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Errances, discordances, divergences ? Approches interdisciplinaires de l’erreur culturelle en traduction est un ouvrage collectif qui réunit dix-neuf articles intéressants sur l’erreur culturelle en traduction. Les diverses contributions sont présentées sous trois thèmes : « L’erreur culturelle, du mot au signe » ; « L’erreur culturelle en contexte professionnel et politique » et « L’erreur culturelle en philosophie et musique ».

L’erreur culturelle reste, en traductologie, un thème important et pertinent. Les différents auteurs qui ont contribué à cet ouvrage collectif analysent différemment les types d’erreurs et illustrent leurs répercussions sur le texte traduit. Généralement, lesdites erreurs sont commises lorsque les traducteurs « ignorent ou mécomprennent une ou plusieurs connotations sous-jacentes d’un terme ou d’un concept propre à la culture d’origine » (p. 20). Cependant, dans bien des cas, même si les traducteurs réussissent à comprendre les connotations du texte source, ils ne les rendent pas correctement dans le texte cible. Parfois, les traducteurs ignorent délibérément certaines allusions culturelles, soit pour alléger le texte soit pour donner une signification différente au texte source.

Cela peut se faire pour le réinventer dans un autre environnement culturel ou dans le but d’influencer les lecteurs. Dans ce cas, la question se pose de savoir s’il s’agit toujours d’une erreur culturelle ou bien plutôt d’une manipulation volontaire des lecteurs

p. 20

Comme la traduction, l’erreur est à la fois une action (se tromper, s’éloigner de la vérité) et le résultat de cette action (une chose fausse ou erronée). À la différence de la traduction, c’est aussi un état (être, tomber, persévérer dans l’erreur) […] l’erreur est révélatrice. Elle peut nous enseigner beaucoup sur les processus de pensée qui ont conduit à la commettre.

pp. 11-12

En comparant l’erreur à la traduction, Nicolas Froeliger (l’auteur de la préface) souligne l’aspect positif de l’erreur – comme concept traductologique – qui selon lui « nous ramène à une forme de réalité et de réalisme. » Ce concept permet de « maintenir un contact étroit entre l’exercice professionnel et les tentatives de théorisation » (p. 15).

L’erreur culturelle, du mot au signe

Le premier article de la première partie, L’erreur culturelle, la traduction et les traditions discursives : le cas du présent en tant que temps de narration, signé Benjamin Meisnitzer et Bénédict Wocker, aborde l’erreur culturelle dans le cadre de la traduction des temps verbaux. Selon cette étude, la maitrise des deux langues, source et cible, n’est pas suffisante pour produire une traduction exempte d’erreurs. Les deux auteurs suggèrent que le traducteur prenne plutôt en considération d’autres éléments du texte. Par exemple, pour traduire un texte écrit au présent narratif, le traducteur doit absolument garder le même temps pour ne pas tomber dans l’erreur. À cause des facteurs linguistiques et extralinguistiques qui interviennent dans la traduction des temps verbaux, les erreurs qui en résultent sont considérées comme des erreurs linguistiques et culturelles.

Dans son article, Quand l’adverbe en -ment se fait erreur. Ou la chasse aux adverbes, Luisa Mora Millàn présente la notion d’erreur d’un point de vue traductologique. Elle choisit de soulever la question du défi adverbial auquel se voit confronté le traducteur et ce à travers quelques oeuvres de Garcia Marquez et de Flaubert. Selon l’auteure de cet article, tout traducteur cultivé devrait respecter les effets de style du texte source et chercher à les reproduire (p. 57). Millàn souligne l’importance de bien traduire l’adverbe, autrement, il arrive qu’on en vienne à ajouter une note du traducteur. Selon elle, les traducteurs réagissent différemment face à ce défi de traduction de l’adverbe et c’est la manière de traduire qui détermine la présence d’une erreur en traduction.

Dans l’étude d’Émeline Arcambel, L’interprète en langue des signes en situation pédagogique, l’erreur est relative, car elle dépend de la position que le traducteur choisit d’adopter : « sourcier » ou « cibliste ». Dans son étude, Arcambel traite de l’erreur culturelle dans le cadre de l’interprétation en langue des signes en France. Selon elle, l’erreur culturelle ne peut être jugée que dans son contexte. Par exemple, dans le cas des langues de signes, en plus de jouer un rôle de transfert linguistique, l’interprète en milieu pédagogique se voit obligé de jouer un rôle social afin de traduire le « vouloir-dire », pour exercer un impact positif sur l’apprentissage des usagers sourds. Dans le milieu pédagogique, l’erreur culturelle peut s’avérer nécessaire voire plus : elle peut être considérée comme une stratégie d’interprétation pour que la communication du message soit réussie.

Le travail suivant est celui de Jordi Macarro Fernández, Pedro Almodóvar : culture et contre-culture dans ses scénarii. Ce traductologue choisit de traiter de l’erreur culturelle dans le cadre de la traduction de certains scénarios de Pedro Almodovar tels que La Movida Madrile et Pepi, Luci, Bometautresfillesduquartier[1]. Dans ce cadre, il donne des exemples des différentes erreurs culturelles commises dans certaines traductions, notamment les omissions et les mécompréhensions des éléments sociohistoriques ou socioculturels.

