Recensions

La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident ? d’Amartya Sen, Paris, Éditons Payot & Rivages, 2005, 86 p.[Record]

  • Danic Parenteau

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  • Danic Parenteau
    Université d’Ottawa

La démocratie est-elle universelle, au même titre que le sont les lois de la physique newtonienne ? Telle pourrait se formuler la question à laquelle l’économiste indien Amartya Sen tente d’apporter une réponse dans ce petit ouvrage, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident ? Réunissant une conférence prononcée à New Delhi en 1999 (et parue la même année dans le Journal of Democracy) et un article paru en 2003 dans The New Republic (« Democracy as a Universal Value »), cet essai veut réfuter l’idée reçue et, selon l’auteur, par trop répandue, suivant laquelle l’origine de la démocratie est à trouver dans la civilisation du couchant. Explicitement, ce travail entend opposer le présupposé qui veut que les « racines » de la démocratie ne puissent être trouvées uniquement « dans les signes distinctifs d’une pensée occidentale qui ne s’est épanouie qu’en Europe – et nulle part ailleurs – et cela, pendant très longtemps » (p. 11). Par cette entreprise, dont la visée n’est pas que spéculative, il s’agit pour celui qui mérita le prix d’économie en l’honneur d’Alfred Nobel en 1998, de contribuer au « plus grand défi de notre temps », celui du soutien de la lutte « pour le modèle démocratique dans le monde entier » (p. 9). Dans ces deux textes, Amartya Sen emprunte à plusieurs reprises les mêmes chemins – ce qui pourrait donner l’impression d’une certaine répétition, si ce n’était de la pertinence de leur rappel pour le développement successif et complémentaire des deux conférences – pour répondre à ce qui constitue, à ses yeux, les deux principales objections souvent avancées à l’encontre du modèle démocratique. Premièrement, l’auteur s’oppose à l’idée suivant laquelle la démocratie serait inadaptée aux pays les plus pauvres, sous prétexte que ce dont ces pays ont besoin ce ne sont pas des élections, mais du pain. Pour les tenants de ce que l’auteur appelle l’« hypothèse de Lee » (du nom de Lee Kuan Yew, ancien premier ministre et ministre d’État de Singapour de 1959 à 1990, qui en fut un fier partisan), un régime autoritaire, plutôt que le régime du pouvoir par le peuple, serait bien plus à même de garantir la satisfaction des besoins primaires et essentiels d’une population dans le besoin et, par suite, de contribuer à son développement économique. À cette vision, l’économiste oppose les exemples de l’Inde, de la Jamaïque et du Costa Rica. C’est bien en effet dans le cadre de régimes démocratiques que ces trois pays ont réussi à maintenir un taux de croissance économique qui fait l’envie de leurs pays voisins. Mais, d’une manière plus fondamentale, la réfutation de cette hypothèse offre en plus l’occasion à l’auteur de remettre en cause cette idée suivant laquelle il existerait une quelconque corrélation entre système démocratique et croissance économique. Reprenant une thèse qu’il exposa plus longuement dans Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté (Paris, Odile Jacob, 2000), l’économiste de Harvard soutient que l’on ne saurait établir avec certitude un lien de causalité entre démocratie et croissance économique : «[s]i toutes les études comparatives sont confrontées les unes aux autres, l’hypothèse selon laquelle il n’y pas de relation claire entre croissance économique et démocratie dans l’une ou l’autre direction reste extrêmement plausible » (p. 57). Ainsi, la mise en place de droits politiques démocratiques dans une société pourrait être, selon lui, sans effets sur son développement économique, qu’ils soient positifs ou négatifs. La démocratie est une chose, le développement économique, une autre. Deuxièmement, A. Sen s’emploie à réfuter la thèse qui stipule que la démocratie …