Les comptes rendus

Un sourire blindé. Sergio Kokis. Montréal, XYZ Éditeurs, coll. « Romanichels » 1998, 257 p.[Record]

  • André Jacob

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  • André Jacob
    Département de travail social
    Université du Québec à Montréal

Que vient faire un roman sous la rubrique compte rendu de lecture d'une revue spécialisée sur les pratiques sociales ? A priori, cette présence incongrue pourrait provoquer une profonde réflexion... Dans les faits, je trouve tout à fait pertinent de vous présenter ce roman qui jette un regard critique sur la pratique sociale traditionnelle du « placement d'enfants » et la pratique de la « protection » des enfants. Le thème est fort d'actualité dans la pratique du travail social contemporain et surtout important sur le plan de l'emploi pour les travailleuses sociales... Les « Francine » (à cause d'une travailleuse sociale qui l'a particulièrement traumatisé), comme les surnomme Conrado, l'éternel enfant « placé », jouent un rôle de premier plan dans ce champ en évolution, voire en remise en question. Conrado, c'est l'enfant qui, d'une certaine façon, rit dans sa barbe ; bien sûr, il vit son enfance en transit entre la garderie, la famille, les familles d'accueil jusqu'à l'institution en étant bien trop jeune pour tout comprendre ce mouvement perpétuel enclenché par les Francine et autres adultes en situation de pouvoir. Le récit du petit Conrado, enfant d'origine salvadorienne, mérite qu'on s'y attarde. Son questionnement sur sa situation est riche de péripéties. Né d'une mère d'origine salvadorienne et d'un père qui reste inconnu, mystérieux comme une figure mythique, Conrado apprend la vie et ses dures réalités. Le titre du roman aurait très bien pu être : « comment devenir adulte quand on est le fils d'une immigrante mélancolique du pays d'origine et d'un père absent ». Pour Conrado, le père devient vite un personnage mythique, un être qu'il aurait bien aimé connaître alors que c'est le vide qui s'installe à demeure dans sa vie. Le quotidien tumultueux de sa mère, Natividad, fait défiler de nombreux papas dans la vie de Conrado, les uns avec une certaine stabilité, les autres étant plutôt de passage et contribuant à apporter du pain sur la table quand ils viennent faire des « chatouilles » à Natividad. Le film de la vie du petit se déroule à un rythme infernal et tout finit par devenir histoire de « chatouilles », de chicanes, de violence, de risques finalement. Conrado en prend son parti et décide de ne plus parler et d'observer. Finalement, sa vie bascule. Les Francine entrent en jeu, et Conrado commence une ronde de placements qui lui fera connaître la violence et les abus mais, spectateur attentif, craintif, méfiant et surtout rusé, il construit sa vie dans la réflexion. Il observe. Il apprend à se protéger. Conrado, c'est l'oeil de l'observateur critique, caustique et lucide. Il écoute les bêtises du monde adulte et les analyse sans se faire prendre au jeu. En voici un bel exemple : Les scènes cauchemardesques se succèdent et culminent avec l'empoisonnement d'un père qui abusait d'une fillette, Gaudalupe. Pendant que la mère était absente, Réal abusait de la fillette, placée, elle aussi, avec Conrado. Comme on avait expliqué à Conrado de ne pas toucher à la bouteille d'hydrate de méthyle, car c'était un produit mortel, le seul moyen de défense que les deux enfants inventent pour se libérer de Réal consiste à verser un peu du produit dans les verres de rhum que Réal ingurgite à la file. Il en meurt. Conrado entre dans une nouvelle ère. Il devient psychiatrisé et interné dans un centre d'accueil pour enfants. ll maintient son silence. Son mutisme ne le rend pourtant pas plus vulnérable, au contraire : ce mécanisme de défense le protège, le rend plus sympathique même et surtout peu suspect aux yeux des adultes qui le gardent et …