Recensions

Une éthique sans point de vue moral : la pensée éthique de Bernard Williams, d’André Duhamel, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003, 195 p.[Record]

  • Marco Bélanger

…more information

  • Marco Bélanger
    Université de Montréal

Bernard Williams, philosophe britannique récemment décédé (en juin 2003), a marqué profondément le terrain de la réflexion morale ou éthique de la seconde moitié du vingtième siècle. Sa principale contribution en ce domaine a été de remettre en question la modernité morale dans ses fondements et ses prétentions théoriques. Critiquant autant les approches déontologiques de type kantien que les points de vue utilitaristes, il a mis en lumière le problème de la place du Moi dans une vie morale ou, inversement, le problème de la place de la moralité dans une vie individuelle avec toutes ses particularités. Autrement dit, comment faut-il satisfaire l’exigence qui nous pousse à être moral quand ce qui donne sens à nos vies provient principalement de projets et d’intérêts personnels ? Comment peut-on ne pas aliéner l’intégrité du Moi face à l’impartialité que nous dicte la morale ? En effet, la moralité ne s’adresse-t-elle pas à nous tous, indifférente à nos points de vue personnels, aux relations que nous tissons avec nos proches, aux projets qui nous tiennent à coeur, bref, à ce tout qui nous rend spécifiques les uns par rapport aux autres ? Face à ce réel problème, B. Williams répondra par une conception originale du Moi moral, inspirée de la pensée éthique antique et des leçons de Friedrich Nietzsche, et de là se voulant plus substantielle que la conception adoptée par les théories morales traditionnelles, dans lesquelles l’agent moral est réduit à la partie rationnelle commune à tout un chacun, dénué de toute histoire personnelle et de ses attributs contingents. Bien que nombre de ses ouvrages en la matière aient été traduits en français, on compte dans la francophonie peu d’études de sa pensée éthique pourtant influente, c’est pourquoi il faut saluer la parution de l’ouvrage recensé ici. Son titre peut paraître paradoxal : « comment une éthique sans point de vue moral est-elle possible ? » pourrait-on se demander si l’on prend les concepts d’éthique et de morale dans un sens équivalent ou rapproché. C’est qu’il faut entendre le terme « moral » au sens d’« impartial », ce qui donne alors au titre une signification qui correspond à l’entreprise de B. Williams : comment peut-on penser une éthique hors du point de vue sacro-saint de l’impartialité, afin de faire place à l’individualité des agents moraux ? L’auteur de cette étude, André Duhamel, se penche sur cette entreprise, non seulement dans le but d’en faire le tour et d’en proposer une synthèse, mais aussi dans l’intention de la critiquer, d’en éprouver la cohérence pour dégager la spécificité de la normativité propre à cette éthique sans point de vue moral. Soulignons d’abord la qualité de la structure de l’analyse d’A. Duhamel. Chacune des subdivisions de son travail prépare le terrain à la suivante et offre ainsi une gradation dans la compréhension de la pensée éthique de B. Williams, comme on le verra dans ce qui suit. Dans le premier chapitre, l’auteur revient sur l’un des traits marquants du tournant philosophique dans lequel s’inscrit la pensée williamsienne, soit la critique des conceptions de l’agent moral proposées par les théories traditionnelles, qui ont en commun d’accorder une grande importance à l’impartialité. Plus précisément, il trace à grands traits les trois principales variantes de cette critique pour ensuite indiquer les réponses que leur ont faites les défenseurs de l’impartialité. Ce n’est qu’une fois que les éléments de ce débat sont bien mis en place qu’il entame le « démontage du “système de la moralité” entrepris par Williams » (p. 13). On y voit comment B. Williams, dans sa critique, se distingue à la fois du libéralisme …