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L’ouvrage, placé sous la direction de Julian Castro-Réa et de Frédéric Boily, constitue un examen minutieux des politiques (publiques, étrangères, identitaires, etc.) et de l’idéologie du mouvement politique conservateur qui s’est développé au Canada depuis l’ère de John Diefenbaker, mais principalement depuis la prise du pouvoir par les troupes de Stephen Harper en 2006. Divisé en trois parties et comprenant neuf chapitres, ce livre s’efforce d’explorer, en premier lieu, la politique étrangère et la politique de défense des conservateurs, puis, dans un deuxième temps, les rapports entre le Québec et le gouvernement Harper à l’égard tant de la question identitaire que du problème de la péréquation et, finalement, les politiques publiques qui touchent les domaines de la santé et de l’immigration, sans omettre les rapports passablement houleux entre l’ancien premier ministre du Canada et la presse canadienne. En un mot, ce collectif répond à la question suivante : Quelle est la vision de Harper du fédéralisme ?

Trevor W. Harrison propose, dans le premier chapitre, une synthèse rigoureuse de l’évolution des gouvernements conservateurs qui ont largement dirigé et dominé la province de l’Alberta. Du Crédit social (1935-1971) en passant par le Parti conservateur (1971-2014), l’empreinte politique du conservatisme albertain est indéniable : tirer profit de l’exploitation du pétrole, conserver un État peu socialisé et promouvoir les initiatives individuelles. Concernant le rapport entre la province albertaine et le Québec, l’auteur souligne que ces deux entités fédérées partagent un point commun, c’est-à-dire la volonté de maintenir un Canada décentralisé et un désir farouche de préserver leur autonomie respective dans leurs champs de compétence. Néanmoins, Harrison estime que le refus de la reconnaissance de la spécificité québécoise limite les rapports entre les deux provinces canadiennes.

Dans le second chapitre, Castro-Réa examine les relations entre le Canada et les États-Unis. Il démontre, fort pertinemment, le rapprochement opéré, depuis le 11 septembre 2001, entre le gouvernement de Harper et les politiques sécuritaires de Washington. On pense ici au renforcement commun de la frontière canado-américaine, à l’implication des Forces armées canadiennes dans la guerre en Afghanistan et au contrôle accru de l’information sensible tant par les États-Unis que le Canada. Bien que les sujets de discorde entre Barack Obama et Stephen Harper soient nombreux, l’auteur tient surtout à démontrer les affinités idéologiques qui existent entre la droite albertaine et la droite américaine.

Dans quelle mesure Harper s’est-il dissocié de la tradition libérale dans le domaine des politiques étrangères et de défense du Canada ? Telle est la question centrale à laquelle Philippe Lagassé, Justin Massie et Stéphane Roussel tentent de répondre (chap. 3). Pour ces derniers, la politique extérieure des libéraux s’inscrivait dans le courant de ce qu’ils appellent « l’internationalisme libéral ». Nonobstant la polysémie de ce terme, ils le caractérisent de la façon suivante : l’acceptation que le Canada constitue une puissance moyenne ; une contribution à édifier la paix internationale en collaboration avec les autres instances étatiques ; et la promotion des valeurs libérales (démocratie, marché libre, etc.). Aux yeux des auteurs, la politique étrangère de Harper se démarque quelque peu de celle des libéraux. Ils sont d’avis que le gouvernement conservateur insiste principalement sur « l’importance d’adopter une politique fondée sur la clarté morale » (p. 67), dans le sens où ils veulent identifier clairement les acteurs qui menacent la démocratie occidentale (l’État islamique, les mouvements terroristes, etc.) et les annihiler. Il s’ensuit que le gouvernement conservateur est peu disposé à s’appuyer sur les institutions internationales pour contrer ces menaces, car les instances de l’Organisation des Nations Unies sont, selon Harper, trop nombreuses et trop submergées par les normes administratives pour être efficaces. C’est pourquoi le premier ministre canadien préfère signer directement des accords avec les États impliqués dans la guerre contre le terrorisme. Là réside peut-être bien l’originalité de la politique étrangère de Harper, mais les auteurs préfèrent attendre l’évolution de cette politique avant de se prononcer plus fermement.

