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Depuis la fin du régime d’apartheid dans les années 1990, l’Afrique du Sud tente de se départir de son lourd passé et de jouer un rôle plus constructif sur les scènes internationale et africaine. C’est dans cette logique que le pays, érigé en tant que modèle pour sa transition politique réussie, s’établit en tant qu’acteur clé dans les missions de paix et de sécurité sur le continent africain. Comment cette nouvelle puissance régionale s’affirme-t-elle dans le règlement des conflits et les opérations de paix sur le continent africain ? Et quelles sont les motivations sous-jacentes à sa participation dans ces conflits ? À partir de plusieurs études de cas, Moda Dieng met en exergue les tensions qui traversent la politique étrangère africaine, entre la promotion de la démocratie et des droits de l’homme et la promotion de ses intérêts nationaux.

L’ouvrage commence par une présentation générale de l’état des hostilités en Afrique, un continent qui, depuis la période coloniale, est en proie à de nombreux conflits, au point où plus de la moitié des pays ont déjà été confrontés à des conflits ou des coups d’État (p. 25). Dieng expose les différentes formes d’instabilité qui touchent le continent tout en dégageant les tendances régionales en matière de conflits. Le deuxième chapitre décrit le rôle de l’Afrique du Sud dans les organisations africaines, qui est selon l’auteur l’expression la plus visible du soft power sud-africain et l’un des fils conducteurs de sa diplomatie (p. 44). Son influence s’illustre dans la création de deux institutions régionales importantes, l’Union africaine et le New Partnership for Africa’s Development (NEPAD), une institution de développement et de sécurité. L’engagement de l’Afrique du Sud au sein de l’Union africaine s’inscrit dans le principe de la renaissance africaine, qui vise à « rendre à l’Afrique sa juste valeur, autant en ce qui concerne son passé et ses réalisations que ses capacités à s’extirper des problèmes auxquels elle doit faire face » (p. 48). Son leadership au sein du NEPAD vise quant à lui à promouvoir un environnement propice pour ses acteurs financiers et économiques (p. 58).

L’étude des processus de médiation sud-africaine dans la trajectoire des conflits burundais, ivoiriens et congolais est le sujet au coeur du troisième chapitre. Dieng décrit comment la médiation sud-africaine a permis de rapprocher les parties et d’aboutir à des accords de paix dans des conflits qui sont considérés comme étant parmi les plus complexes du continent. Ces succès n’ont toutefois pas été sans embûches, surtout en ce qui touche leur mise en oeuvre par la suite. Face au succès relatif de l’intervention de l’Afrique du Sud dans la médiation de ces trois conflits, son comportement dans la gestion de la crise zimbabwéenne, qui est décrite au chapitre suivant, offre un contraste frappant. Au lieu de promouvoir la démocratie et les droits fondamentaux, le régime de Pretoria a préféré une diplomatie conciliante, favorisant le dictateur Robert Mubage, en raison de la situation foncière commune dans les deux pays. C’est donc pour éviter que la crise ne s’exporte en Afrique du Sud que le pays a mis de côté ses valeurs et ses principes dans sa politique étrangère face à son voisin zimbabwéen.

Le chapitre cinq se concentre quant à lui sur un autre aspect de l’implication de l’Afrique du Sud en faveur de la paix et de la sécurité, à savoir les opérations de paix auxquelles elle participe depuis 1999. Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique du Sud s’est investie dans plusieurs missions de paix régionales. Elle a envoyé des troupes au Burundi au moment où aucun autre pays ne voulait y aller. Toutefois, son bilan n’est pas que positif. L’Afrique du Sud se classe au quinzième rang parmi les fournisseurs de personnel militaire et policier pour les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies (p. 117) ; elle n’a pas contribué à beaucoup de missions de maintien de la paix, notamment en Somalie et en Centrafrique ; et son armée dispose de ressources très limitées et est en mauvaise santé, avec un haut taux de prévalence du VIH/Sida.

Les conflits et les opérations de paix sont également les lieux de rivalités et de divisions linguistiques et géographiques. Dans le chapitre six, on apprend que l’Afrique du Sud entretient une relation plutôt conflictuelle avec les anciennes puissances coloniales et particulièrement la France. Elle a souhaité mettre à l’écart les ex-puissances coloniales et reléguer la Belgique et la France au second plan dans les dialogues interburundais et intercongolais (p. 130). Sa relation avec le Nigeria, l’autre grande puissance africaine, a été marquée tant par la coopération que par la concurrence. Tandis que les années 1990 ont été caractérisées par la rivalité entre les deux puissances lors d’incursions dans le domaine d’intervention traditionnel de l’autre, les années 2000 ont été l’aube d’une coopération économique et diplomatique soutenue entre les deux pays, notamment avec la création de la Commission binationale Afrique du Sud-Nigeria, le NEPAD et la transformation de l’Organisation de l’unité africaine en Union africaine (p. 138).

L’ouvrage se termine sur une note plus théorique, avec une analyse de la diplomatie sud-africaine comme étant en tension entre la realpolitik, avec la défense de ses intérêts nationaux, et la promotion des valeurs de démocratie et de droits humains. Dieng affirme que l’engagement sud-africain dans le règlement des conflits lui a permis d’aiguiser ses ambitions de pouvoir et ses intérêts économiques et commerciaux sur le continent (p. 154). Toutefois, ses interventions ne peuvent se résumer à la défense de ses intérêts nationaux, puisque le pays a été actif dans des processus de paix tant dans des pays riches en ressources naturelles que dans des États pauvres et enclavés (p. 158). Il note également qu’au cours des dernières années, la politique étrangère sud-africaine semble s’orienter de plus en plus vers la défense de ses intérêts, au détriment des valeurs démocratiques. Son désengagement à l’endroit de la Cour pénale internationale et la vente d’armes à des pays autoritaires sont deux exemples où la défense de ses intérêts a primé sur sa responsabilité régionale.

L’Afrique du Sud entre émergence et responsabilité de Moda Dieng offre une bonne introduction aux débats et aux enjeux qui traversent la diplomatie sud-africaine en matière de paix et de sécurité sur le continent africain. Il est conseillé à toute personne désirant s’initier à la politique étrangère sud-africaine et en apprendre davantage sur sa participation dans ce secteur particulier. Les enjeux y sont présentés dans un langage clair et accessible à un public non universitaire. L’ouvrage sera toutefois moins utile pour les spécialistes de la politique africaine et de l’Afrique du Sud, qui seront laissés sur leur faim à plusieurs reprises avec des sections trop brèves, manquant parfois d’analyse, de nuances et où, parfois, le lien de causalité est plutôt présumé que démontré. Si le livre ne se démarque pas par son originalité et la qualité de sa réflexion théorique et de ses analyses, il n’en est pas moins une contribution bienvenue dans une littérature qui demeure somme toute maigre sur le sujet.