science hypes disséminent des informations erronées dans la sphère publique, entretiennent de faux espoirs (et de faux désespoirs) et menacent le lien de confiance entre les scientifiques et le grand public (p. 119).

La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la mécanique des media hypes. Dans le chapitre cinq, la politologue Anne Hardy s’intéresse au travail des médias lors de ce qu’elle appelle des « tempêtes médiatiques » (media storms) qui sont des moments où le consommateur de médias ne peut pas ignorer une nouvelle (p. 134). Prenant pour étude de cas les attentats de Bruxelles de mars 2016, Hardy a rédigé son chapitre à partir d’entretiens semi-dirigés menés auprès de seize employés de salle de presse de différents médias belges. Dans le chapitre six, Charlotte Wien observe que les media hypes se construisent tous selon un modèle semblable et déconstruit le mythe voulant qu’ils puissent avoir un effet sur les orientations politiques au niveau national ; elle constate toutefois que les media hypes peuvent avoir une influence pour des transformations politiques à l’échelle locale (p. 161). Le chapitre sept, écrit par Thierry Giasson, Marie-Michèle Sauvageau et Colette Brin, mobilise le concept de « tsunami médiatique » (media tsunami), un media hype caractérisé par une série de vagues successives, sans cesse plus intenses (p. 170). Le concept est utilisé pour analyser les débats autour de l’adoption de la Charte des valeurs au Québec entre 2012 et 2014. Finalement, au chapitre huit, Gonçalo Pereira Rosa montre que les grands médias contribuent directement à la création de déferlantes de nouvelles et que celles-ci sont difficilement arrêtables lorsqu’elles sont en mouvement.

La troisième partie porte sur les effets des media hypes sur les enjeux, les crises et l’opinion publique. Dans le chapitre neuf, Ik Jae Chung s’intéresse à l’interaction entre les médias et le grand public, qu’il présente comme deux « acteurs codépendants » dans l’émergence d’un media hype. Il s’intéresse particulièrement aux journaux en ligne, qui sont des « stations » où interagissent les médias et le grand public (p. 223). Ensuite, dans le chapitre dix, les politologues Pernille Carlsson et Christian Elmelund-Paoetekoer abordent les manières dont un media hype peut affecter les travailleurs. Ils révèlent ainsi comment des éducatrices, au Danemark, ont changé leur manière de travailler en réaction à un media hype (p. 243). Puis, dans le chapitre suivant, Audun Beyer et Tine Ustad Figenschou montrent que le public est majoritairement critique de la couverture médiatique lors des media hypes, qu’ils considèrent exagérée et biaisée (p. 258-259). Enfin, dans le chapitre douze, Marianne Paimre et Halliki Harro-Loit présentent une vision plus positive du media hype et montrent comment, en Estonie, l’intense couverture entourant le trafic de drogue a pu favoriser une discussion nationale sur cet enjeu (p. 283).

Finalement, la dernière partie s’intéresse à une dimension désormais incontournable du battage médiatique, soit le rôle que jouent les médias sociaux. Dans le chapitre treize, Annie Waldherr montre que dans un environnement médiatique hybride où cohabitent les médias de masse traditionnels et les médias sociaux, la multiplication des sources d’information réduit la probabilité qu’un enjeu puisse attirer l’attention de l’ensemble du public (p. 293). Le chapitre quatorze de Vivian Roese décrit la forte interdépendance liant les réseaux sociaux, leurs usagers et les médias de masse traditionnels dans la création et la diffusion de la nouvelle. Roese décrit les conséquences de cette interdépendance, dont la plus grande probabilité d’un « hype accidentel » qui peut concerner n’importe quel type de nouvelle (p. 316). Andrea Cerase et Claudia Santoro décrivent ensuite au chapitre quinze l’inquiétant phénomène des canulars raciaux (racial hoaxes), des fausses nouvelles se développant en marge des media hypes et qui se répandent par le biais des réseaux sociaux et influencent l’opinion publique (p. 346). Finalement, le chapitre seize, écrit par Augustine Pang, Jeremiah Icanh Lim Limsico, Lisahn Phong, Bernadette Joy Lopez Lareza et Sim Yee Low, s’intéresse à un phénomène propre au réseau social Twitter, soit le détournement par des utilisateurs aux motivations diverses de mots-clics (#hijack) lancés par de grandes compagnies à des fins promotionnelles.

Cet ouvrage tombe à point nommé au coeur d’une époque caractérisée par une méfiance grandissante du public à l’égard des médias traditionnels, qu’on accuse de présenter une vision détournée de la réalité. L’exagération des médias dans la couverture de certains incidents ou phénomènes est une critique qui s’est fait une niche, particulièrement au sein de la gauche intellectuelle. Loin de réfuter l’existence de telles exagérations, cet ouvrage offre des clés pour réfléchir aux conditions de production médiatique qui en facilitent l’existence et aux conséquences réelles que peut avoir une couverture médiatique qui ne reflète pas l’importance réelle d’un enjeu. En tant qu’ouvrage collectif, From Media Hype to Twitter Storm réussit là où tant d’autres échouent grâce à une division logique en quatre parties, ce qui n’empêche pas que chaque chapitre peut se lire individuellement. La plupart des contributions sont éclairantes. Toutes ne sont pas également accessibles cependant. Plusieurs chapitres demandent une certaine base en méthode quantitative. Rien de trop rébarbatif heureusement. Une connaissance préalable du champ des communications politiques peut aider à la lecture, mais n’est pas essentielle. On lève notre chapeau pour la multiplication des points de vue : si la plupart des auteurs viennent d’Europe germanophone ou néerlandophone, la présence de contributeurs venant entre autres du Canada, de la Corée du Sud, de l’Espagne et de l’Estonie permet de montrer l’universalité du phénomène des media hypes, du moins dans les pays comptant sur une presse libre. Les études de cas sont d’ailleurs très bien mobilisées.

La principale critique à adresser à cet ouvrage serait d’ordre sémantique : si Peter Vasterman annonce dans son introduction un ouvrage portant sur le media hype, les auteurs subséquents font référence selon les cas à des news waves, des media tsunamis et autres media storms. Il est dès lors parfois difficile de savoir dans quelle mesure ces auteurs procèdent selon des définitions communes pour ces différents concepts et si une même expression qualifie des phénomènes analogues ou différents selon les chapitres. Il s’agit là d’un simple bémol qui ne doit pas porter ombrage à un ouvrage très réussi dans l’ensemble et d’une pertinence indiscutable.