Frédéric Boily, pour sa part, examine les conséquences politiques de la transformation de l’économie canadienne chez les conservateurs (chap. 4). Soulignant un déplacement du pôle central du développement de la création de la richesse au Canada représenté par les deux provinces que sont l’Ontario et le Québec vers les provinces de l’Ouest constituées par l’Alberta et la Colombie-Britannique, il affirme que cela contribue certes à amoindrir l’aliénation de l’Ouest, mais surtout et évidemment à renforcer le poids politique du parti de Harper. Cependant, Boily n’épouse pas la thèse selon laquelle le Parti conservateur développerait des politiques publiques radicales. Aux prises avec une population canadienne qui occupe majoritairement le centre de l’échiquier idéologique, le Parti conservateur doit donc être au diapason avec celle-ci sous peine, en se démarquant de ce centre, d’être sanctionné par le peuple canadien lors des élections législatives. Dans ce sens, il faudrait davantage creuser, selon Boily, la filiation qu’il est possible d’établir entre les conservateurs et un de leurs illustres prédécesseurs, John Diefenbaker.

Rapprochement des Américains, valorisation morale des enjeux internationaux et volonté d’accroître le poids politique et le poids économique de l’Ouest canadien, les conservateurs se sont également vantés d’avoir développé un fédéralisme d’ouverture avec les provinces et particulièrement le Québec. Cette thèse est, selon Réjean Pelletier (chap. 5), passablement exacte : de la reconnaissance de la nation québécoise en passant par le statut de province participante à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), le chef conservateur s’est efforcé, au début de son premier mandat (2006-2008), de nouer des bonnes relations avec le Québec, reprenant par là un des crédos de l’ancien premier ministre conservateur Brian Mulroney. Mais ce fédéralisme ouvert aux revendications du Québec fut de courte durée. Dès les années 2009, les querelles se sont multipliées entre Québec et Ottawa : le pouvoir fédéral de dépenser, la question du sénat ou encore de la Commission canadienne des valeurs mobilières, sans omettre le cas du juge Marc Nadon, sont autant de sujets qui ont passablement envenimé les relations entre Harper et le gouvernement libéral de Jean Charest, de sorte que les ponts sont définitivement rompus entre ces derniers lorsque le chef libéral quitte la scène politique en 2012. La reprise du pouvoir au Québec par les libéraux en 2014 n’a guère bouleversé cette impasse.

André Lecours et Daniel Béland abordent, par après (chap. 6), la question de la péréquation. Malgré la réforme adoptée par les Conservateurs en 2006, ces auteurs démontrent que le programme de péréquation est resté sensiblement le même. Tout au plus, Harper s’est-il contenté de dépolitiser quelque que cette question et il a maintenu les montants versés aux provinces.

Le texte de Catherine Côté (chap. 7) explore les relations tendues entre le gouvernement Harper et les médias. Souffrant d’un désir maladif de contrôler l’information, Harper ne pouvait que s’aliéner les organes de presse.

Dans l’avant-dernier texte de ce recueil, Chedly Belkhodja démontre de manière convaincante que le gouvernement conservateur a poursuivi et accentué la politique d’immigration du gouvernement de Jean Chrétien, à savoir la préférence accordée de plus en plus, dans le processus de sélection, aux immigrants économiques investisseurs. Ce faisant, le Canada délaisse les réfugiés et s’intéresse moins à la question des réunions familiales.

À l’égard du domaine de la santé, Learry Gagné affirme (chap. 9) que les relations entre Ottawa et les autres provinces sont relativement harmonieuses, car cet enjeu ne semble guère intéresser le gouvernement Harper. Après avoir démontré un certain intérêt pour cette question au cours des premières années de son mandat (2006-2007), le chef conservateur n’a voulu que prolonger le programme, adopté par les libéraux en 2004, de transfert canadien en matière de santé (TCS).

Finalement, il revient à Frédéric Boily, codirecteur de l’ouvrage, d’établir un bilan des relations entre le Québec et Harper. À ses yeux, si l’électorat québécois reste réfractaire à la troupe du chef des conservateurs, c’est peut-être moins dû à Harper lui-même qu’à une tradition politique peu encline à séduire la population québécoise.

Bien que le sous-titre de l’ouvrage mentionne qu’il s’agit d’examiner « la place du Québec dans le Canada conservateur », l’ouvrage de Julian Castro-Réa et Frédéric Boily porte, à l’exception notoire du texte de la conclusion, davantage et de loin sur une analyse du fédéralisme de Harper et bien peu sur les relations entre le Québec et ce dernier. Cela dit, Le fédéralisme selon Harper a le mérite d’offrir, sous plusieurs aspects, un examen rigoureux de la droite canadienne. Maintenant que le gouvernement de Stephen Harper est défait, il ne s’agit pas tant de savoir comment le Parti conservateur va évoluer au cours des prochaines années, mais quel bilan peut-on tirer de l’ensemble des actions de l’ancien premier ministre canadien (2006-2015) ?