Recensions

Polyarchie : participation et opposition, de Robert A. Dahl [trad. Pascal Delwit et Michèle Mat], Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2016 [1971], 266 p.[Record]

  • Laurent Alarie

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  • Laurent Alarie
    Candidat au doctorat en science politique, École d’études politiques, Université d’Ottawa
    laurentalarie@hotmail.com

L’auteur du célèbre Qui gouverne ? (1961) s’était illustré dans le débat sur les élites en montrant dans une étude empirique de la communauté de New Haven qu’il n’y avait pas d’« élite du pouvoir » comme l’affirmaient Charles Wright Mills ou Floyd Hunter, mais une pluralité d’élites s’imposant chacune par le jeu de la concurrence dans des enjeux politiques divers. Dans cet ouvrage, puis tout au long de sa carrière intellectuelle, Robert Dahl développa une certaine conception de la démocratie et de la distribution du pouvoir que l’on nomme pluralisme, conception chère à d’autres auteurs éminents tels que David Truman, Seymour Martin Lipset et Pierre Birnbaum. Dans cet ouvrage important écrit en 1971 qui a enfin été traduit en français en 2016 par Pascal Delwit et Michèle Mat, Dahl élabore le concept de polyarchie, notion centrale au pluralisme. Si l’auteur donne une définition rudimentaire de la démocratie, il indique dès le départ qu’il ne traitera que d’un aspect de celle-ci, central, soit la « redevabilité constante du gouvernement envers les préférences des citoyens », ces derniers devant être considérés comme des « égaux politiques » (p. 15). Cela implique que les citoyens puissent exprimer leurs préférences, les faire valoir à leurs concitoyens et au gouvernement dans une action collective ou individuelle et que leurs préférences pèsent d’un poids égal sur l’action du gouvernement (p. 16). Cette conception de la démocratie repose in fine sur huit critères formels qui sont autant de garanties institutionnelles : la liberté d’association, la liberté de presse, le droit de vote, l’éligibilité à un mandat public, le droit de concurrence entre dirigeants politiques, l’accès à des sources d’information alternative, des élections libres et loyales, des institutions liant l’action du gouvernement aux préférences et aux suffrages exprimés par les citoyens (p. 17). Le concept de polyarchie renvoie à un idéal-type, au sens wébérien du terme, caractérisant un régime démocratique ou en voie de l’être qui satisfait les critères de libéralisation et d’inclusion. La libéralisation implique la possibilité de contestation publique du régime, alors que l’inclusion comprend la participation politique d’un grand nombre de citoyens. À partir de ces deux variables, l’auteur élabore une typologie des régimes : les hégémonies fermées sont des régimes où la participation et la contestation publique sont faibles ou inexistantes ; les hégémonies inclusives représentent les régimes où le niveau d’inclusion est grand, mais la contestation faible ; les oligarchies compétitives constituent au contraire des régimes où le niveau de contestation publique est grand, mais l’inclusion faible ; et enfin, les polyarchies doivent être comprises comme un processus de démocratisation qui tend idéalement vers une plus grande ouverture à la contestation publique et jouissant d’une forte participation politique (p. 20). C’est sur la base de cette conception de la démocratie et du type de régime qui incarne deux de ses dimensions constitutives (libéralisation et inclusion) que l’auteur se demande quels facteurs permettent le passage d’un régime hégémonique à un régime polyarchique (p. 22). Autrement dit, Dahl pose la question des facteurs qui contribuent à minimiser ou à maximiser la démocratie dans les divers États nationaux. Selon lui, le processus de démocratisation est le résultat d’un calcul des coûts escomptés de la répression de l’opposition et des coûts escomptés de la tolérance de cette dernière. Ainsi, les régimes évoluent vers la polyarchie lorsque les coûts de la répression surpassent ceux de la tolérance, entraînant une sécurité mutuelle du gouvernement et de l’opposition, c’est-à-dire la coexistence pacifique de plus d’un groupe se faisant concurrence pour le pouvoir. Conséquemment, la question qu’il pose devient : quels sont les facteurs qui augmentent ou diminuent la sécurité …