Présentation[Record]

  • Sylvie Vandaele and
  • Pier-Pascale Boulanger

Depuis quelque temps, le rapport entre traduction et sciences suscite de plus en plus l’intérêt des traductologues. Le temps où, à l’instar d’Antoine Berman, on contestait même le statut de « texte » aux écrits scientifiques, est révolu. Il est clair maintenant que ces écrits ne peuvent en aucun cas être réduits à une compilation terminologique. Bien que l’appellation « langue de spécialité » prédomine encore dans certains cercles, avec ce qu’elle sous-entend de réductionnisme, la primauté des discours, riches de leurs dimensions multiples, s’impose. Les écrits scientifiques sont divers, ils sont ancrés dans les cultures tout autant que le sont les textes littéraires. Ils évoquent des manières de représenter le monde, et ces représentations ne peuvent s’abstraire des contextes d’où elles émergent. Reconnaître ce statut aux textes scientifiques, c’est aussi reconnaître que les agents qui en sont à l’origine (savants, chercheurs, enseignants, vulgarisateurs ou même organismes) vivent au sein de sociétés et de cultures dont ils sont partie prenante. Dans cette perspective, le rôle de la traduction dans les sciences est prédominant. De fait, on pense spontanément à la dissémination des connaissances, rendue ainsi possible au-delà des frontières. Dans notre économie interconnectée, il est en effet difficile d’imaginer, sans la traduction, la circulation des savoirs ainsi que des produits scientifiques et techniques. Même si l’anglais est la lingua franca de la recherche internationale, il n’en reste pas moins que la compréhension et la percolation des savoirs scientifiques au sein des sociétés nécessite l’usage des langues vernaculaires. La traduction est donc un maillon essentiel des réseaux d’échange et de communication mobilisant chercheurs, pourvoyeurs de solutions techniques, décideurs et usagers. Dans le continuum de la communication scientifique, qui va de la réflexion théorique pure aux applications réalisées dans les pratiques et les techniques, sans oublier la vulgarisation auprès du grand public, la traduction a un rôle fondamental. Dans le présent numéro, nous abordons différentes facettes de ce rapport entre traduction et sciences. C’est délibérément que nous avons choisi « les sciences » et non pas « la science », dont la valeur est certes universelle, mais qui s’avère en fin de compte restrictive dans sa portée concrète. Comment délimiter « la science », surtout dans le rapport, effectivement concret, à la traduction ? Envisager plutôt « les sciences » permet de situer le débat de manière ouverte : pour paraphraser Michel Blay, philosophe et historien des sciences, est science toute discipline se fondant sur des principes ou des démonstrations, sur des expérimentations ou sur des analyses. À partir de cette définition, on pensera, tout naturellement, aux sciences exactes (comme les mathématiques), aux sciences expérimentales (comme la biologie) et aux sciences humaines (comme les sciences économiques). Il faudra y adjoindre une méthode, ainsi que la critique et la réfutation. Souvenons-nous, toutefois, que ces catégories sont relativement contemporaines, et qu’elles sont occidentales. Elles ne rendent pas nécessairement compte de l’évolution des savoirs et des pratiques scientifiques au cours de l’histoire ou ailleurs dans le monde. Des savoirs aux pratiques scientifiques : c’est le déplacement d’intérêt, rappelé par Maeve Olohan, qui s’est opéré chez certains observateurs du monde scientifique depuis les travaux de Bruno Latour, héraut de la sociologie des sciences dans une perspective socioconstructiviste. Maeve Olohan situe plutôt sa réflexion au sein du cadre, lui aussi socioconstructiviste, offert par Andrew Pickering. Celui-ci, opposant l’agentivité humaine et la performativité matérielle, propose l’image de l’essoreuse à rouleaux. Vive à souhait, la métaphore donne à penser l’interaction entre l’agent matériel et l’agent humain engagés dans la pratique scientifique. Olohan, dans une visée programmatique, envisage ce cadre conceptuel pour une pensée performative de la traduction scientifique. Appliquée …