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Luther, Martin (2017) : Écrits sur la traduction. (Édité et traduit par Catherine A. Bocquet) Traductologiques. Paris : Les Belles Lettres, 192 p.[Record]

  • Nicolas Froeliger

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  • Nicolas Froeliger
    Université de Paris/Université Paris-Diderot, Paris, France

On se représente souvent la Renaissance comme un âge idyllique peuplé de barbus vénérables, qui oeuvrent au développement des savoirs scientifiques, des spéculations philosophiques et surtout des arts : une période de retour aux sagesses et aux formes de l’Antiquité, de début de séparation entre ce qu’il est commun d’appeler le spirituel et le temporel. C’est une partie de la réalité. Mais ce fut aussi un temps d’extrême violence, en particulier à partir de la fin du xve siècle. Que l’on pense à la colonisation des Amériques par les Espagnols, aux guerres d’Italie ou à la Guerre des paysans en Allemagne : une succession de bains de sang. Et cela avant même que n’éclatent les Guerres de religion proprement dites. On en trouve par exemple la trace dans L’oeuvre au noir (1968) de Marguerite Yourcenar, dans les écrits de Machiavel, ou de Giono (1963, en particulier). Mais aussi dans ceux de Martin Luther, figure majeure et, disons-le, fondatrice, du protestantisme. Lui-même, d’ailleurs, le revendiquait : « Je suis né pour guerroyer contre les groupes séditieux et les diables et pour être en campagne. C’est pourquoi mes livres sont si impétueux et si belliqueux » (p. 30). C’est la première impression qui se dégage de la publication, dans la collection « Traductologiques » des Belles Lettres, des Écrits sur la traduction de Martin Luther, édités, traduits et présentés par Catherine A. Bocquet. Il faut se réjouir d’une telle publication : la traduction en allemand de la Bible par Luther, même si, c’est rappelé ici, elle n’est pas la première, marque une rupture dans la culture occidentale, et les polémiques engendrées par cette oeuvre, outre qu’elles eurent un rôle conséquent dans la naissance du protestantisme, résonnent encore dans la traductologie au xxie siècle. Il est donc très précieux d’avoir accès, en français, à l’intégralité des justifications publiées par Luther lui-même lors de ces polémiques, avec, en outre, l’allemand (de l’époque) en vis-à-vis. La préface de Michel Grandjean se charge avant tout de la présentation historico-théologique, laissant à l’introduction de Catherine Bocquet la mise en perspective traductologique, et l’on observe un certain nombre de recouvrements entre ces deux avant-textes, ainsi qu’avec le riche corpus de notes et (heureusement…) la traduction proprement dite. Au-delà, le texte se compose principalement de trois lettres d’inégale longueur rédigées et publiées par Martin Luther entre 1530 et 1533 (p. 63-154). Il faut y ajouter une annexe fort bien faite sur les principaux personnages mentionnés dans la « Lettre ouverte sur l’art de traduire et sur l’intercession des saints », qui forme le coeur de l’ouvrage (p. 155-178), ainsi qu’une bibliographie. Ce travail ambitieux et nécessaire soulève évidemment un certain nombre de questions qui sont à la fois historiques, religieuses et traductologiques. Et qui peuvent donner une sensation de vertige : nous sommes après tout face à la traduction française accompagnée d’un commentaire sur une traduction allemande qui eut la particularité, à son époque, d’ajouter une dimension supplémentaire à ce que l’on est tenté d’appeler un original (la Vulgate) tout en revenant souvent au texte hébreu pour remettre en cause le statut même de cet original (voir en particulier p. 12). On pense ici à Meschonnic (2002, notamment) ou au concept de manipulation, dû à Theo Hermans (1985, notamment), qui est d’ailleurs un des rares auteurs qui manquent à la bibliographie. Au point que l’on hésite au moment de tenter cette recension : qui commente quoi, au juste ? Et est-il vraiment raisonnable d’ajouter encore une couche, certes modeste, à ce séculaire empilement ? Il convient, je pense, d’envisager cette publication sur deux plans : il y …

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