ÉditorialEditorial

Appréhender la complexité du vivant à l’ère des « Omiques »To apprehend the complexity of living at the era of the « Omics »[Record]

  • Michel Bouvier and
  • Gérard Friedlander

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  • Michel Bouvier
    Rédacteur en chef
    Québec

  • Gérard Friedlander
    Rédacteur en chef
    France

Le séquençage du génome de plusieurs organismes vivants incluant celui de l’homme a provoqué une véritable révolution scientifique dont nous commençons à peine à mesurer les multiples implications. Le début de l’année étant une période propice à la réflexion sur les réalisations passées, et surtout sur ce que nous réserve l’avenir, nous nous penchons dans cet Éditorial sur quelques-unes des conséquences que la révolution génomique a déjà eues et continuera d’avoir sur la recherche biomédicale. Au-delà des espoirs et des fantasmes que peut faire naître chez certains la conscience de voir exposé devant nos yeux le « code de la vie », la masse d’informations et notre capacité à appréhender « globalement » les questions biologiques ont changé de façon irrévocable notre façon de faire de la science. L’origine de cette révolution est ancrée au milieu du siècle dernier quand des pionniers tels que Chargaff, Crick, Franklin, Khoranna, Kornberg, Monod, Nirenberg, Pauling, Watson, et bien d’autres ont donné naissance à une nouvelle discipline, la biologie moléculaire. Malgré le pouvoir considérable que donnaient les nouvelles méthodes issues de cette discipline, cette première phase de la révolution était tranquille. Tranquille par son rythme, s’échelonnant sur plus d’une cinquantaine d’années, mais aussi tranquille parce qu’elle ne modifiait pas fondamentalement les étapes de la démarche scientifique qui était celle des sciences de la vie depuis près de deux siècles. Malgré la capacité de modifier, à l’échelle moléculaire, le fonctionnement des cellules jusqu’à atteindre l’intégrité ou la régulation de ses gènes, les méthodes de la biologie moléculaire ne transformaient pas notre façon de formuler une hypothèse. Celle-ci faisait toujours intervenir un savant mélange de connaissances, de raisonnement rigoureux et d’intuition qui constitue le « génie propre » du chercheur. L’approche demeurait largement réductionniste et « étapiste », proposant de mieux comprendre les rôles et fonctions d’un ou de quelques gènes à la fois. En donnant accès à l’ensemble des gènes et des protéines d’un être vivant, les méthodes de la génomique et de la protéomique ont provoqué un changement d’échelle. Il ne s’agit plus de formuler une hypothèse précise sur le rôle d’un gène donné et de concevoir les expériences permettant de la tester, mais plutôt d’appréhender l’implication potentielle de l’ensemble des gènes dans un - ou une série de - processus biologiques donnés. La valeur intrinsèque des approches non biaisées proposées par les « Omiques » découle en partie de l’humilité que nous impose la complexité du vivant. Selon les prédictions les plus classiques, les quelques 25 000 gènes du génome humain se transforment en plus de 500 000 protéines lorsqu’on prend en compte les épissages alternatifs et les modifications post-traductionnelles. Considérant que le nombre de partenaires de chaque protéine est estimé au moins à cinq, la complexité des réseaux d’interactions possibles est intimidante. Quiconque a regardé les « interactomes » engendrés par des approches protéomiques à grande échelle ne peut qu’être perplexe quant à notre capacité à formuler la meilleure hypothèse à partir de cette masse de données. Bien que ces approches aient déjà produit leurs premiers fruits en permettant, entre autres, de proposer des fonctions pour des protéines dont on ignorait jusqu’à l’existence ou de révéler des rôles inattendus pour des protéines que l’on croyait bien connaître, l’intuition et les connaissances du chercheur ne suffisent plus à exploiter de manière optimale l’ensemble des données. Une contribution de plus en plus importante d’outils informatiques est donc devenue essentielle, tant pour la gestion des données que pour la formulation d’hypothèses objectives à partir de modèles mathématiques permettant d’appréhender de façon globale des systèmes complexes. Autant par son rythme effréné que par son impact majeur …