Note de recherche

Les passés et les présents de la démocratieDémocratie. Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, de Francis Dupuis-Déri, 2013, Montréal, Lux, 456 p.Vers une démocratie désenchantée ? Marcel Gauchet et la crise contemporaine de la démocratie libérale, sous la direction de Gilles Labelle et Daniel Tanguay, 2013, Anjou, Fides, 304 p.[Record]

  • Jérôme Melançon

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  • Jérôme Melançon
    Programme d’études francophones et interculturelles, Université de Regina
    jmelancon@gmail.com

Le sens de l’entreprise démocratique s’est-il épuisé ? Serions-nous condamnés à la forme politique de la démocratie libérale ? Ne nous reste-t-il qu’à approfondir la portée des droits de l’homme et de la représentation ? Il y a lieu de s’interroger : une démocratie qui n’est plus qu’une question de détails ou qui est tenue pour acquise pourrait fonctionner mécaniquement, sans pour autant mobiliser le peuple, la société, le public, l’individu. Et sans cet engagement, la politique pourrait leur échapper soit pour redevenir le site de l’hétéronomie (à savoir la décision par autrui ou par une autre réalité comme Dieu ou l’économie, ou encore l’abdication de la décision), soit pour devenir un simple rapport de forces qui solidifierait la domination des élites financières et technocrates. Deux ouvrages parus récemment au Québec tentent de nous aider à éviter ces écueils et suggèrent, du fait même de leur entreprise, que le passé de la démocratie offre à qui sait le scruter une source de sens et de renouveau pour la vie politique contemporaine. Vers une démocratie désenchantée ? et Démocratie. Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France répondent ainsi à un malaise qui se traduit chez les uns en inquiétude et chez l’autre en indignation. Les chapitres de Daniel Tanguay, Gilles Labelle et Stéphane Vibert et l’ouvrage de Francis Dupuis-Déri nous procurent par ailleurs un instantané de la réflexion philosophique ayant lieu au Québec à propos de la démocratie. Cette réflexion dégage des sens et des possibilités aux traditions démocratiques ; ce faisant, elle nous enjoint de repenser le sens de la démocratie, au vu de nos propres projets et valeurs. Ces ressemblances se retrouvent cependant à l’arrière-plan des deux ouvrages, qui se développent par ailleurs sur des modes bien différents. Parmi ces différences, comptons le travail résolument universitaire des trois chercheurs du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) à l’Université d’Ottawa – universitaire dans le meilleur sens du terme, celui d’une collaboration rapprochée et continue depuis maintenant plus d’une décennie, tant des penseurs de droite que de gauche ainsi que de presque toutes les disciplines des sciences sociales et humaines –, dont se distingue le travail résolument engagé auprès des mouvements sociaux de Dupuis-Déri, qui cherche un auditoire plus large à ce livre issu de sa thèse. Comptons aussi les différences méthodologiques. Les auteurs du CIRCEM et leurs collaborateurs se tournent vers l’oeuvre de Marcel Gauchet comme médiation privilégiée, du fait de l’envergure de son oeuvre interdisciplinaire, suivant ainsi la tradition du commentaire philosophique ; de là, chacun suit une médiation privilégiée vers l’oeuvre de Gauchet, à savoir Leo Strauss et Aristote pour Tanguay ; Miguel Abensour pour Labelle ; et Louis Dumont pour Vibert. Laissant les auteurs de côté, Dupuis-Déri s’inspire plutôt des recherches sur l’histoire sociale, économique et politique des idées (telle que pratiquée par Neal Wood et Ellen Meiksins Wood ; Quentin Skinner, John Dunn, J.G.A. Pocock et James Tully ; ou encore Patricia Hill Collins – synthèse dont le besoin se fait sentir depuis longtemps) et se concentre sur le sens qu’ont donné au mot « démocratie » les acteurs engagés dans des luttes politiques toujours changeantes et dynamiques. Ces approches complémentaires mènent chaque auteur à privilégier un type de processus historique. Du côté des Tanguay, Labelle et Vibert, suivant le travail de Gauchet, la démocratie apparaît par l’entremise d’un processus de désenchantement, où la religion chrétienne renvoie peu à peu ses croyants vers le monde et les détourne de toute source religieuse à la loi. C’est ce processus de sortie de la religion qui ouvre la possibilité de la …

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