Recensions

La démocratie : histoire des idées de Boris Dewiel, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, 270 p.[Record]

  • Naveen Murthy

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  • Naveen Murthy
    Université de Montréal

La démocratie. Voilà un thème de recherche et de publication qui fascine bien des penseurs depuis ses balbutiements. De fait, ex ante la tâche semble bien ardue de dire quelque chose de frais, d’innovateur sur le sujet ; de dire quelque chose qui changerait d’une manière puissante et radicale notre compréhension de cette idée. Malgré tout, sans révolutionner complètement l’idée de démocratie, certains livres n’offrent qu’une petite clarification, en apparence connue et diffusée ; examinée sous un angle nouveau et conceptualisée de manière différente, la démocratie est représentée non pas simplement comme un idéal platonicien qui résidera à jamais dans le monde des Idées, mais, au contraire comme un mode de gouvernance, pratique et tangible, de confrontation légitime entre valeurs communes. Dans le livre de Boris Dewiel, La démocratie : histoire des idées, on retrouve parfaitement ce genre d’entreprise. L’objectif principal de l’auteur est de soutenir que « le coeur même de la démocratie est un modèle définissable de désaccord » (p. 6). Entre les pôles extrêmes de la liberté de tous ou de l’égalité de tous, l’auteur soutient qu’il existe une troisième voie, bien défrichée par Isaiah Berlin : la démocratie ne pourra jamais atteindre ces idéaux et l’on devrait plutôt se satisfaire que c’est « un conflit de priorités insoluble entre des valeurs communes » (p. 2). Il faut dire que l’affiliation intellectuelle de B. Dewiel à son maître à penser, Berlin, est proche, voire trop proche, ce qui peut camoufler quelque peu l’originalité de l’oeuvre. Le livre de B. Dewiel s’intègre parfaitement à ce courant méthodologique contemporain qui vise à mettre l’accent sur l’ontologie des problèmes dans le raisonnement conceptuel. Son approche est historique, justifiée par la proposition que l’histoire des idées est la narration de nos définitions (p. 209). Le livre se divise en huit chapitres, que nous regrouperons en trois sections pour le but de l’analyse. Dans la première section, l’auteur s’attaque à la conceptualisation de la société, d’une part, et, d’autre part, à celle de l’interaction entre individus sous l’angle du conflit entre liberté positive et liberté négative. Dans la deuxième section, il s’engage à décrire et à faire la typologie des idées politiques d’après les trois axes de conflit qui sont fondamentaux d’après lui : socialisme (gauche), libéralisme (centre) et conservatisme (droite). Dans la dernière section, l’auteur présente un modèle du désaccord qui reflète le débat moderne en démocratie qui porte, en grande partie, sur le conflit entre, d’une part, solidarité et liberté négative et, d’autre part, ordre social et liberté positive, à partir desquels tous les enjeux du conflit peuvent se lire sur une carte gauche-droite classique. La première étape de ce narratif est de comprendre « comment en est-on venu à considérer la société civile comme distincte du politique ? » (p. 13). B. Dewiel découvre chez Aristote la première séparation entre « société civile » et politique, d’où il remonte ensuite jusqu’à Herder, élève de Kant, avec qui le concept moderne de « culture » est apparu, en réaction à l’universalisme des Lumières — la deuxième séparation : entre sociétés civiles. Le découpage du survol historique est intéressant : les Grecs en premier (Aristote), puis les Anglais (Hobbes, Locke), ensuite les Allemands (Herder) et, finalement, les Écossais (Smith, Burke, Ferguson). La synthèse de ce survol amène à penser deux conceptions du peuple : allemande, « centré[e] sur la spontanéité et la croissance » (p. 27) ; anglaise, où l’accent est sur « l’apparition au fil du temps de règles structurées et de vertus présentées avec méthode » (p. 28). Ces conceptions différentes engendrent des conceptions différentes de la liberté. …