Recensions hors thème

Quelle laïcité ?, de Bruno Demers et Yvan Lamonde, Montréal, Médiaspaul, 2013, coll. « Dialogue », 115 p.[Record]

  • Émilie Bernier

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Dans cette édition de la collection « Dialogues », Bruno Demers, théologien et professeur à l’Institut de pastorale des Dominicains de Montréal, et Yvan Lamonde, historien des idées au Québec, se penchent sur les dilemmes que pose le pluralisme dans lequel notre société est engagée vaille que vaille et proposent une évaluation des argumentaires proposés à l’appui de la laïcité et de la neutralité de l’État en matière de religion. Il s’agit d’un retour décanté sur l’épisode controversé du projet de charte élaboré par le Parti québécois en 2013, qui entend recadrer un débat enlisé dans l’accaparante question des signes religieux ostentatoires. Les auteurs s’accordent sur la nécessité de parvenir à un arrangement institutionnel capable de défendre les principes qui animent nos sociétés modernes et démocratiques tout en respectant la diversité des cultures et des cultures religieuses, mais leurs positions respectives s’étayent sur deux sensibilités politiques distinctes. La première, celle de Lamonde, prône la construction prioritaire d’une culture civique commune, idéal républicain dont la laïcité et la neutralité religieuse de l’État constituent les piliers fondateurs, alors que la seconde, soutenue par Demers du point de vue du ministère et de la doctrine catholique, rappelle ce que les sociétés libérales doivent à la vie spirituelle et dénonce les limites et les écueils de cette prétendue laïcité « tout court ». Si la sécularisation est le phénomène sociologique qui a trait aux conceptions du monde et aux modes de vie des individus, dont les manifestations ne sont pas toujours clairement repérables, la laïcisation, pour sa part, définit le processus politique clair et balisé d’autonomisation de l’État par rapport aux confessions, qui marque l’entrée dans la modernité et, pour Lamonde, en incarne l’idéal de liberté et de démocratie. Alors que ce dernier en défend la reconnaissance formelle, Demers affirme qu’elle ne doit pas cesser de représenter un moyen en vue d’assurer les finalités qu’une société libérale et démocratique doit viser – condition essentielle à la liberté des consciences, à l’égalité du respect de la dignité de chacun et chacune, c’est-à-dire à la possibilité même de l’énonciation de toute conception du monde et du bien, mais non pour elle-même, telle une conception philosophique du monde et du bien. Chacun commente la dynamique intellectuelle et politique spécifique au retour récent des débats sur la question, et montre avec quelle urgence se pose à présent le problème, jadis diagnostiqué par Gérard Pelletier dans les pages de Cité libre de la « fin de l’unanimité », c’est-à-dire de la rupture spirituelle d’une société jusque-là homogène et dont l’unité de la foi n’avait jamais été questionnée. La lente déconfessionnalisation de tous les secteurs de la société civile est un fait incontestable, du point de vue juridique, mais parce que les principes normatifs qui devaient se substituer à elle tardent à s’institutionnaliser, elle semble inachevée sur le plan politique, incertaine, et donc susceptible de chanceler devant l’apathie des uns et la nouvelle ferveur des autres. L’analyse historique permet à Lamonde de révéler l’opération d’un préjugé tenace au sein de la vieille mentalité canadienne-française, marquée par la tradition ultramontaine et le libéralisme économique, qui fait de la laïcité un « corollaire nocif de l’idée de République » (p. 16). Par déni de la culture politique, on aura manqué la nécessité d’accompagner la séparation du politique et du spirituel de la reformulation de l’autoreprésentation du Québec francophone et de ce qui peut faire l’unité d’une telle société. Remodelée par des « valeurs religieuses nouvelles venues avec une immigration non pas nouvelle, mais d’un type inédit et dans un contexte où l’intégrisme gagne quelque ferveur dans des sociétés reformatées par le conservatisme …