Disputatio

Précis de L’adresse du réel [Record]

  • Jocelyn Benoist

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  • Jocelyn Benoist
    Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ISJPS

La finalité de ce livre est double. D’un côté, il formule une prise de position dans l’espace des discussions suscitées par l’apparition des « nouveaux réalismes » sur la scène philosophique européenne et, au-delà, internationale. On y trouve donc, par exemple, une présentation et des éléments de discussion des travaux de Markus Gabriel, Maurizio Ferraris et, dans une moindre mesure, Quentin Meillassoux. Par rapport à ces différentes recherches et voies philosophiques, j’essaie de cerner des points d’accord et de désaccord, tentant ainsi au fond de construire le champ des réalismes contemporains, pour essayer de produire une intelligibilité du retour de ce motif, au-delà des frontières qui fragmentent le monde philosophique d’aujourd’hui — notamment la division entre philosophies respectivement dites « continentale » et « analytique ». De l’autre côté, il s’agit aussi et d’abord pour moi d’approfondir et prolonger les réflexions ouvertes dans mon livre Eléments de philosophie réaliste (Paris, Vrin, 2011), en direction de ma forme propre de réalisme ou en tout cas de ma façon propre de poser la question du réalisme, suivant une orientation et une méthodologie marquées, essentiellement, par l’influence de Wittgenstein. Un mot sur le titre ne sera pas inutile, car il peut bien résumer le propos de l’ouvrage. L’idée générale de L’adresse du réel, c’est précisément qu’il n’y a pas de telle « adresse » : il n’y a pas de sens à vouloir chercher le réel dans un genre particulier de choses au détriment d’autres genres. Cela pour deux raisons : parce qu’il n’y a pas de question du réel in abstracto, mais le réel est toujours ce qui se distingue de ce qui ne l’est pas là où un problème déterminé, une question, est posée à la réalité, ou à propos d’elle ; mais aussi parce qu’en prétendant isoler des genres de choses qui seraient a priori réelles — et constitueraient « le réel » — on risque par là même d’accréditer qu’il existe, à côté des genres de choses intrinsèquement réelles, des genres de choses qui ne le seraient pas : pour ainsi dire des « choses irréelles ». Or l’intuition de base du réalisme est qu’il n’y a pas de telles « choses » ou, ce qui revient au même, qu’elles ne constituent pas un genre. L’irréel, si en tout cas on doit lui prêter quelque force de négation que ce soit du réel, ne constitue pas réellement un autre genre d’être à côté du réel : ce sont alors exactement le même genre de choses qui, suivant les circonstances, peuvent être réelles ou non réelles. Il n’y a donc, deux fois, pas de sens à attribuer le monopole de la réalité à un certain genre ou à de certains genres a priori. Même si ce n’est pas dit dans ce livre — mais l’idée était présente dans le précédent Logique du phénomène (Paris, Éd. Hermann, 2016) — « l’adresse », inversement, pourrait ici renvoyer positivement au fait que le réel est essentiellement objet d’« adresse » : le réel est ce qui ne peut en aucun cas se privatiser, et il n’est de réel que pour les autres — et non pour moi seul. D’où l’importance du fait que le réel comme tel ait, essentiellement, à être dit, et de la recherche, en situation, de la façon adéquate de le faire. En ce sens, « le réel » en général n’a pas d’adresse, mais il n’est de réel qu’adressé, et les explorations grammaticales de ce livre ne sont rien d’autre qu’autant de variations sur différentes façons de l’adresser et les …

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