Dans le domaine de la traduction audiovisuelle de l’humour, vient le travail de Camille Noël, L’erreur culturelle dans le sous-titrage européen du titre bilingue. Bon cop bad cop d’Erik Canuel et ses efforts sur l’humour. L’erreur culturelle peut avoir un impact important sur le message véhiculé, et ce, en grande partie, parce que le traducteur ne connait pas suffisamment la culture source et donc ne saisit pas parfaitement le contexte. Selon Noël, qui a décidé d’aborder ce sujet, la traduction de blagues culturelles institutionnelles engendre un lot important d’erreurs. Cette chercheuse étudie également le film Bon cop Bad cop[2], une comédie entièrement bilingue avec sous-titrage et qui a connu un grand succès. Elle donne des exemples d’erreurs culturelles décelées dans le sous-titrage français du film et qui témoignent de quelques méconnaissances de la culture source.

Dans son étude, De vingt de diousse à patapà dell’acqua. La traduction et la dimension interculturelle dans la traduction des films Bienvenue chez les Ch’tis et Bienvenuti al Sud, Nora Wirtz souligne que le traducteur doit avoir une bonne connaissance des normes culturelles, stylistiques, théoriques et lexicales. L’auteure donne des exemples de certaines difficultés rencontrées par les traducteurs de Bienvenue chez Ch’tis[3] et de Bienvenuti al Sud[4] et qui donnent lieu à des erreurs culturelles ayant des effets irritants auprès des spectateurs. Même si la traduction entre deux langues de typologie similaire est plus facile qu’entre deux langues plus éloignées linguistiquement et culturellement, il y a des jeux de mots qui donnent lieu à des erreurs culturelles graves peu importe la typologie des langues (p. 128), d’où l’importance de « les neutraliser dans les traductions et choisir de s’exprimer dans un registre comparable à celui du dialogue original pour éviter un effet d’irritation auprès des spectateurs et, ainsi, une erreur culturelle » (p. 123).

L’erreur culturelle en contexte professionnel et politique

Dans l’article d’Élisabeth Navarro, Interprétation dans les services publics. Vers une sémiologie de l’erreur en traduction, l’erreur culturelle « relève essentiellement de l’écart, qu’il soit conscient ou inconscient » (p. 134). Dans le cadre de son étude, l’auteure de cet article traite de l’écart culturel en lien avec « l’impossibilité de traduire au moyen d’équivalences convenues […] ». Navarro décrit la fonction assez complexe de l’interprète qui se voit confronté au défi de traduire une langue chargée d’implicites, de non-dits, et d’intraduisibles (p. 137).

L’erreur culturelle dans le domaine touristique peut être appréhendée comme un manque de compétences selon Nadine Rentel. Dans son étude Erreurs culturelles dans la traduction de textes sur les sites web des offices de tourisme en France. L’exemple des traductions en allemand, Rentel montre que les causes menant à une erreur culturelle peuvent être liées soit aux conditions de travail du traducteur soit à la typologie textuelle. L’erreur culturelle dans ce domaine reflèterait un manque de compétences et pourrait avoir un impact néfaste sur l’attraction des touristes, et par conséquent engendrer des pertes économiques importantes.

Dans sa contribution, Erreur culturelle, publicité et traduction, Stacy Blin souligne les enjeux de la traduction dans le domaine publicitaire et les erreurs qui peuvent résulter d’une traduction hâtive. Selon l’auteure, le traducteur doit prendre en considération certains éléments importants notamment l’environnement dans lequel le texte source a été produit ainsi que les contraintes extralinguistiques de la culture source et cible, et ainsi adapter le message au public cible.

De son côté, Loïc de Faria Pires s’intéresse aux erreurs culturelles qui résultent d’une traduction automatique incorrecte. Il explique comment se déroule la post-édition du texte et présente les différents éléments à prendre en considération lors de ce processus notamment le contexte, la fonction et l’objectif du texte dans son article : Post-édition de traduction automatique : quelles erreurs culturelles ? L’auteur se pose la question suivante : est-ce qu’une évolution des logiciels de traduction mettra fin un jour aux erreurs culturelles ? Une question à laquelle on aura peut-être une réponse dans un avenir rapproché.

Dans son article, Textes spécialisés : de la traduction à l’erreur, il n’y a pas qu’un pas, Nadine R. Haddad étudie l’erreur dans les textes spécialisés. Parfois, une erreur peut-être très grave, notamment dans le domaine médical. Ce genre de textes comporte des termes techniques, d’où l’importance de maitriser le domaine (encore faut-il prendre en considération les normes régionales et culturelles de la langue source). Haddad expose les différents procédés à utiliser pour traduire ce genre de textes ainsi que les étapes à suivre pour éliminer l’erreur s’il y a lieu.

Dans le dernier article de la deuxième partie, Les erreurs de traduction en discours politique. Une question d’éthos et d’éthique, Hoda Moucannas étudie les erreurs de traduction dans le discours politique. Elle explique que ces erreurs ne sont pas forcément commises délibérément, même si parfois elles peuvent résulter de la pratique du traducteur et viennent à l’encontre de l’éthique. Moucannas donne des exemples dans ce cadre pour mieux illustrer ce type d’erreurs.

