Recensions

La révolution tranquille au Manitoba français, de Raymond-M. Hébert, Saint-Boniface, Les Éditions du Blé, 2012, 381 p.[Record]

  • Armelle St-Martin

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  • Armelle St-Martin
    Département de français, d’espagnol et d’italien, Université du Manitoba
    stmartin@ad.umanitoba.ca

Fernand Braudel commençait son indépassable Histoire de la Méditerranée par l’aveu de son amour passionné pour cette région. L’expression de soi est ainsi loin d’être incongrue avec la rigueur scientifique dans l’écriture de l’histoire. Ce commentaire est celui qui convient au livre de Raymond-M. Hébert. Tandis que le « je » se fait entendre fortement dans le chapitre introducteur et dans la conclusion, il devient plus discret dans les huit autres chapitres formant le coeur de l’analyse politique, historique et sociologique des événements qui ont amené les Franco-Manitobains à se libérer du « carcan » (p. 43) traditionnel de l’Église au début des années 1960. Le livre couvre une période historique d’environ dix ans et s’adresse aussi bien aux universitaires qu’au grand public. C’est le mérite de Hébert d’avoir su cerner et mettre au jour le caractère intrinsèquement irréductible de cette Révolution tranquille franco-manitobaine. Le moteur du changement au Manitoba français n’est pas l’État, comme ce fut le cas au Québec, mais essentiellement la génération de « jeunes », influencée par la modernisation de la société québécoise. Au Manitoba français, les luttes ont surtout lieu dans les domaines de l’éducation, de la politique et de la culture. Le plan de l’ouvrage reproduit en ce sens la marque particulière de ce bouleversement. En effet, on voit les chapitres évoluer des efforts institutionnels pour l’enseignement du français dans un cadre laïc – condition incontournable à la survie linguistique de cette minorité francophone – vers les éclosions de la culture du Manitoba français. Le chapitre 1 forme une introduction dans laquelle l’auteur positionne son regard critique. Jeune diplômé d’un bastion de l’éducation catholique au Manitoba, le Collège des jésuites de Saint-Boniface, aspirant au statut de membre de l’Ordre de Jacques-Cartier, lancé à vingt ans dans l’arène journalistique tout en côtoyant un cercle d’intellectuels qui expriment ouvertement leurs opinions en faveur d’un rejet du cléricalisme, Hébert incarne dans son être même la complexité sociale franco-manitobaine. Bien plus qu’un chapitre autobiographique, ces premières pages brossent les contours généraux de cette société et précisent la nature de la scission idéologique qui la traverse. En outre, elles situent d’emblée l’enquête sociopolitique sur le plan des acteurs ; le plus important d’entre eux est un organisme, l’Association d’éducation des Canadiens français du Manitoba (AECFM). Les chapitres 2 et 3 lui sont consacrés. Le but de cette association, fondée en 1916, est la sauvegarde de l’enseignement en français. La Révolution française au Manitoba français analyse les forces qui s’affrontent au sein même de l’Association et qui déclenchent sa « longue agonie ». Ainsi, face aux défis contemporains, l’idéologie dominante, tournée vers des valeurs religieuses catholiques, constitue une entrave à une action efficace et concertée pour préserver la langue française. Les tensions et les dissensions profondes sur cette question auront finalement raison de l’organisme qui en 1968 deviendra la Société franco-manitobaine (SFM), abandonnant du coup toute référence à la religion dans la lutte de la minorité franco-manitobaine pour le droit à l’enseignement en français. L’auteur explique, dans les deux chapitres suivants, les facteurs qui ont mené à ce changement en l’espace de quelques années ; il en décrit aussi les étapes : le travail du nouvel exécutif (chap. 4) élu en 1965, qui n’hésite pas à « élargir les cadres [de l’Association] afin d’assurer une plus grande participation des forces vives de la communauté » (p. 126) ; la tenue du Rallye du Manitoba français en 1968 (chap. 5), qui concrétise l’orientation de l’Association vers « l’animation sociale comme outil de renouvellement de la communauté » (p. 147) ; de ce Rallye découle la création de la SFM, dont le …