Recensions

Beyond Paradigms: Analytic Eclecticism in the Study of World Politics, de Rudra Sil et Peter J. Katzenstein, New York, Palgrave Macmillan, 2010, 263 p.[Record]

  • Jano Bourgeois

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Peter Katzenstein, professeur d’études internationales à l’Université Cornell, et Rudra Sil, professeur de science politique à l’Université de Pennsylvanie, proposent un plaidoyer en faveur de l’éclectisme analytique dans l’étude de la politique mondiale. D’entrée de jeu, ils posent clairement la thèse qu’ils entendent défendre, soit qu’il est possible, voire nécessaire, pour les chercheurs de résister à la tentation de postuler qu’une des grandes traditions de recherche (en général la leur…) est, viscéralement, supérieure pour poser et résoudre les problèmes de recherche en politique mondiale. Ils soutiennent qu’il est possible d’établir des relations entre concepts, observations et mécanismes de causalité originellement construits à partir de perspectives analytiques différentes et de les réconcilier dans une analyse éclectique cohérente et robuste (p. 2). Pour parvenir à leurs fins, les auteurs ont divisé leur ouvrage en deux sections distinctes : une première qui définit ce qu’est, et ce que n’est pas, l’éclectisme analytique, sa relation avec le pragmatisme, sa complémentarité avec les approches paradigmatiques et son application en études de la politique mondiale. La deuxième section présente un résumé de quinze travaux de recherche, regroupés selon trois thèmes (guerre et paix, sécurité et insécurité ; économie politique internationale ; ordre et gouvernance régionale et internationale) considérés comme s’inscrivant dans l’approche de l’éclectisme analytique et s’accompagnant d’un bref commentaire par l’auteur de chaque recherche sur la démarche qui l’a mené à l’éclectisme et ses brèves réflexions sur le sujet. Sil et Katzenstein concluent en tirant des leçons des recherches et des commentaires des auteurs présentés. La nécessité de l’éclectisme analytique provient, selon eux, de l’importance de réduire le fossé qui sépare actuellement le savoir nécessaire aux responsables politiques et la recherche scientifique. En promettant des explications plus riches de la réalité complexe de la politique mondiale et en refusant de simplifier au nom de la pureté du paradigme, l’éclectisme analytique est la voie qu’ils proposent pour combler ce fossé. Pour fonder leur approche, ils font appel au pragmatisme, qui propose de minimiser les engagements épistémiques rigides en suspendant la question de l’incommensurabilité ontologique et épistémologique de certains paradigmes. Ils en appellent aussi au refus d’occulter de grands pans de la complexe réalité pour servir un style d’analyse. Toute cette démarche a pour but d’éclairer les dilemmes concrets de la politique mondiale, tels que perçus par les acteurs politiques, en donnant la meilleure réponse à un problème grâce à l’ensemble des théories disponibles. Bref, ils identifient les limites pratiques des paradigmes de recherche et proposent une voie de contournement. Après une sévère mise en garde par rapport à ce que l’éclectisme analytique doit éviter – être une approche fourre-tout où « tout est permis », mettre au rebut le travail des chercheurs s’inscrivant dans un paradigme, manquer de robustesse et de cohérence théorique –, Sil et Katzenstein révèlent leur conception de l’éclectisme analytique et la façon de le réaliser. En bref, il s’agirait d’utiliser, de manière très sélective et réfléchie, les outils (concepts, logiques, mécanismes, interprétations) provenant de différents paradigmes pour construire un cadre théorique spécifique permettant de comprendre une réalité complexe spécifique. Cela permettrait de révéler des connexions cachées entre des éléments en apparence incompatibles de théories ancrées dans un paradigme spécifique. Pour justifier l’utilisation d’une telle approche, le phénomène étudié et les questions soulevées devraient avoir une portée scientifique ainsi que pratique. Par sa formulation de questions ouvertes et son analyse de problèmes complexes, les auteurs suggèrent que l’éclectisme analytique doit ajuster son objectif théorique à une portée moyenne, il ne peut prétendre produire des modèles universellement généralisables et doit éviter de tomber dans le piège idiographique, sous peine de devenir peu utile pour …