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Vidal Claramonte, Carmen África (2017) : « Dile que le he escrito un blues », Del texto como partitura a la partitura como traducción en la literatura latinoamericana. Madrid : Iberoamericana/Vervuert, 186 p.[Record]

  • Danièle Marcoux

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  • Danièle Marcoux
    Université Concordia, Montréal, Canada

Pour l’entendre, il vous faut quitter la Plaza Mayor et prendre plutôt le passage piéton. Une fois vos pas posés dans les interstices de ce passage zébré, il surgit alors dans sa tenue bariolée, bigarrée, rapiécée. Tendez bien l’oreille : c’est Arlequin qui vous invite à parcourir avec lui l’essai de Carmen África Vidal Claramonte intitulé « Dile que le he escrito un blues », Del texto como partitura a la partitura como traducción en la literatura latinoamericana. Le patronage d’un tel personnage vous inquiète ? Vous craignez que cet outsider par excellence, qui incarne le mélange, l’hybridité, voire l’incohérence, vous perde dans les dédales de la promenade proposée ? Vous avez tort. Pour ouvrir la traduction à de nouveaux horizons conceptuels dans le contexte hybride de la mondialisation, pour l’aborder comme une activité hétérotopique à cheval sur des espaces et des temps épistémologiques variés, pour démontrer son rôle fondamental dans la transversalité des arts et leur fascinante interdisciplinarité, Vidal Claramonte ne peut compter sur meilleur accompagnateur qu’Arlequin. Guidée par ce sympathique marginal, dont le costume illustre à merveille le corps métis du traducteur, l’auteure nous convie ainsi à une promenade des mots dans les mondes de la philosophie, la littérature, la peinture et, bien sûr, la musique. Le prologue signé David Johnston, mais ouverture conviendrait mieux peut-être tant il annonce le « texte partition », donne le ton sur lequel la professeure de l’Université de Salamanque module ses fines perceptions de la traduction : quand le traducteur sort les mots pour une promenade entre les langues et les cultures, ce qu’il rencontre n’a rien d’une ligne fixe parmi des sens mis à nu, mais tout plutôt d’une cartographie provisoire de l’aventure complexe qu’est la vie. Pour le lecteur, la promenade se transforme dès lors en une démonstration à la fois conceptuelle et méthodologique de la traduction vécue comme une activité de « décentrement » (Meschonnic 2009 : 30) ou de « centre qui se déplace » (Blanchot 1955/2002 : s. p.). Sur sa route, il croise un nombre impressionnant d’artistes et de penseurs non seulement contemporains, mais également vieux comme le monde, dont Aristote et Platon. Pour nombreuses qu’elles soient, ces rencontres n’occultent jamais l’horizon ou le but de la promenade, c’est-à-dire celui de montrer que les mêmes notions – bruit, son, rythme – traversent les domaines artistiques et contribuent à les définir avec, pour conséquence, la mise en évidence du rôle créateur et transformateur de la traduction. De la même manière qu’il faut passer par un autre mot pour découvrir la signification d’un mot, l’auteure propose donc, tout au long des cinq chapitres qui composent le livre, de passer par l’interdisciplinarité pour mieux définir la traduction. Belle balade en perspective ! Dans le premier chapitre, Vidal Claramonte s’appuie d’abord sur la vision ample et élargie de la traduction proposée par certains auteurs contemporains, ce qui lui permet ensuite de creuser son propre sillon, soit les affinités qu’elle observe entre l’interprétation d’un texte et celle d’une partition musicale. Digne héritière d’une lignée de penseurs pour qui la traduction est mouvement, « croisant des espaces et forgeant de nouveaux topoi à partir de loci connus » (Johnston 2013 : 367), activité non seulement entre les langues, mais aussi à l’intérieur de celles-ci (Munday) ou ouverture des frontières disciplinaires (Tymoczko 2007), elle partage avec eux leur vision décentrée et aterritoriale qui définit le sens comme un « devenir » (Deleuze et Guattari 1968) ou une « force critique » impliquant une responsabilité face à l’art (Steiner 1976). De ce point de vue, tout texte s’aborde comme un territoire en …

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