L’erreur culturelle en philosophie et musique

En parlant d’erreur en traduction, Jean René Ladmiral tente de « montrer dans quelle mesure l’idée d’erreur en traduction relève d’un objectivisme […] » (p. 232). Il montre dans son article Erreur culturelle en traduction et biais idéologique que l’erreur culturelle peut provenir d’une méconnaissance d’ordre culturel ou historique. Il donne son point de vue à travers plusieurs exemples et se pose plusieurs questions intéressantes. L’erreur peut également être le résultat d’une solution adoptée par le traducteur lorsqu’il est confronté à un problème de traduction et qu’il doit faire un choix entre deux solutions « plus ou moins imparfaites » (p. 238).

Vient ensuite l’article de Terence Holden, Traduire Negative Dialektik : Enjeux scientifiques et éthiques, dans lequel il analyse la traduction de Negative Dialectics[5] d’Adorno par Ashton qui comporte des erreurs résultant notamment d’un manque de sensibilisation à la culture source. Holden donne plusieurs exemples pour expliciter les causes des différentes erreurs commises par le traducteur. L’erreur culturelle selon lui est « un échec de la communication face aux attentes des interlocuteurs » (p. 255).

Vincent Vivés, lui, pense que « la première erreur culturelle est de croire en l’erreur et dans la culture » (p. 261). Dans son article, « Je réservais la traduction » : Rimbaud en réserve, Vivés décrit la difficulté de traduire Rimbaud à cause de sa langue « inconsistante » (p. 273), d’où le nombre d’erreurs commises par ses traducteurs.

Sunduz Kasar, quant à elle, étudie l’erreur culturelle dans le domaine de la chanson, elle compare diverses traductions turques de la même chanson et elle analyse les procédés utilisés par les différents traducteurs principalement l’adaptation. Dans son article, La traduction des chansons d’une langue à l’autre. L’exemple des adaptations turques de Ne me quitte pas de Jacques Brel, elle souligne entre autres le lien entre l’identité sexuelle et les transformations textuelles.

Dans le même domaine, Paul Grundy et Jean C. Meunier traitent de la traduction des chansons ludiques. Ils montrent dans leur article, Réflexions traductologiques sur la création artistique. (Auto) – traduire Solid Idols, que dans ce cas de traductions, le plus grand défi du traducteur est de « conserver le caractère résolument ludique des portraits tout en restituant leur sens » sans négliger la mise en musique.

Dans son article, Non ho l’età versus Je suis à toi. Erreur culturelle ou tromperie, Philippe Desse examine la réception de chaque version de la chanson italienne : la première a connu un grand succès au point de représenter l’Italie lors du concours de l’Eurovision en 1964 tandis que la version française n’a connu aucun succès à cause d’une erreur culturelle.

Enfin, le dernier article de cette dernière partie est celui de Pierre Degot : Ottavio, Octavio, Otty et les autres… La traduction du livret d’opéra à l’épreuve de l’erreur culturelle. L’auteur affirme qu’en adaptant un texte afin qu’il soit acceptable dans la culture cible, souvent le traducteur s’éloigne de l’intention du texte source, d’où l’erreur culturelle. Degott donne quelques exemples pour traiter de la problématique de l’erreur en traduction.

Cet ouvrage collectif présente différentes formes de l’erreur culturelle vues, analysées et illustrées dans différents cadres par des spécialistes qui font la recherche dans divers domaines notamment la traductologie, la linguistique, la traduction audiovisuelle, l’histoire, la philosophie, la politique, la musique, et la création artistique. Cette diversité d’analyse de l’erreur culturelle montre qu’elle est relative et qu’elle dépend surtout de la nature de la situation de communication.

L’erreur culturelle est plus courante dans certains domaines spécifiques comme le domaine de l’humour. Traduire des blagues peut paraître un jeu d’enfant, mais en vérité c’est un grand défi que seul le traducteur qui maitrise parfaitement les deux langues et les deux cultures (source/cible) réussit ; encore faut-il qu’il prenne en considération la réception de la traduction par le public cible. C’est ce que Toury (1995, p. 79) nomme « la norme initiale », le traducteur se trouve face à un choix entre « acceptabilité » dans la culture cible et « adéquation » au texte source. Toutefois, dans bien des cas, le respect des règles de la langue cible l’oblige à omettre certains éléments pour tomber inévitablement dans l’erreur culturelle.

Ce collectif rassemble un nombre d’articles qui ne traitent pas de l’erreur culturelle de la même manière ni dans le cadre du même contexte. Les auteurs appartiennent à des domaines différents d’où la richesse de cet ouvrage.

Cet ouvrage serait d’un grand intérêt pour les chercheurs qui s’intéressent à l’erreur en traduction, et qui pourraient étendre leurs recherches pour confirmer ou infirmer si l’erreur a vraiment des aspects positifs dans le cadre traductologique et si elle peut réellement faciliter la communication du message dans certaines situations.